Retail media : les prédictions de Minted pour 2023
Nicolas JaimesDans le brouillard que traverse notre secteur, l’une des rares certitudes : 2023 sera l’année de la confirmation pour le retail media. Une pratique qui a explosé en 2022, pour atteindre les 100 milliards de dollars d’investissements dans le monde (contre… 20 milliards de dollars à la CTV dont on parle pourtant au moins autant) et qui fera évidemment encore mieux cette année. Il faut dire que tous les voyants sont au vert, entre la disparition des cookies tiers de Chrome en 2024, qui rendra la donnée transactionnelle des retailers encore plus précieuse, et le contexte économique hyper tendue, qui contraint les marketeurs à être encore plus vigilants sur le ROI de leurs campagnes branding. Quitte à faire de l’awareness, autant le faire sur le point de vente. Voici, selon nous, les grandes tendances structurantes du secteur pour cette nouvelle année.
Des standards pour continuer à grandir
Pour atteindre les 160 milliards de dollars de revenus promis par GroupM à l’horizon 2027, le secteur du retail media va devoir passer à la vitesse supérieure. “On va avoir besoin de standards”, prévient Nicolas Rieul, MD Southern Europe chez Criteo. D’abord, des standards sur les formats. Un sujet sur lequel l’IAB US va se pencher, avec une task force dédiée en 2023, à laquelle participeront Arick Abbou et Tanguy Le Falher, tous deux membres de la commission retail media d’Alliance digitale, pour faire entendre la voix de la France. L’objectif, c’est d’harmoniser un secteur qui est hyper décousu, comme l’a déjà fait l’IAB sur l’Open Web, avec son portfolio de formats standards et, grâce à cela, faciliter la vie des annonceurs qui n’auront plus à découper leur campagne en autant de formats que de retailers avec lesquels ils travaillent. Date de rendu espérée ? Début 2024.
Cette recherche de standards concernera aussi la mesure, dont le manque d’harmonisation est un autre frein aux investissements retail media, comme le rappelait la task force consacrée par Alliance digitale au sujet. Prenons le ROAS (return on ad spend), soit les revenus générés par une camapagne, divisés par son coût. Chacun a sa méthode de calcul. “On a un acteur qui va faire une division budget média sur chiffre d’affaires généré, un autre qui va rajouter les frais de set-up et de créa à l’équation, illustrait pour Minted la co-fondatrice de datagram, Florence Bréban. Rien n’est homogène et les annonceurs se retrouvent à comparer des choux et des carottes au moment de consolider les reportings.
“Standardiser, c’est rendre plus visible un marché hyper fragmenté”
C’est problématique et c’est quasiment systématique en retail media. Prenons un autre concept, dont on pourrait se dire qu’il ne fait pas débat : le sacro-saint client. Pas besoin de pinailler non ? Un client est une personne qui achète chez vous, point final. “Sauf que pour le distributeur X vous ne serez plus considéré comme client passé un délai d’un an sans achat quand chez le distributeur Y ce sera passé deux ans”, prévient Gauthier Dupont, fondateur de Dnads. Pas anodin quand, comme c’est le cas des distributeurs, on fait la course au volume de clients encartés…
“Standardiser, c’est rendre plus visible un marché hyper fragmenté”, résume Nicolas Rieul. C’est précisément ce qui a fait le succès de Google et Facebook au mitan des années 2010 : permettre aux marques de toucher beaucoup de monde au sein d’un même environnement (et donc gagner beaucoup d’argent). Et c’est ce que des networks comme Criteo ou CitrusAd, le réseau retail media du groupe Publicis, espèrent réussir à faire en 2023 pour contrecarrer la domination d’un Amazon, qui pèse 85% de part de marché en Europe continentale selon l’IAB Europe. Parce qu’en retail media comme dans la pub en ligne : plus vous êtes gros, plus l’effet levier entre votre chiffre d’affaires e-commerce et votre activité retail media est important. “C’est hyper précieux pour un industriel d’aller voir un Criteo, qui lui garantira de toucher la majorité des retailers français”, illustre Gauthier Dupont.
Criteo - CitrusAd : un choc des titans… et quelques arbitres
Le duo Criteo - CitrusAd devrait continuer à animer l’actualité retail media cette année. 2022 a vu l’arrivée de ce nouveau concurrent de taille pour Criteo sur le marché français. Un concurrent qui l’a emporté sur deux appels d’offres - Kingfisher et Veepee - l’année dernière même si Criteo, qui équipe 17 des 31 sites des retailers identifiés par Alliance Digitale en France, n’est pas en reste et a, lui aussi, quelques belles victoires à son compteur sur la période (Sephora, Mano Mano, Lowe, Mediamarkt, Deliveroo..).
