Le plan de Youtube pour rafler le marché pub TV
Nicolas JaimesAprès des années à leur seriner qu’il est le complément idéal de la télévision, Youtube fait un pas de plus dans la direction des acheteurs de pub TV, en annonçant à l’occasion de son évènement Youtube Brandcast, l’arrivée d’un format publicitaire de 30 secondes non skippable. Le format sera affiché uniquement sur les écrans de TV et proposé aux annonceurs qui diffusent leurs campagnes via la plateforme Youtube Select, une offre packagée qui réunit le top 5% des contenus Youtube en termes d’audience.
Pour Emmanuel Crego, directeur général chez Values.Media, c’est pas loin d’être une révolution que de voir “Youtube, l’apôtre de la publicité courte et skippable, reprendre les bonnes vieilles recettes de la télévision.” C’est, en tout cas, la preuve que ses dirigeants estiment que 1) leurs contenus sont suffisamment attrayants pour que l’internaute consente à attendre au moins 30 secondes avant qu’ils s’affichent 2) il est temps de proposer aux acheteurs TV un format dont ils sont familiers.
45% des visionnages de Youtube ont désormais lieu sur un écran de TV aux Etats-Unis
Pas vraiment étonnant quand on jette un œil aux statistiques de consommation de Youtube outre-Atlantique. 45% des visionnages de la plateforme ont désormais lieu sur un écran de TV selon des données révélées par The Information. Le ratio était de 30% en 2020. Il est encore plus prononcé en ce qui concerne les contenus liés à Youtube Select, dont 70% de l’audience est désormais réalisée sur un écran de TV.
Une bascule qui n’a pas échappé aux acheteurs américains puisque, toujours selon The Information, ces derniers prévoient d’allouer un total de 7 milliards de dollars d’investissements à Youtube à l’occasion des négociations annuelles (qui se déroulent en ce moment). La plateforme va peser autant qu’un NBC Universal dans les dépenses publicitaires des plus gros acheteurs de TV, rapporte The Information. Et ce n’est, la non plus, pas étonnant vu que, selon le dernier rapport Nielsen Gauge, c’est désormais l’acteur le plus regardé sur un écran de TV, tous services, streaming et chaînes de TV, confondus aux Etats-Unis, avec une part de marché de près de 8%.
On n’en est évidemment pas là en France alors que, comme le rappelle Emmanuel Crego, “c’est plutôt 30% de la consommation de Youtube qui s’effectue sur un écran TV” et qu’il n’existe “pas un gros acheteur de pub TV qui dépense autant sur la plateforme que chez un TF1”. Cela n’empêche néanmoins pas la Une de prendre les devants dans ce qui s’annonce comme une bataille épique pour le marché du total video, entre d’un côté, les broadcasters (TF1, M6, France Télévisions, Canal Plus…) et de l’autre, les plateformes de vidéo en ligne, comme Youtube, Netflix, Disney + ou Prime Video.
Le nouveau patron de TF1, Rodolphe Belmer, a ainsi fait de la délinéarisation son maître-mot, conscient qu’il doit faire évoluer son offre de contenus alors que la TV linéaire décroît lentement mais sûrement. Même combat pour ses concurrents historiques, France TV et M6, qui misent, eux aussi, sur les nouveaux modes de consommation digitaux, qu’il s’agisse d’AVOD ou de Fast. “La convergence de ces deux univers est actée, estime Paul Ripart, directeur commercial programmatique et data de Prisma Media. Youtube lance le format 30 secondes alors que les broadcasters ne jurent plus que par le 20 secondes comme nouvel indice de référence et il accélère sur l’écran TV alors que ces derniers développent leurs applications enrichies, notamment en CTV.”
Une convergence que le passage de la pub TV au CPM, poussé par TF1 et M6 à l’horizon 2024, ne ferait qu’entériner, en permettant aux chaînes TV d'être jugées sur les mêmes critères que les plateformes de vidéo en ligne. Une bascule qui n’est pas sans risque pour les chaînes de TV alors que, comme le rappelle Emmanuel Crego, “Google a la capacité, de par son volume important, de proposer des CPM qui peuvent très agressifs sur Youtube.” Jusqu’à 4 ou 5 euros du CPM pour un pré-roll sur écran TV.” C’est largement en dessous des tarifs de la catch-up et c’est, si on convertit les GRP de la TV en CPM, moins cher que les tarifs des chaînes, surtout sur les populations les plus jeunes (qui sont plus rares donc plus coûteuses en linéaire).
Les chaînes de TV courent le risque de perdre des parts de marché lorsque les agences médias auront, grâce à la démocratisation du CPM, les moyens de faire des arbitrages entre TV linéaire et vidéo en ligne. “Elles auront beau mettre en avant d’autres KPI (efficacité, attention...) pour valoriser le linéaire, il existe quand même un risque que certains acheteurs se cantonnent uniquement au CPM comme point de comparaison, aussi limitant soit-il”, prévient Emmanuel Crego. Il faudrait, pour rendre cet arbitrage impartial, que Youtube rejoigne également la mesure d’audience TV, Mediamat, comme il l’a fait aux Etats-Unis. Le ticket d’entrée, quelques centaines de milliers d’euros par an, n’est pas un frein.
