Pourquoi les financial media networks sont la prochaine vague du retail media
Nicolas JaimesEt maintenant ce sont les banques qui se mettent au retail media… Du moins trois d'entre elles puisque Chase Bank, Revolut et BoursoBank ont communiqué, ces derniers mois, sur le lancement d’une offre dédiée. On vous explique dans cet article les atouts... et les obstacles auxquels ces acteurs vont faire face dans leur volonté de devenir des financial media networks.
Du nouveau dans le secteur du retail media puisqu'une nouvelle typologie d'acteurs, les banques, commence à mettre sur pied des structures dédiées.
Revolut a ainsi recruté un ancien de TikTok pour diriger une régie d’une trentaine de personnes dont elle espère qu’elle lui rapportera 300 millions de livres à horizon 2026. “Nous pourrions devenir un média… Parce que nous avons une audience et une data autour de cette audience que nous pourrions monétiser”, expliquait au Financial Times, le CRO de la néobanque, Antoine Le Nel. Reprenant, au passage, les fondamentaux mêmes du retail media.
C’est encore plus concret chez Chase Bank, qui est tout de même la plus grosse banque de détail aux Etats-Unis, et qui a lancé Chase Media Solutions pour permettre aux annonceurs de cibler ses 80 millions de clients. “Avec les données de transaction appartenant à Chase, les marques et les agences peuvent cibler avec précision les clients à grande échelle (par exemple en ciblant les nouveaux clients, ceux qui ne le sont plus ou ceux qui sont fidèles)”, expliquait la banque US dans un communiqué d’annonce.
De quoi parle-t-on exactement ? D’offres promos qui vont être poussées auprès des clients de Chase, sur son site et son application, en fonction de leur historique de transaction. L’utilisateur n’a qu’à cliquer sur l’offre pour l’associer à sa carte bancaire et en profiter.
L'Américain Chase vise les 2 milliards de dollars de revenus publicitaires
Ce qui garantit une expérience sans friction pour ce dernier, tout en permettant à Chase de lier une exposition publicitaire à une conversion. Pas de doute sur l’attribution, ce qui permet à Chase de les facturer au coût par action. La banque vise 2 milliards de dollars de revenus via cette activité…
Chase surfe, tout comme BoursoBank qui a lancé son offre Bourso Brand Solutions, sur le succès de ce qu’on appelle, dans le jargon, les programmes de Card-linked offers (CLO).
“Des programmes qui permettent aux banques de proposer toute une série d’avantages à leurs clients, sous forme de cashback automatic ou bons d’achats”, détaille Jacquelin Becheau La Fonta. Paylead, structure dont il est co-fondateur, accompagne des banques comme la BNP, le Crédit Mutuel Sud Ouest, Bankin, Lydia ou encore Hello Bank dans la mise en place de programmes de ce genre. Programmes dont un acteur comme Uber a fait l’un des piliers de sa stratégie d’acquisition, à en croire Jacquelin Becheau La Fonta.
Celui de BoursoBank, “The Corner”, regroupe plus de 120 réductions partenaires. Des enseignes partenaires qui peuvent, depuis janvier dernier, booster la visibilité de leurs offres via toute une série de formats publicitaires : sponsored search, display et emailing auprès des 570 000 membres inscrits au programme The Corner.
Autant de membres pour lesquels elles disposent de données socio-démographiques, moments de vie et données transactionnelles (sur The Corner mais aussi via les dépenses de carte bancaire).
“Nous sommes capables d’identifier des intentions d’achat, par exemple un client qui a visité plus de X pages au sein de la catégorie vacances, ou des acheteurs d’une enseigne en particulier, par exemple un acheteur Carrefour qui va aussi chez Ikea”, précise le directeur de Bourso Brand Solutions, Benjamin Drocourt.
Plusieurs dizaines d’enseignes ont déjà activé des campagnes de trade marketing avec des résultats très satisfaisants. Et Benjamin Drocourt de nous donner quelques exemples : Verisure : + 820% visites et +305% leads, Zalando : +218% visites et +106% de dépenses.
eMarketer, toujours prompt à labelliser les marchés émergents, parle de “Financial media networks” au moment d’évoquer ces banques qui mettent sur pied une offre de retail media. Un phénomène qui, toujours selon eMarketer, devrait capter près de 1,5 milliard de dollars d’investissements publicitaires en 2026 (contre 350 millions en 2024 rien qu’aux Etats-Unis).