2023 devrait prolonger cette belle émulation pour un secteur qui en manquait cruellement. Parce que CitrusAd est dans une politique de conquête, d’où des tarifs très agressifs. Mais aussi, et surtout, parce que l’offre de CitrusAd a pris une toute autre dimension, en fin d’année dernière, à l’occasion de l’annonce de la création d’une joint-venture avec Carrefour. Carrefour qui utilisait la technologie de Criteo pour sa monétisation on-site et lui a donc signifié, au passage, la fin de cette collaboration une fois le contrat arrivé à échéance, fin 2023.
2023 devrait aussi permettre à l’alliance CitrusAd - Carrefour de poser les jalons de la nouvelle entité. On peut s’attendre à ce que son nom, son dirigeant et, peut-être même, ses premiers clients, soient communiqués d’ici la fin du 1er trimestre. À partir de cette date, la nouvelle structure aura toute latitude pour répondre à des appels d’offres, qu’ils concernent uniquement l’aspect techno ou la techno + la régie commerciale. L’objectif est ambitieux, comme le rappelait Thibault Hennion, MD international operation chez Epsilon, “construire un réseau d’une dizaine de grands distributeurs qui devient la pierre angulaire du retail media en Europe continentale.” Un objectif qui se heurtera évidemment aux velléités de Criteo, qui espère, lui, tripler son activité retail media d’ici 2025, et insiste sur son positionnement tiers de confiance “neutre et agnostique” pour garder une longueur d’avance. Arguant, notamment, que certains retailers ne seront pas à l’aise avec l’idée de travailler avec une société qui appartient à un concurrent potentiel.
L'appel d’offres Auchan comme premier gros rendez-vous
C’est évidemment le cas d’Auchan, appel d’offres qui aurait dû avoir lieu à l’été 2022, finalement décalé à 2023. CitrusAd part évidemment de loin, tout comme RelevanC (du fait de son affiliation à Casino). Reste le partenaire historique (et grand favori ?) Criteo. Et, peut-être, PromoteIQ, technologie retail media du groupe Microsoft, désormais directement intégrée à la plateforme de ce dernier, pour permettre aux annonceurs en tous genres d’y diffuser de la publicité. D’autres duels suivront, même s’il est difficile d’y voir clair, beaucoup de décisions se prenant hors appels d’offres, qu’il s’agisse des renouvellements comme des lancements d’activité retail media. “Il y aura du mouvement”, promet un connaisseur du secteur. Et de la concurrence, notamment chez les retailers dont l’activité marketplace est stratégique, avec Mirakl Ads, technologie spécialisée dans le retail media pour marketplaces (mais qui ne fait que du search sponsorisé) et RelevanC qui, depuis l’arrivée de Cyrille Geffray, s’est lui aussi positionné sur ce créneau (article à suivre sur Minted).
Une reprise de contrôle par les plus gros retailers
Cdiscount avec Cdiscount Advertising, Casino et Intermarché avec Infinity Advertising, Carrefour avec Carrefour Links, Fnac - Darty avec Retailink ont donné le “la”. Tous gèrent désormais 100% de la demande liée à la monétisation de leur donnée publicitaire on-site et en extension d’audience (ou sont en passe de le faire, Carrefour récupérant la monétisation on-site des mains de Criteo fin 2023).
Pas une surprise à en croire Elie Aboucaya et Marianne Schneider, anciens de Storetail (technologie de retail media on-site rachetée par Criteo en 2018), qui accompagnent aujourd’hui des retailers dans leur stratégie retail media. “Rejoindre un network comme celui de Criteo est un excellent moyen de mettre le pied à l’étrier, sans avoir à investir, mais cela contraint les retailers à entrer dans une phase exacerbée de standardisation de leurs formats”, résume Elie Aboucaya. Le discours tenu (à raison) par Criteo, CitrusAd et autres networks est le suivant : le meilleur moyen pour un retailer d’entrer dans le plan média d’un industriel, c’est de coller aux formats qu’il utilise en priorité. “C’est vrai mais est-ce que ça empêche ledit retailer de proposer, en complément, des formats innovants ? Evidemment que non ! La standardisation ne doit pas empêcher la créativité”, estime Marianne Schneider.
