Pierre Harand (fifty-five) et François Bracq (Google) : "L’IA générative n’opère pas par magie. Il ne suffit pas d’envoyer vos données en vrac et d’attendre une réponse pertinente.”
Nicolas JaimesMinted. Quels sont les chantiers sur lesquels les annonceurs vont avancer le plus en 2025, en matière d’IA générative ?
François Bracq. Je ne sais pas si le terme “avancer” est le bon… Je préfèrerais parler d’opportunités à saisir ! La première d’entre elles, c’est sur la gestion des flux produits. Avec l’IA générative, on peut enrichir et améliorer la qualité des données des flux produits. Prenons l’exemple de Google Shopping : un grand nombre de flux produits y sont rejetés, à cause de données incomplètes ou mal structurées. Ce qui représente évidemment un manque à gagner pour la marque concernée. En améliorant ces flux grâce à l’IA générative, on optimise la qualité des annonces, donc leur performance, et on obtient un meilleur ROI.
Un autre sujet, c’est la création d’assets publicitaires via l’IA générative, ce qui permet de réduire les délais de création, tout en augmentant très fortement les volumes de production.
Ce sont des choses qui sont intégrées nativement dans Performance Max, votre algo de diffusion des campagnes pubs au sein du réseau Google…
François Bracq. Oui mais pas que… On peut aussi citer l’outil Pencil de Brandtech.
Pierre Harand. Pencil est un outil SaaS conçu pour augmenter la productivité des agences créatives. Il fonctionne en recueillant des informations sur la marque (ses valeurs, ses produits, ses visuels, ses objectifs de campagne) et en générant automatiquement des créations adaptées au canal choisi (par exemple, YouTube). L’outil est branché aux outils d’achat du client pour intégrer des données de campagne et ainsi affiner ses prédictions sur les créations les plus performantes.
François Bracq. C’est aussi un bon moyen de se prémunir contre l’ad fatigue, où le fait que votre création publicitaire marche moins bien au bout d’un certain temps. C’est hyper précieux ! Tout comme le volet insights qui sera, à mon avis, un des grands sujets de 2025. L’IA générative peut aider un annonceur à extraire les informations qui l’intéressent à partir d’une masse de données.
Un exemple ?
François Bracq. Prenez NotebookLM qui permet à un utilisateur, via le modèle Gemini, de faire des requêtes sur un ensemble de sources/données qu’il a pré-sélectionnées.
Ce n’est pas un peu gadget cet outil qui permet de transformer des textes en podcasts ?
François Bracq. Pas que ! NotebookLM est un produit expérimental de Google qui combine un modèle de langage avec du contenu existant pour vous aider à obtenir des informations plus rapidement. Vous pouvez le considérer comme un assistant de recherche virtuel capable de résumer des faits, d'expliquer des idées complexes et de générer de nouvelles idées - le tout fondé sur les sources que vous sélectionnez. Je l’ai par exemple fait récemment avec le dernier rapport Draghi qui fait plus de 60 pages.
Fifty-five a déjà avancé sur le volet commerce avec la mise en place d’agents experts en flux produit. Comment cela fonctionne et pour quels résultats ?
Pierre Harand. Nous avons développé un agent expert en flux produit basé sur l’IA générative, déjà testé avec succès par Nespresso et Salomon, via notre outil propriétaire, SyMap.
Le cas d’usage est celui évoqué par François, améliorer la qualité des flux produits via l’IA générative. Pour rappel, un flux produit c’est un fichier qui rassemble les données catalogue d’un e-commerçant, données qui sont susceptibles d’être exportées au sein d’un outil d’achat publicitaire ou d’une marketplace. Données qui ont un problème chronique de qualité…
Prenons l’exemple de Salomon. Nous avons utilisé leur base de données produits pour créer un flux de meilleure qualité en combinant deux grands modèles de langage (LLM). Le premier génère le flux, le second réalise une vérification de la qualité. Mais cela ne se limite pas à envoyer toutes ces données et à demander à l’agent de se débrouiller avec. Il faut structurer les données en amont, définir un prompting précis et s’assurer que l’agent comprend bien les spécificités du client.
Sur plus de 700 produits répertoriés, nous avons mesuré des résultats exceptionnels. Nous avons notamment constaté une augmentation de 83% des ventes générées, pour à peine 22% de dépenses supplémentaires sur Google Shopping.
Pourquoi avoir dépensé plus ?
Pierre Harand. Plus vous avez une campagne performante, plus elle est visible et plus vous devez payer pour ces impressions. Vous êtes évidemment libre de plafonner le budget de votre campagne si vous voulez éviter cela.
On en est où du cycle de l’adoption de l’IA générative par les entreprises ?
Pierre Harand. Ça fait maintenant deux ans que ChatGPT est sorti du bois et je pense qu’on a aujourd’hui tous compris que l’IA générative allait bousculer pas mal de métiers. En 2023, on essayait d’abord de comprendre les usages. En 2024, on a vu les premiers cas pratiques en grandeur réelle.
En 2025, le sujet sera celui de la gestion du changement et l’adoption de ces outils. La technologie est là, mais l’adoption reste lente. Nespresso et Salomon sont des pionniers, mais beaucoup hésitent à y aller, c’est vrai…
Pour quelle raison ?