Cela reste peu par rapport aux 88,6 milliards de dollars que le retail media, dans son ensemble, devrait capter la même année, toujours selon eMarketer. Mais cela suffit à démontrer la pérennité d’un secteur qui est encore bourgeonnant. Mais qui devrait, à en croire Jacquelin Becheau La Fonta, décoller maintenant qu’on lui a mis un nom dessus. “C’est exactement ce qui s’est passé pour l’open banking”, rappelle l’expert.
Les banques ont un niveau d'informations sur leurs clients qui est inégalé
Il faut dire que les banques ont quelques atouts. A commencer par la qualité de leur data, qui ne se cantonne pas à un domaine d’activité, comme c’est le cas de celle des autres retailers qui se sont lancés dans le grand bain du retail media. Qu’il s’agisse de Carrefour (alimentaire essentiellement), d’Air France (voyages) ou d’Uber (mobilité).
Pour cause, les banques ont accès à toutes les transactions que réalisent leurs clients. Un niveau d’omniscience qui n’est égalé que par d’autres acteurs du paiement, comme Paypal, qui a lui aussi jeté les bases d’une offre de retail media en recrutant l’un des spécialistes du genre Mark Grether (l’homme qui a mis sur pied l’offre d’Uber en la matière).
Un enjeu d'image et de sécurité à dépasser
Les banques doivent, a contrario, composer avec quelques aléas. “Le retail media bancaire doit faire avec les enjeux d’image, de compliance et de sécurité spécifiques à ce secteur”, confirme Jacquelin Becheau La Fonta, pour qui les banques ne proposeront que des formats publicitaires en lien avec la fidélité. C’est un peu le même problème qui se pose aux telcos lorsqu’ils lancent un ID partagé ou qu’ils participent à l’essor de la TV segmenté. Risquer de nuire à l’image de la marque et au “core business” qu’est l’activité de banque de détail.
“Qui dit publicité, dit intrusion… Sur un site bancaire où vous êtes logué, je ne suis pas sûr que ce soit bien accueilli, quand bien même c’est vendu en gré à gré et non pas en open auction”, observe Erwan Lohezic, cofondateur de 3qtz. C’est ce qui explique que l’offre retail media des banques évoquées plus haut soit directement liée à leur programme de CLO. Tout simplement parce que ces derniers réunissent des gens qui ont donné leur aval pour recevoir des bons plans.
“Dès lors que vous proposez un vrai avantage aux clients comme avec le cashback automatique, l‘opt-in est généralement bien accepté”, observe Jacquelin Becheau La Fonta. Avec, évidemment, quelques limites à ne pas dépasser. “La frontière, c’est sans doute de dire : tu es allé chez E.Leclerc, tu aurais pu aller chez Carrefour pour bénéficier de telle offre. Là, c’est vraiment Big Brother... Les banques n’iront jamais dans cette direction”, illustre l’expert.
“Le fil conducteur, c’est l’intérêt du client”, rappelle, de son côté, Xavier Prin, le directeur marketing et communication de Boursorama. Plus celui-ci est mis au cœur de la campagne, plus le dispositif mis en place par Bourso Brand Solutions pourra être ambitieux. A l’inverse, les moins-disant auront peu de marge de manœuvre. “On ne veut surtout pas être déceptifs”, ajoute Xavier Prin.
Chez Bourso Brand Solutions, on réserve l’arsenal publicitaire aux marques membres de The Korner et “on va leur demander de booster l’avantage client, le temps de la campagne, plutôt que de prendre un billet de 20 000 euros”, explique Xavier Prin. La banque y trouve aussi son compte financièrement puisque la campagne doit permettre de booster les ventes et, avec elles, la commission d’affiliation qu’elle récupère.
Si aucune banque française ne s’est, à part BoursoBank, jetée dans le grand bain du retail media, c’est aussi parce que leurs offres de CLO sont encore balbutiantes. “Le marché français n’est pas aussi développé qu’aux Etats-Unis mais cela viendra”, observe Jacquelin Becheau La Fonta. Et de citer l’Observatoire de la maturité digitale des banques publié par Sopra Steria, qui révèle que la première attente des clients concerne les programmes de fidélité des banques (76% des citoyens Européens attendent en effet un programme de cashback automatique de leur banque).
