Jérémy Parola (Reworld Media) : “Je n’exclus pas que le secteur du display programmatique s’écroule d’ici trois ou quatre ans sur l'Open Web”
Nicolas JaimesMinted. Vous dites observer une bascule des audiences sur le Web. C'est-à-dire ?
Jérémy Parola (Reworld Media). La réalité, c’est que si l’on observe l’audience digitale des géants français de la presse, elle est, sur les deux dernières années, en chute chez la majorité d’entre eux. C’est une réalité à laquelle on peut uniquement échapper en procédant à des acquisitions, comme le fait Reworld Media !
Le temps passé sur le Web se déporte des médias traditionnels vers des grandes plateformes servicielles ou sociales. On le voit d’ailleurs dans l’évolution de notre activité d’opérations spéciales (OPS), qui plafonne sur nos sites mais a explosé sur les plateformes sociales. C’était à peine 8% de notre chiffre d’affaires en 2021, c’est monté à plus de 30% en 2022, tiré notamment par TikTok. Les historiques se rappellent que c’était le pari fait par Minutebuzz, il y a de ça 8 ans, lorsque ses fondateurs ont décidé de migrer tous leurs contenus sur les réseaux sociaux, anticipant ce phénomène. Sans doute trop un peu trop tôt !
Reworld Media a également multiplié les lancements de plateformes médias pour le compte de marques, comme Air France ou Velux, en 2022. Une tendance lourde ?
C’est une activité qui n’existait pas chez nous il y a deux ans et qui est, effectivement, en plein essor. On voit dans tous les cas une volonté croissante, chez les annonceurs, d’avoir une stratégie data 1st party, de créer des actifs digitaux, de faire du SEO, et de baisser leurs budgets acquisition. C’est d’autant plus important qu’ils sont pour la plupart intermédiés par des distributeurs, on et off, et qu’ils n’ont, dans ces conditions, plus aucune connaissance de leurs clients.
Les approches diffèrent parfois : chez Air France, c’est plutôt l’envie de créer du chiffre d’affaires publicitaire, grâce à une marque très forte et un programme de fidélité, Flying Blue, qu’il sera possible de qualifier via le contenu. Chez Velux, c’est l’ambition de se positionner comme un partenaire d’optimisation de l’espace personnel, via le site Rêve de combles, alors que le télétravail explose.
Combien de dispositifs de ce genre avez-vous vendus ?
Nous avons vendu 19 plateformes de marques l’année dernière. Elles ne sont plus hébergées au sein de nos assets médias mais restent, évidemment, opérées à 100% par nos soins. Nous ne sommes pas un cas isolé puisque nos concurrents, Webedia, Prisma Media, avec Ganz, ou Media.Figaro, avec 14H, surfent eux aussi sur cette tendance. Là où on essaie de se différencier, c’est en verticalisant cette approche. Nous n’avons pas une agence qui répond à tous les besoins mais autant de structures que de verticales : editorialink pour la maison, content squad pour le sport… Nous lançons une nouvelle plateforme média dans l’univers du food après avoir embauché le cofondateur de Marmiton, une marque qui a d’ailleurs rejoint notre groupe au moment du rachat de Unify.
Le content commerce est un autre des axes de développement de Reworld Media en 2023, me disiez-vous…
Oui et le rachat d’Unify nous a permis de devenir le leader de ce secteur puisque nous avons récupéré, au passage toute l’activité des Numériques en la matière. On en est encore aux débuts mais le potentiel est énorme. Un groupe média comme Future réalise déjà 250 millions d’euros de chiffre d’affaires là-dessus au Royaume-Uni. Nous voulons donc accélérer sur ce sujet, avec une équipe de 17 personnes qui pilote cela pour le compte de nos 80 sites.
"Nous avons réalisé près de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le content commerce en 2022 et voulons faire x4 voire x5 cette année"
Nous avons lancé une plateforme content to commerce fullstack, que nous mettons dans les mains des collaborateurs de nos différentes marques médias pour les aider à rendre, de manière quasi automatisée, leurs contenus shoppables. Un outil d’aide à la décision qui va, par exemple, leur permettre de mettre en avant le vendeur le plus performant sur le KPI de leur choix, qu’il s’agisse du prix ou du taux de transformation. Nous avons réalisé près de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le content commerce en 2022 et voulons faire x4 voire x5 cette année.
Un mot sur un sujet qui doit, selon vous, ne plus être tabou : la fin du programmatique display au sein de l’Open Web…
Ce n’est pas pour tout de suite mais on n’exclut pas que le marché s’écroule sur le moyen terme, d’ici trois-quatre ans disons. La réalité, c ‘est qu’il n’y a plus vraiment d’innovation dans ce marché et que les derniers lancements de start-up ou de produits sont hyper défensifs : pour trouver une alternative au cookie ou conserver l’inventaire adressable, par exemple. C’est la définition même d’un marché arrivé à maturité.
Arriver à maturité ne veut pas dire être condamné…
Regardons les options dont dispose ce secteur pour faire de la croissance. 1) Faire plus d’audience. Mais le problème c’est que, comme je vous l’ai dit en introduction, on est plutôt à la baisse. 2) Créer de nouveaux formats. Franchement, je pense qu’avec l’in-image on est arrivé au bout de ce qui est possible ! 3) Mettre plus de compétition, comme l’a fait le header bidding.
Vous l’aurez compris, on a épuisé toutes les options. Et c’est d’autant plus problématique que l’Open Web peine à être compétitif sur ce que les annonceurs recherchent aujourd’hui en priorité : brand awareness et performance. Et rien entre les deux !
En quoi est-ce un problème ?
Parce qu’ils estiment que les médias traditionnels ne répondent pas bien à ces deux objectifs. Je caricature à peine en disant que cette polarisation des objectifs marketing ne fera le bonheur que d’une minorité : la TV, la CTV et l’influence sur les plateformes sociales pour la notoriété, les GAFA… et encore les GAFA, pour le volet performance.
Comment y remédier ?
Peut-être en commençant à réfléchir à un monde sans display. A faire un pas de côté, pour essayer de trouver des alternatives, notamment en allant vers de la performance. Par exemple, arbitrer la gestion de son inventaire non plus au volume d’affichage publicitaire, comme ça se fait beaucoup, mais au clic sortant.
En clair, imaginer de nouveaux objets publicitaires qui ont vocation à faire du clic. Quelque chose entre le natif et le search, peut-être. Je pense que c’est important que les médias Web entament leur mue car beaucoup approchent de l'impasse. La preuve, c’est qu’à nos débuts, on achetait surtout des magazines print, en difficulté parce que leur audience baissait et leur inventaire publicitaire avec. Aujourd’hui, on commence à racheter des pure-players, comme Melty ou Unify, car ils sont, à leur tour, en difficulté.
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