Pierre Harand. Il y a ceux qui disent “oui on a essayé mais ça n’a pas fonctionné”. Évidemment, ce n’est pas tant un problème de cas d’usage que d’exécution. Parce qu’ils sont encore nombreux à croire que l’IA générative, c’est magique. Qu’il leur suffit d’envoyer des données en vrac et de demander à l’outil de faire ça bien. Malheureusement non ! C’est un véritable savoir-faire.
François Bracq. C’est vrai qu’il y a, parfois, un peu d’illusion chez certains annonceurs. Il est important de réaliser qu’on ne peut pas créer un site e-commerce en 10 minutes, même avec l’IA générative !
Les annonceurs doivent le comprendre et s’y mettre sérieusement. Car ils ne sont pas en concurrence avec l’IA, mais avec ceux qui l’utilisent déjà. A ce sujet, il y a les pionniers qui créent un avantage concurrentiel en s’y mettant et ceux qui accumulent un retard stratégique.
C’est aussi une question de souplesse. Parce qu’on parle d’un sujet qui remet en question certains budgets, certaines habitudes de consommation qui font que les plus grands groupes ont dû mal à prendre ce virage là. Là où leurs challengers vont y aller avec enthousiasme.
J’imagine que le contexte économique actuel n’aide pas…
Pierre Harand. Le contexte économique n’aide pas non plus. De nombreux annonceurs réduisent leurs budgets et investissent prudemment dans l’innovation. Pourtant, des outils comme Pencil, qui est déployé chez une dizaine d’annonceurs, montrent leur efficacité : ils divisent par deux les délais et les coûts de production, tout en augmentant le volume des créations. Cela nécessite cependant un changement organisationnel : former les équipes, ajuster les processus… Les annonceurs en sont au tout début là-dessus.
J’en veux pour preuve que l’utilisation de Pencil est souvent outsourcée au sein de nos équipes, les annonceurs n’ayant pas les ressources nécessaires ou le temps de les former à ces nouveaux outils.
Quelles sont, selon fifty-five, les bonnes pratiques indispensables à la réussite d’un projet d’IA générative réussi ?
Pierre Harand. Chez Fifty-Five, nous avons identifié quatre piliers essentiels pour réussir. D’abord la people readiness, soit le fait de préparer les équipes et accompagner le changement. Cela reste un chantier crucial.
Ensuite la data readiness où la transformation digitale repose sur des bases de données solides et structurées. Prenons l’exemple de Pencil : pour maximiser ses performances, il faut une base de données adaptée en amont, ainsi qu’une analyse rigoureuse des performances en aval.
Sur Performance Max, on voit que le simple fait de passer de une à deux créations publicitaires permet de gagner 30 points de performance. Imaginez si on passait à 10 créas grâce à l’IA générative. Mais pour celà il faut bien comprendre quelle créa fonctionne et pourquoi. On parle, ici, de creative analytics.
Les deux autres piliers ?
Pierre Harand. La tech readiness, ou la mise en œuvre technique est clé. Cela demande des compétences spécifiques pour concevoir et déployer des projets basés sur l’IA générative.
Et puis il y a le sujet de la gouvernance. Car avec lla multiplication des agents IA, il faudra structurer leur supervision, leur performance et leur accessibilité. Nous imaginons un monde où chaque entreprise utilisera une quinzaine d’agents IA génératifs. Se posera alors la question de qui peut y accéder, qui peut les modifier et, surtout, qui peut les superviser…
François Bracq. Les grands modèles de langage (LLM) atteignent un plateau en termes de performance. L’avenir réside dans leur utilisation plus efficace, notamment via des agents spécialisés.
Quid de l’impact environnemental de l’IA générative. C’est un sujet qui est cher à fifty-five et pour lequel on a peu de données…
Pierre Harand. Ça tombe bien, on travaille à la publication d’un bilan carbone de l’IA générative avec le Shift Project. Bien que, je vous le concède, le sujet est ardu. Parce qu’on manque de données pour nourrir les modèles et qu’il est difficile d’évaluer les effets rebonds.
Oui, une création pub générée via Pencil génère moins de carbone qu’une création pub qui a impliqué d’envoyer une équipe en tournage à l’autre bout du monde. Mais si cette facilité de création fait que vous produisez une centaine d’assets différents, là où vous vous contentiez d’un seul, dans l’ancien monde, le rapport de force peut s’inverser.
Le raisonnement vaut pour tout ce qui touche à l’entraînement des LLM… On voit qu’il y a des dizaines de milliers de modèles qui sont entraînés chaque mois, car chacun veut y aller de son LLM. Des modèles dont l’obsolescence est de plus en plus forte, même sur la partie hardware. Regardez comment Nvidia vend ses nouvelles puces comme des petits pains. Ces puces viennent en remplacer d’autres qui existaient déjà… C’est évident qu’il faut penser une utilisation responsable de ce genre de technologie.
À lire aussi
- Pierre Harand (fifty-five) et François Bracq (Google) : "L’IA générative n’opère pas par magie. Il ne suffit pas d’envoyer vos données en vrac et d’attendre une réponse pertinente.”
- Thomas Objois (Bcovery) : "Nous lançons un outil de détection de la provenance des audiences car cette dernière peut représenter jusqu’à 37% du poids total d’une campagne digitale"
- Youtube : une chaîne TV comme une autre... ou pas ?
- Pourquoi le recours à l'IA générative peut faire des DSP autre chose qu'une affaire d'initiés