Mettre en place un programme de CLO attractif peut permettre aux banques de s’assurer que leur carte reste la carte principale du client et d’augmenter les dépenses de ce dernier
Ce n’est pas une surprise dans un contexte où l’inflation explose et où les néo-banques imposent aux acteurs traditionnels de se différencier. “Mettre en place un programme de CLO attractif peut permettre aux banques de s’assurer que leur carte reste la carte principale du client et d’augmenter les dépenses de ce dernier”, rappelle Jacquelin Becheau La Fonta.
Paylead estime que la mise en place d’un tel programme peut augmenter de 13 points les dépenses des encartés. “C’est important de travailler la partie partenariat, les deals et le partage de valeur associé, comme dans toute pratique d’affiliation et d’avoir un tracking irréprochable, vu qu’on ne peut pas imaginer de tiers de confiance opérer”, confirme Erwan Lohezic.
La suite logique, c'est-à-dire la mise en place d’une offre de retail media, peut elle permettre aux banques d’aller chercher de nouveaux revenus avec, qui plus est, des niveaux de marge très confortables. Sous réserve d’être capable d’offrir aux annonceurs un certain reach.
C’est là où le bât blesse parfois. Tout simplement parce que le temps passé sur l’application bancaire est limité par rapport à celui de certains services d’e-commerce traditionnels. Et que celà a donc un impact sur l’inventaire disponible. “Bien que les institutions financières possèdent des données de paiement, elles ne disposent pas des mêmes inventaires publicitaires existants que les détaillants”, rappelle Lawrence Taylor, le fondateur de Retail4brands.
Du haut de ses 570 000 clients inscrits à The Korner, Boursorama ne revendique “que” 500 000 visites mensuelles. Avec une moyenne de 10 transactions par acheteur et par an qui a sans doute peu d’équivalent dans le secteur… mais qui reste trop faible par rapport à la récurrence d’achat de la plupart des retailers qui font du retail media.
Cette offre n’est qu’un pan de ce que la régie, “qui opère tout en interne, du tracking à l’activation”, peut proposer aux marques. Du haut de funnel, via des campagnes de branding sur Boursorama.com (le portail d’informations financière qui existe depuis des années), du milieu de funnel, via des offres de trade marketing auprès des utilisateurs The Corner et au sein de l’espace clients BoursoBank et du bas de funnel via du référencement sponsorisé au sein de la marketplace The Corner pour générer des ventes.
Difficile, en revanche, d’imaginer la régie lancer une offre d’extension d’audience, qui permettrait à des tiers d’activer sa donnée client sur l’Open Web ou au sein de plateformes sociales, pour les raisons de privacy évoquées plus haut. C’est d’ailleurs l’un des enjeux majeurs de la banque en 2024 : augmenter le ratio de clients inscrits à The Korner. “Une ambition qui se traduit par une forte mise en avant du programme dans les communications BtoC (affichage extérieur et TV)”, assure Xavier Prin.
Pour autant les banques ont d’autres atouts, que ce soit sur la donnée utilisée pour le targeting des campagnes mais aussi dans l’animation de son audience. "Quand tu reçois une communication de ton banquier, tu l’ouvres", illustre Jacquelin Becheau La Fonta, pour qui la banque offre un canal particulièrement efficace et privilégié pour une marque.
Et de nous donner l'exemple du caviste Nicolas qui a, suite à une campagne, vu sa part de portefeuille augmenter de 15 points et sa fréquence d’achat être multipliée par 1,7. "Le moment où un consommateur est dans son application bancaire, c’est le moment où il est le plus attentif à son portefeuille", poursuit Jacquelin Becheau La Fonta.
En France, il n’y a évidemment pas de banque qui a la taille de marché de Chase. Le Crédit Agricole et BPCE se tirent la bourre avec entre 15 et 20 millions de clients. La Banque Postale en cumule près de 10 millions. Les autres oscillent entre 5 et 10 millions. Raison pour laquelle un acteur comme Paylead aimerait centraliser cela. “On veut être le retail media network des banques”, explique Jacquelin Becheau La Fonta.
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