Comment BeReal, nouveau chouchou de la Gen Z, peut s’éviter un destin à la Clubhouse
Nicolas JaimesUne fois n’est pas coutume, la success story de l’été tech était française. C’est en l'occurrence BeReal, un réseau social fondé en janvier 2020 par deux Français, Alexis Barreyat et Kévin Perreau, qui a atterri au sommet de l’App Store américain courant juillet. L’application est aujourd’hui la plus téléchargée dans une vingtaine de marchés, dont la France, l’Allemagne, l’Espagne ou l’Australie. BeReal, qui vous permet de partager une photo par jour (de vous et de ce à quoi vous faites face), compte désormais 10 millions d’utilisateurs quotidien selon The Information.
C’est cinq fois plus que son nombre d’utilisateurs en juin et c’est le fruit d’une croissance quotidienne de son audience qui était de l’ordre de 30%, juste avant l’été. Un ratio qui, s’il se maintenait à ce niveau, lui permettrait d’atteindre les 100 millions d’utilisateurs (objectif annoncé de l’application dans ses annonces de recrutement) au premier trimestre 2023.
Deux crédos : l'authenticité et la réciprocité
L’autre crédo de BeReal : c’est la réciprocité. Vous ne pouvez consulter la photo quotidienne de vos amis qu’à condition d’avoir vous-même posté. Autant un moyen de s’affranchir de la logique très “top - down” des réseaux sociaux qui regorgent d’influenceurs que de maintenir l’engagement de ses utilisateurs dans le temps.
BeReal, c’est un peu, comme Wordle ou HQ Trivia en son temps, l’occasion de se réunir virtuellement (et très brièvement) avec ses amis à un instant T chaque jour. Et c’est, à en croire l'un des investisseurs de BeReal, un concept très anglo-saxon. “Quand vous allez aux Etats-Unis, tout échange débute par un “bonjour, comment ça va ?” qui n’est pas feint. Les anglo-saxons sont très friands de ce concept de check-in."
BeReal est un moyen plus efficace de prendre des nouvelles de son réseau que ne l'est, par exemple, l'envoi de plusieurs messages WhatsApp. “C’est, d’un point de vue santé mentale, tout l’inverse d’un Instagram où l’on a vite fait de se laisser entraîner dans une spirale dépressive en scrollant les stories toutes plus belles les unes que les autres”, poursuit notre investisseur.
La success story est donc réelle mais, et Clubhouse en sait quelque chose, il n’est pas évident de maintenir les utilisateurs engagés, une fois passé l’effet curiosité. Le succès de l’application, qui permet à des utilisateurs de se réunir au sein de rooms audios, n’a pas survécu à la fin du confinement. Même sanction pour Poparazzi, champion éphémère de l’App Store US le jour de sa sortie, aujourd’hui relégué aux fins fonds du classement. L’App Store regorge de réseaux sociaux en tous genres, qui ont eu leur minute de gloire et BeReal ne fera pas exception s'il ne réussit pas à trouver la recette pour continuer à attirer des utilisateurs dans le temps.
Maintenir les utilisateurs engagés
C’est loin d’être évident à faire, quand on leur permet uniquement de partager une photo par jour. Parce que 5 jours sur 7 nous sommes la plupart du temps au même endroit (école, fac ou bureau) et que ce n’est pas un hasard si la vidéo, qui permet d'être beaucoup plus créatif, a supplanté la photo sur le Web. De sorte que l’on peut légitimement craindre qu’une majorité des utilisateurs ne se lasse de devoir partager chaque jour un peu la même photo et que leurs amis éprouvent le même sentiment en les regardant. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé à certains des utilisateurs français interrogés par Minted. A l’image d’Hugo, utilisateur de l’application entre juin 2021 et mars 2022, qui a décroché “à mesure qu’il y avait de moins en moins de monde qui postait sa photo.”
"Parce que 5 jours sur 7 nous sommes la plupart du temps au même endroit (école, fac ou bureau), BeReal peut lasser ses utilisateurs sur le long terme'
Pour éviter ce phénomène, BeReal doit donc enrichir sa proposition de valeur, sans pour autant transiger avec son AND. C’est, à en croire notre investisseur anonyme, un passage obligé dans la vie de tout réseau social. “On commence par une fonctionnalité, le filtre qui embellit chez Instagram, la photo éphémère chez Snapchat, et on en développe de nouvelles, qui s’inscrivent dans le prolongement de cette première promesse.” C’est ainsi qu’Instagram est passé d’un outil d’editing de photos à une plateforme où l’on peut partager ses photos. Avec le succès que l’on connaît.
A BeReal de faire de même, en gardant en tête ses deux credo que sont l’authenticité et la réciprocité. L’application travaille sur une fonctionnalité permettant de rendre ses photos visibles auprès des “amis d’amis” et inversement, selon Alessandro Paluzzi, ingénieur spécialisé dans la veille de nouvelles features sociales. Sans doute une ligne de crête puisque plus un utilisateur s’ouvrira à des gens qu’il ne connaît pas ou peu, moins il sera enclin à jouer le jeu. "Contrairement aux autres réseaux sociaux, je n'utilise BeReal qu'avec mes amis", reconnait d'ailleurs Marc, utilisateur allemand de l'application que l'on imagine peu tenté par la nouvelle fonctionnalité.