Le problème, c’est que c’est très compliqué, voire impossible à faire, quand on est complètement dépendant d’une régie tierce et de sa technologie qui n’est, par essence, pas “custom friendly”. Et ça l’est d’autant plus quand cette technologie, également présente côté demand, concentre le gros de ses développements R&D à des produits pensés pour les marques (ceux qui détiennent les cordons de la bourse).
C’est évidemment préjudiciable pour le retailer qui, pour se différencier sur son offre retail media, n’a plus que sa part de marché… et ses CPM. “Cette approche network a renversé le rapport de force entre retailers et industriels”, estime Elie Aboucaya. Ce sont, dans le cadre des négociations commerciales, les premiers qui ont l’ascendant. Ce sont, dans le cadre des échanges retail media, plutôt les seconds qui le reprennent, puisqu’ils peuvent plus facilement faire jouer la concurrence via ces grandes plateformes.
Les retailers les plus matures ont d’autant plus intérêt à internaliser leur activité retail media que cela leur permettra de se reconnecter à leurs partenaires historiques - les industriels - plutôt que d’outsourcer cette relation à un partenaire tiers. Crucial alors qu’en l’état, le retail media est trop souvent déconnecté du business. “L’état des stocks ou la mise en place de promotions sont autant de leviers d’amélioration de la performance publicitaire, rappelle Christophe Blot, dirigeant de Cdiscount Advertising. Ils sont pourtant étrangement absents du retail media.” Il est évident que le commercial d’une régie retailer, en relation directe avec son collège acheteur, pourra plus facilement accéder à des informations importantes concernant la marque, comme ses temps forts commerciaux. Et la mettre à profit dans le cadre d’actions retail media. “Plus la régie est externalisée, moins elle sera connectée au core business. Le risque, c’est que les gens ne se parlent pas et que les animations commerciales ne soient pas intégrées au retail media”, résume Gauthier Dupont.
“Plus la régie est externalisée, moins elle sera connectée au core business. Le risque, c’est que les gens ne se parlent pas et que les animations commerciales ne soient pas intégrées au retail media”
“Cette reprise en main par les retailers est une vraie tendance globale”, observe Marianne Schneider. “Une tendance lourde… mais avec la lenteur que l’on connaît aux retailers”, s’amuse un connaisseur du secteur. Donc peut-être pas pour tout de suite (promis on tiendra les comptes en fin d’année) et surtout un sujet pour une poignée d’acteurs (top 20 - top 30). “Cela fait partie de la courbe de maturité des plus gros”, complète Nicolas Rieul qui rappelle que la commercialisation de l’inventaire reste, chez Criteo, un service en plus, pour ceux qui sont intéressés. “On s’adapte !” C’est précisément ce qu’a fait Criteo aux Etats-Unis lorsque Lowe, qui déléguait la commercialisation de son inventaire à l’adtech française et à CitrusAd, a décidé de reprendre la main. Criteo en est devenu le partenaire technologique exclusif.
Quelques écueils à cette tendance malgré tout. L’inertie des retailers, dont on a déjà parlé. Mais aussi leurs difficultés à trouver les bons profils pour muscler leur activité de régie. C’est la même problématique qui s’est posée aux annonceurs qui ont internalisé l’achat média. Pas évident de trouver les bons talents et de les fidéliser. A tel point que certains ont dû faire marche arrière. Autre sujet : la relation aux agences médias. “Un autre monde”, s’amuse Arick Abbou, commerce director chez iProspect. Un monde que Criteo a, lui-même, mis du temps à décoder et que les régies retailers, qui n’ont pas toujours les profils pour, auront sans doute encore plus de mal à apprivoiser.
Quitte à faire des compromis ? “Pourquoi pas imaginer des set-up hybrides : les industriels en direct, les agences médias chez le partenaire technologique”, suggère Elie Aboucaya. “Il peut y avoir un peu de co-commercialisation, notamment sur les produits agency driven”, convient Nicolas Rieul. “Il faudra en tout cas que les retailers fassent de gros efforts d’UX sur leurs outils self-service et qu’ils forment les marques pour, s’ils veulent réussir à leur proposer des environnements efficaces et sophistiqués”, prévient le CEO de Mediarithmics, Gilles Cheletat. C’est ce qu’a fait Retailink, la régie de Fnac - Darty, avec son portail en self service pour les marques.
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