Philippe Boscher (TF1 Pub) : "Il va falloir proposer aux annonceurs des bilans de campagnes consolidés qui réunissent TF1 et Youtube"
Nicolas JaimesMinted. TF1 Pub s’est déplacé en force aux Cannes Lions. Quels sont les sujets qui suscitent votre intérêt ?
Philippe Boscher. Un des gros sujets, c’est celui de la convergence entre la TV et le digital, deux univers qui sont de plus en plus souvent réunis dans le cadre de campagnes médias vidéos mais qui restent, malgré cela, assez silotés. On a, d’un côté, un univers qui fonctionne au GRP avec des outils d’achat qui lui sont propres, comme Popcorn. Et de l’autre, la vidéo qui, comme tout inventaire digital, se vend au CPM et en programmatique. C’est important pour les chaînes de TV de réussir à réconcilier ces deux univers alors que la durée d’écoute individuelle (DEI) est en baisse chez certaines franges de la population.
L’enjeu pour un groupe comme le nôtre, c’est de réussir à valoriser notre inventaire catch-up, MyTF1, aussi bien que nous le faisons pour le linéaire. Et pour cela il faut des points de comparaison, dans le cadre de bilans consolidés.
On s’en approche ?
C’est ce qu’essaient de faire les anglais de Channel 4, dans le cadre d’un projet de mesure baptisé CFlight qu’ils nous ont présenté en début de semaine. Idem avec les Allemands qui ont, eux, un projet baptisé “Total video based on CFlight”. Tout part d’une norme de mesure lancée par NBC aux Etats-Unis et qui permet de calculer une équivalence entre GRP et impressions display. Un moyen de rassurer des chaînes de télévisions qui ne veulent pas que la digitalisation de la vidéo les lèsent parce qu’à l’évidence une pub vidéo skippable de deux secondes, sans son, n’a pas du tout le même impact qu’une spot de 30 secondes.
Décliner CFlight en France, ce n’est pas prévu ?
C’est un sujet qu’il faut que l’on aborde et qui implique de mettre Médiamétrie dans la boucle pour transposer le cahier des charges au marché français. Par exemple, dire que les standards digitaux en matière de visibilité (50% de la création plus de 2 secondes) ne sont pas suffisants. Ensuite trouver un moyen d’intégrer l’outil de mesure aux principaux outils d’achat du marché, qu’il s’agisse de Popcorn pour le linéaire traditionnel ou The Trade Desk pour la catch-up, par exemple.
Pourquoi est-ce que c’est important ?
Le but, c’est de donner les moyens à TF1 de valoriser les performances de son inventaire par rapport à celles des acteurs de l’AVOD ou du digital. Youtube aujourd'hui, Netflix ou Disney+ demain. Et ainsi permettre aux annonceurs de consolider des bilans de campagnes qui comprennent du TF1, Youtube ou Netflix. Mais pour que cela soit le cas, il faut que tout le monde s’engage à respecter le cahier des charges de CFlight. Or, Google ne s’est, à ce stade, pas positionné sur le sujet.
Pourquoi ?
C’est évident que quand on est un gros acteur du digital, on préfère une mesure qui stipule, comme c’est le cas selon les standards de l’IAB, qu’une impression vidéo est visible si elle est vue plus de 2 secondes avec au moins 50% de la création pub. Même si, en toute honnêteté, Youtube n’est pas le plus fermé là dessus.
Comment TF1 s’y prend-t-il, lui, pour mieux valoriser cet inventaire catch up ?
Nous avons lancé une offre hybride, destinée aux annonceurs qui nous achètent des campagnes GRP garanti en linéaire, dans le cadre de laquelle nous nous autorisons à prendre jusqu’à 5% des GRP et à les diffuser sur MyTF1. C’est Médiamétrie qui nous permet de consolider tout celà, avec un bilan de campagne complémentaire qui lui permet de lire la campagne linéaire avec des KPI digitaux et d’en comparer les performances avec le volet catch-up (CPM, apport de couverture…). De la même manière, les impressions numériques sont transformées en GRP, pour délivrer un seul indicateur pour les marques.
Et ça prend ?
C’est encore un peu tôt pour le dire car ça a été lancé en mars. Mais on revendique déjà plus de 100 campagnes hybrides car tout brief qui arrive au sein de la régie, à l’exception de ceux qui incluent du spot à spot, est susceptible de devenir hybride. On permet même à un annonceur qui voulait allouer X% de ses GRP à du prime time de le faire sur du digital.
C’est à dire ? Acheter de la pub associée à la catch-up du programme qui était diffusé en prime ?
Non. C’est faire de la catch-up à partir de 20h. Ce concept de prime-time en digital n’est pour l’instant pas très répandu. Il est pourtant tout à fait légitime étant donné que les audiences digitales sont, elles aussi, beaucoup plus actives passée cette heure.
Un autre constat que vous faites c’est que “l’adressable TV à la française”, comme l’appellent les anglo-saxons, fait beaucoup parler à Cannes…
C’est vrai, on a une vraie hype et c’est d’autant plus étonnant que ça existe au Royaume-Uni depuis 7 ans.
Une explication ?
