Pourquoi Mirakl ne fera pas (tout de suite) de miracles dans le retail media
Nicolas JaimesCe n’est, pour qui suit Mirakl depuis quelques années, pas forcément une surprise. L’éditeur de marketplaces se lance dans le grand bain du retail media, avec le déploiement d’une offre baptisée Mirakl Ads. L’objectif ? Permettre aux e-commerçants équipés d’une marketplace opérée par Mirakl de créer des emplacements publicitaires pour les marques qu’ils distribuent en propre, ainsi que pour leurs vendeurs tiers. Ces derniers pourront donc, depuis une même interface, piloter leur activité organique (gestion du catalogue, suivi des ventes) et publicitaire (stratégie d’enchères sur les résultats sponsorisés et suivi des performances). L’activité est confiée à Jean-Gabriel de Mourgues, ancien de Casino (où il a participé au développement de l’activité Drive) et d’Amazon (où il a géré l’activité marketplace en Amérique du Sud).
Ce n’est pas vraiment une surprise car “ce déploiement permet à Mirakl d’aller chercher de la croissance en se positionnant sur un marché qui devrait peser 160 milliards de dollars dans le monde en 2027”, rappelle Arick Abbou, associate director chez iProspect France. Cela permet à ses clients retailers de faire de même, en allant, qui plus est, sur un secteur (la publicité), où les marges sont bien plus importantes que leur activité historique, l’e-commerce. Mirakl ne s’en cache pas, qui rappelle dans son communiqué d’annonce que ses clients e-commerçants n’ont, dans ce contexte macro-économique compliqué, qu’un mot d’ordre : la rentabilité.
Spontanément, on se dit que cela fait un nouveau concurrent de taille pour Criteo et Citrus Ad (qui a annoncé la semaine dernière une alliance retail media avec Carrefour). Car Mirakl dispose de plusieurs avantages. D’abord du cash, avec une levée de 555 millions de dollars réalisée en septembre 2021, qui peut lui permettre d’investir sans trop regarder à la dépense. Mais aussi un énorme carnet d’adresse puisque la licorne revendique plus de 300 clients dans le monde, dont pas mal de pointures. Et que Mirakl précise que les e-commerçants qui ont recours à sa plateforme publicitaire auront, en plus, un accès privilégié aux vendeurs tiers pré-qualifiés de sa plateforme de mise en relation, Mirakl Connect.
En France, on peut citer Carrefour, La Redoute, Darty, Leroy Merlin ou encore Maisons du Monde parmi les e-commerçants dont la marketplace est opérée par Mirakl. Tous, à l’exception de Maisons du Monde, sont clients de la retail media platform de Criteo. Même si Carrefour va faire la bascule en 2024, en s’alliant à Citrus Ad. Ces retailers peuvent-ils être intéressés par l’offre de Mirakl ? Peut-être, répond Jack Ibanez, head of search media chez Veepee Ad, dans un post LinkedIn. “Certains clients de Criteo sont déjà en train de déployer leur plateforme retail media, ce qui signifie qu'il y a déjà eu un bon transfert de compétences sur tout ce qui touche au média. Cela pourrait pousser certains d’entre eux à délester Criteo de la monétisation de leur inventaire on-site pour confier cette activité à Mirakl.” Une décision qui s’expliquerait notamment par leur volonté de reprendre leur indépendance sur le sujet retail media. Une décision qui serait, en plus, facile à mettre en œuvre vu que, comme le rappelle Lawrence Taylor, fondateur de Retail 4 Brands, “l’intégration de la technologie retail media, souvent très compliquée, sera facilitée puisque Mirakl bénéficiera de connexions techniques et humaines.”
Pas de force de vente ou de display
Quelques obstacles toutefois. L’absence de force de vente. Or le succès d’une plateforme de retail media dépend autant de l’efficacité de sa technologie et de ses formats, que de sa capacité à ramener du business. Là-dessus, Criteo n’a pas d’égal alors que Citrus Ad fait, lui, le pari de la joint-venture avec Carrefour pour lutter à armes égales. L’inventaire publicitaire sera un autre point faible. Mirakl Ads ne propose qu’un format : le search sponsorisé. Sans doute parce que c’est celui qui se rapproche le plus de son activité historique. C’est compréhensible mais c’est, même si le search sponso est le principal canal du retail media, problématique. Car bosser avec Mirakl Ads, c’est donc, à court-terme, se couper des formats display on-site et off-site (activation de la donnée retailer en extension d’audience). Impossible que les retailers mentionnés plus haut, dont l’inventaire sponsorisé sature, l’acceptent.
On peut imaginer qu’ils décident de couper la poire en deux. En mettant Mirakl Ads en compétition avec Criteo ou Citrus sur le search sponso, tout en confiant le reste à l’un de ces deux derniers. Dans cette configuration, le retailer se dit qu’il fait jouer l’émulation comme le fait Amazon Ads avec sa supply 1st party et sa marketplace. Criteo et Citrus lui garantissent un accès aux gros industriels, Mirakl Ads, qui est très bien connecté à des plus petits industriels (les revendeurs de marketplace sont souvent de petits acteurs), au reste. “Si leur solution fonctionne en self-service et est très intuitive, cela peut fonctionner”, estime un expert du secteur. En théorie, oui. Dans la réalité, c’est moins sûr. Parce que le retail media n’a pas 10 ans d’ancienneté comme son “grand frère” du display programmatique et que, faute d’ad-server tiers, il faudrait mettre sur pied une surcouche technologique pour réaliser la mise en compétition des enchères. “Or, c’est très compliqué à construire”, prévient un acteur du marché.
“Personne n'acceptera de splitter son business retail medai en deux. Le marché est encore naissant, nous avons besoin de simplicité"
C’est d’autant peu probable d’imaginer un retailer se lancer dans un tel chantier qu’il lui faudrait accepter, une fois cet écueil soulevé, de splitter son activité entre deux technologies qui auront des statistiques différentes, des mesure non unifiées et, peut-être même, des forces de ventes séparées. “Personne ne l’acceptera, estime un gros retailer français. Le retail media est encore naissant, nous avons besoin de simplicité.” De fait, les exemples de sites e-commerces qui sollicitent deux sources de demandes pour un même inventaire sont très rares. “On a quelques cas aux Etats-Unis et ça ne marche pas très bien”, confirme un patron de techno présent outre-Atlantique. Pas forcément une piste pour Mirakl donc alors que la plateforme collabore avec des pointures comme BestBuy, Macy’s, Bloomingdales ou encore Kroger là bas.
S’il veut conquérir de gros retailers, Mirakl devra donc enrichir sa palette publicitaire. L’acquisition de Target2Sell, réalisée début 2022, pourrait l’y aider. Il ne serait pas surprenant de voir les dirigeants de Mirakl décider d’appliquer les algorithmes de personnalisation de Target2Sell à leur activité publicitaire et, ce faisant, proposer des publicités display personnalisées. C’est, après tout, exactement ce qu’a fait Criteo, il y a 10 ans, en passant de la recommandation de contenus au retargeting.
En attendant, il va leur falloir être patient. Sans doute que Mirakl Ads se positionnera essentiellement sur la longue traîne des petits e-commerçants utilisateurs de marketplace qui seront, eux, déjà bien content d’accéder à de l’incrément de business. Criteo et le duo Carrefour - Publicis se tireront la bourre sur les retailers "tiers 1" alors que Criteo aura le champ libre sur le "tiers 2" (Carrefour - Publicis essayant de faire une alliance de numéros 1). On ne cesse de vous le répéter, il y a de la place pour tout le monde sur ce marché. Pour l’instant du moins.
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