“Un bon réseau social, c’est comme un bon verre de vin, on aime en profiter à l’occasion mais on n’en abuse pas”
On peut imaginer qu’à terme, BeReal permettra également de basculer sur le format vidéo qui offre un territoire d’expression plus large que la photo. Ou encore que l'application propose des fonctionnalités qui lui permettent de faire venir ses utilisateurs un peu plus souvent qu'une fois par jour, quand ils reçoivent la notification les enjoignant à poster. Dans tous les cas, il lui faudra itérer, en multipliant les tests auprès de sous-segments d’audience, pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas, ce qui améliore la rétention des utilisateurs mais également leur satisfaction. “Un bon réseau social, c’est comme un bon verre de vin, on aime en profiter à l’occasion mais on n’en abuse pas”, estime notre investisseur. A BeReal de trouver le bon équilibre et de laisser ses utilisateurs avec toujours cette petite sensation de manque qui les incitera à revenir.
Trouver le bon modèle économique
Difficile pour un réseau qui prône l’authenticité d’opter pour un modèle publicitaire. Le concept même de publicité, où la marque se présente sous son meilleur jour, lui est antinomique. Cela n’a pas empêché certaines marques comme Chipotle de surfer sur le succès BeReal (la marque a partagé un code promo à ses 2 000 amis) mais l’application ne capte aucune valeur sur ces opérations d’influence advertising. Et on doute, de toute façon, qu’elle en ait envie.
Il est naturel d’imaginer BeReal faire le pari du payant, à l’image de Discord qui permet aux utilisateurs d’accéder à des fonctionnalités supplémentaires moyennant 9,99 dollars par mois
Il est donc naturel d’imaginer BeReal faire le pari du payant, à l’image de Discord qui permet aux utilisateurs d’accéder à des fonctionnalités supplémentaires moyennant 9,99 dollars par mois. Ou encore permettre à ses utilisateurs les plus célèbres ou créatifs de facturer l’accès à leur contenu, comme le propose historiquement OnlyFans et, depuis peu (c’est encore en beta), Instagram. A ceci près qu’au sein de BeReal, ils accepteraient vraiment de jouer le jeu, de montrer l’envers du décor glamour que l’on voit sur Instagram. En bref, de montrer qu’ils sont des êtres humains comme les autres. BeReal peut, dans cette perspective, s’inspirer des méthodes déployées par certains géants du Web 3, Yuga Labs ou Coinbase, pour attirer des célébrités dans ses filets et en faire des ambassadeurs zélés. Des ambassadeurs qui lui permettraient, en prime, de s'ouvrir à de nouvelles audiences. BeReal reste, du haut de ses 10 millions d'utilisateurs, un site de niche, essentiellement connu de la gen Z. Il lui faudra, à terme, se faire connaître des millennials, population à plus fort pouvoir d'achat, et donc plus encline à payer pour le service.
La bonne nouvelle, c’est que BeReal a le temps de prendre les bonnes décisions. Après une série A de 30 millions de dollars menée auprès d’Andreessen Horowitz, Accel et New Wave en 2021, BeReal a embrayé sur une série B qui le valorise près de 600 millions de dollars au cours d’un tour de table mené par DST Global au printemps dernier. Cela peut sembler élevé pour une entité qui ne dégage pas un euro de revenus. Comme toujours avec un réseau social, les investisseurs misent d’abord sur l’acquisition de l’audience, estimant qu’il sera toujours temps, une fois celle-ci consolidée, de réfléchir aux moyens de la monétiser. En comparaison, la série A de Clubhouse l’avait valorisé 1 milliard pour 2 millions d’utilisateurs début 2021. Un ratio de 500 dollars l’utilisateur mensuel contre 75 dollars pour BeReal qui rend donc l'investissement de DST Global "pas si élevé".
Survivre à la concurrence de Meta, Snap et TikTok
L’univers des plateformes sociales est un univers impitoyable où la moindre fonctionnalité à succès est copiée. Meta en a fait une marque de fabrique (pas toujours avec succès d’ailleurs). Qui se rappelle aujourd’hui que c’est Snap qui a inventé le format de vidéos éphémères ? Sans doute pas une bonne partie des utilisateurs d’Instagram, qui ne jurent aujourd’hui plus que par la story, délaissant le format photo carré de leur feed. Instagram, qui a également lancé le format Reels en s’inspirant de TikTok, planche déjà sur une fonctionnalité similaire à celle de BeReal, appelée Candid Challenges. Les utilisateurs d'Instagram recevront une notification pour prendre une photo dans les deux minutes à une heure différente chaque jour, selon une capture d'écran partagée par l'ingénieur Alessandro Paluzzi.
En annonçant le déploiement d'une fonctionnalité similaire, Snap est le plus à même de siphonner l'audience de BeReal, les deux applications partageant le même coeur de cible
Pas sûr qu’Instagram, qui est devenu une plateforme de moins en moins personnelle au fil des années (on n’y suit plus beaucoup de gens que l’on connait réellement), soit le plus à même de rivaliser avec BeReal. Difficile d’être authentique avec des gens que l’on connaît à peine. Snapchat, qui est beaucoup plus utilisé pour interagir avec ses amis, est lui une menace plus crédible. D'autant que BeReal et l'application fondée par Evan Spiegel partagent la même cible : les fameux 18 - 35 ans. En annonçant le déploiement de sa fonctionnalité “made in BeReal”, Snap pourrait siphonner l'audience de BeReal. On imagine que TikTok, même s’il s’agit moins d’un réseau social que d’une plateforme de divertissement, est lui aussi susceptible de faire de même en lançant une fonctionnalité similaire.
Charge à BeReal de survivre à cette concurrence de taille, sans transiger avec son ADN et en marquant sa différence. Pour éviter d’être victime de son succès comme un Clubhouse qui a perdu de son intérêt en même temps qu’il a accueilli de plus en plus de monde, parce qu'il s'éloignait de son principe fondateur qu’était l’intimité avec des speakers de haute volée…
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