Elle m’a été donnée par un dirigeant de GroupM au Royaume-Uni, qui estime que notre façon de procéder est la meilleure pour permettre au marché de la TV segmentée de devenir un gros levier de croissance. On l’oublie parfois mais les acteurs français ont tout de même réussi la prouesse de mettre en place une trajectoire commune. Elle a été insufflée par le SNPTV et l’AF2M et elle a permis de faire en sorte que toutes les régies TV proposent la même chose, nouent les mêmes types de partenariats avec les telcos.
Ce n’est absolument pas le cas au Royaume-Uni où Sky, une chaîne payante, est la seule à avoir lancé une offre. C’est comme si en France, seul Canal+, s’y était mis. Même problème en Allemagne, où seuls Prosieben et RTL font de la TV adressée mais en le faisant de manière différente. Or les grandes technologies d’achat ont besoin de normes pour s’y intéresser. Ce n’est pas un hasard si l’on reçoit énormément de demandes de technologies américaines. Ce qu’elles feront avec nous, elles pourront le faire avec d’autres. Il y a un vrai effet d’échelle. Prenez Xandr qui a multiplié les partenariats avec les régies TV en France.
Faire de la TV segmentée implique pour les régies d’ajouter un nouveau partenaire à l’équation : le telco. Et alors que ce dernier prend tout de même près de 40% de commission pour la data qu’il apporte, on peut se demander si c’est rentable pour les régies TV de faire de la TV segmentée. Votre marge ne change pas vraiment par rapport au linéaire…
Oui, les FAI sont gourmands mais dès lors qu’ils nous permettent de générer du nouveau business, c’est gagnant-gagnant. Et c’est exactement ce qui se passe. La TV segmentée, elle nous sert avant tout à recruter des annonceurs qui n’achetaient pas chez nous. Des annonceurs locaux qui peuvent venir plus facilement car le ticket d’entrée est beaucoup moins élevé qu’en TV linéaire.
Comment adressez-vous cette typologie de clients ? Google et Facebook ont mis des années à le faire correctement…
Nous pouvons nous appuyer sur les 8 commerciaux présents en région depuis des années pour gérer les gros annonceurs nationaux basés en province. Leur périmètre s’est, avec l’arrivée de la TV segmentée, élargi aux annonceurs locaux en tous genres.
Nous avons également noué un partenariat avec LeBoncoin dont nous avons formé les équipes commerciales aux pratiques de notre marché. Elles sont désormais à même de proposer des packages LeBoncoin + Tv segmentée géociblée aux annonceurs de la plateforme de petites annonces. C’est particulièrement intéressant en ce qui concerne les agences immobilières et les concessionnaires automobiles, qui sont énormément représentés chez LeBoncoin.
N’y a-t-il pas un risque de dégrader la qualité des publicités affichées en linéaire ? On a tous en tête ces spots un peu artisanaux que l’on voit parfois dans notre cinéma local.
On propose à ces entités les services de TF1 Factory, notre entité de production, qui est capable de proposer un spot clé en main, à partir de 1 500 euros. Alors, oui ce n’est, à ce prix, pas une grosse production, mais cela répond à un standard minimum et cela répond surtout aux réglementations en vigueur. N’oublions pas que chaque spot diffusé sur une chaîne de TV doit être validé par l’ARPP.
Je tiens aussi à préciser que la TV segmentée nous permet par ailleurs de recevoir des briefs que nous ne recevions jusque-là pas. Par exemple, un concessionnaire auto qui diffuse 100 créas différentes, calibrées pour 100 régions au sein desquelles on retrouve ses points de ventes. Une typologie de campagne qui allait, par le passé, automatiquement au digital.
A raison d’un CPM trois à quatre fois plus élevé que le linéaire, et qui reste aussi bien plus élevé que les campagnes d’AVOD, la TV segmentée est-elle trop chère ? Faut-il s’attendre à une baisse des CPM en même temps que les volumes commandés vont augmenter ?
Nous n’en sommes qu’aux débuts de l’histoire. C’est franchement trop tôt pour le dire.
Emmanuel Crego expliquait à Minted que la TV segmentée n’exploserait que si la data telco devenait accessible côté acheteurs, pour les aider à mieux cibler une population qui se désintéresse de la TV linéaire, les moins de 35 ans. Que lui répondez-vous ?
Je suis partagé sur la question. Il a raison de dire qu’il faut donner plus d’outils aux acheteurs. Typiquement leur permettre de simuler, en amont du lancement d’une campagne, le nombre de personnes qu’ils peuvent toucher selon les cibles choisies. Il faut qu’on y arrive et on en discute d’ailleurs déjà avec les DSP, pour y proposer des modules de ce genre. Il s’agirait, comme c’est possible sur Facebook, d’estimer son reach pour un ciblage “Paris et CSP+” par exemple. Ça intéressera du monde.
Je ne suis pas sûr qu’il faille aller plus loin car la réalité c’est que la plupart des agences médias n’ont pas les moyens ou le temps d’exploiter elles-mêmes les données, pour optimiser leurs campagnes. La principale préoccupation des acheteurs, aujourd’hui, c’est de gagner en productivité. En cela, laisser la main aux régies sur la ventilation des budgets arrange pas mal de monde. Un peu comme on le fait pour le GRP garanti en télévision linéaire d’ailleurs.
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