L'enjeu du contenu non UGC
Youtube, leader de la pub TV de demain ? Il a en tout cas pas mal d’arguments pour. Certains que l’on connaît de longue date : une marque référente, qui a un reach colossal et des capacités de ciblage inégalées. D’autres sur lesquels la plateforme a beaucoup travaillé. A commencer par la qualité du contenu qui y est proposé. Le vrai talon d’achille d’une plateforme qui est, par nature, UGC (user generated content) et qui n’a, par le passé, pas été épargnée par les scandales de brand safety.
C’est évidemment rédhibitoire pour des annonceurs TV qui ont l’habitude d’associer leurs publicités à des programmes qui ont pignon sur rue (Koh Lanta, Pekin Express et cie) et qu’on imagine plus difficilement sauter le pas. “Il y a effectivement une barrière à faire sauter, reconnaît Emmanuel Crego. En tant qu’agence média, on peut plus facilement ‘vendre’ un replay que le directeur marketing connaît par cœur plutôt qu’un contenu Youtube en provenance d’un créateur dont il n’a jamais entendu parler”.
C’est vrai, même si Youtube s’appuie aujourd’hui sur quelques têtes de gondole (Mr Beast aux Etats-Unis, Squeezie en France) qui produisent des programmes qui n’ont plus grand-chose à envier à ceux de la télévision. Des têtes de gondoles que rien n’empêche néanmoins d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte… Raison pour laquelle Youtube a décidé d’aller voir hors des frontières de l’UGC.
Youtube a lancé deux produits qui reprennent les "bonnes vieilles" recettes de la TV aux US : Youtube TV et Youtube Primetime Channels
La plateforme a d’abord tenté l’expérience de la programmation originale, via son programme de financement de créateurs Youtube Originals. Avant de faire marche arrière début 2022, les montants alloués étant drastiquement réduits. Elle a également lancé deux produits qui répliquent les recettes de la “bonne vieille TV.” Youtube TV, une offre qui réunit une centaine de chaînes live aux Etats-Unis (ABC, CBS, FOX, NBC et ESPN on Youtube TV pour 72,99 dollars par mois) et Youtube Primetime Channels, qui permet aux utilisateurs de visionner d’autres services de streaming directement au sein de la plateforme, comme sur Prime Video. Pas de Netflix, Prime Video ou de Disney+ (ça n’arrivera sans doute jamais) mais une quarantaine de services de SVOD tiers 2 comme Paramount+, AMC+, ViX+ et STARZ. Youtube vient d’abaisser le taux de commission qu’il prélève auprès des acteurs de SVOD de 10 points, pour rendre son service plus attractif que celui de Prime Video.
Le nouveau PDG de Youtube, Neal Mohan, ne s’en cache pas : “Les viewers veulent pouvoir regarder tout ce qu’ils aiment au même endroit. Et c’est endroit, c’est Youtube.” Un Youtube qui peut, en prime, profiter de son empreinte mondiale pour s’inviter sur la plupart des télécommandes des smart TV. Emmanuel Crego l’a rappelé dans une récente chronique pour Minted, l’avènement de la TV connectée occasionne une sérieuse bataille de distribution alors que des boutons dédiés à Netflix, Amazon Prime et donc Youtube fleurissent sur nos “zapettes”, aux côtés des chiffres des chaînes historiques.
Youtube s'est lancé dans la bataille pour les droits sportifs
Qu’importe que Youtube soit à l’origine du contenu, l’important c’est de devenir l’application sur laquelle les téléspectateurs se rendent pour regarder des films ou des évènements sportifs. Parce que Youtube a, à l’instar de Prime Video (qui diffuse une partie de la Ligue 1 et de Roland Garros en France), lui aussi jeté son dévolu sur le secteur. La plateforme a déboursé près de 2 milliards de dollars par an pour diffuser le NFL Sunday Ticket, rendez-vous dominical des fans de football américain. “Bientôt, les annonceurs pourront toucher les fans de football via l'ensemble des contenus NFL de YouTube, qu'ils regardent des matchs en direct sur YouTube TV et les chaînes Primetime, ou qu'ils regardent des temps forts, des commentaires d'après-match et d'autres contenus connexes sur YouTube.”
Une approche multi-touch qui rejoint la délinéarisation évoquée par Rodolphe Belmer, tout en permettant à la plateforme de mettre un pied dans ce qui fait la force de la TV, le live. “La TV, ça reste à date le seul média qui offre un tel reach instantané, plusieurs millions de personnes à un instant T, aux marques, qu’elles peuvent facilement monter en couverture”, rappelle Emmanuel Crego.
“Youtube se positionne historiquement comme un complément de la TV mais on peut se demander, au vu des annonces récentes, s’il n’a pas la volonté de s’inscrire un peu plus en frontal”
“Youtube se positionne historiquement comme un complément de la TV mais on peut se demander, au vu des annonces récentes, s’il n’a pas la volonté de s’inscrire un peu plus en frontal”, résume Paul Ripart. Vous en doutez encore ? Je vous propose de jeter un oeil à l’unique case study mis en avant par la plateforme américaine lors de son Brandcast. Youtube a communiqué sur le cas de Hershey, un annonceur dont le ROI a crû de 65% après avoir diffusé des campagnes vidéo sur sa plateforme (source Nielsen MMM). Et l’Américain de se féliciter que “Youtube délivrait un ROI supérieur à celui de la TV et des autres plateformes vidéo.” Avant de conclure, histoire qu’on ait vraiment aucun doute, “qu’il n’y a pas de meilleur lieu pour un annonceur qui veut se connecter avec ses audiences et générer de la performance.” La suite au prochain épisode.
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