Le guide de survie pour annonceurs en temps de crise
Nicolas JaimesAmis annonceurs, les temps sont durs, on ne va pas se mentir. Vos budgets fondent comme neige au soleil mais pas les exigences de votre hiérarchie, qui continue à vous demander de faire aussi bien… mais avec beaucoup moins. Sans compter qu’il vous faut composer avec un environnement réglementaire et technologique qui s’est sérieusement dégradé ces dernières années, jusqu’à compromettre le BA.ba du marketeur digital : le bon message à la bonne personne au bon moment. Les temps sont durs, c’est vrai… mais pas question de sombrer dans la morosité.
Car, comme le rappelle Charles Moynet, head of data et digital media chez Media.Monks France, “une bonne crise, c’est aussi le moment idéal pour une marque de tirer son épingle du jeu.” Et entre ceux qui se recroquevillent sur eux-mêmes et ceux qui continuent à innover et prendre des risques, le fossé va se creuser. Raison pour laquelle Minted vous propose ce guide de survie pour marketeurs en temps de crise.
Réduisez le média s’il le faut… mais sans aller au plus simple (ou au moins cher)
-10%, -25%, voire même -50%... Vous êtes nombreux à devoir composer avec de sérieuses coupes budgétaires. Ce n’est pas une surprise, et ce n’est pas, non plus, une première. A chaque crise, le média est l’un des premiers postes de dépenses impacté. Il en a été ainsi durant l’épisode du coronavirus et il en va de même aujourd’hui. Il est peut-être possible d’y remédier (voire plus bas) mais en attendant, il vous faut prendre des décisions difficiles.
La facilité serait de couper le digital, parce que c’est le plus rapide à désactiver, et que ça vous permet de préserver la bonne vieille TV, qui est un média qui offre du reach instantané. Et, au sein du digital, couper tous les leviers upper funnels (display, vidéo, OPS), pour vous concentrer sur les leviers comme le paid search et le retargeting, deux leviers très ROIste qui auront le mérite de démontrer à votre hiérarchie que, malgré le contexte, vous continuez à générer des bons résultats du clic et qu’elle en a donc forcément pour son argent.
La réalité est évidemment plus nuancée. Se focaliser sur la TV, c’est, alors que sa consommation décroît fortement auprès des 18-25 ans, se couper de toute une partie de votre cible. “Le digital est, quoi que vous en pensiez, devenu incontournable dans les usages”, rappelle Sandrine Reinert, MD France de Jellyfish. Même effet pervers si vous arrêtez tout ce qui touche à l’upper funnel. Vos campagnes continueront certes à performer sur le court terme mais elles tourneront vite en rond. Vous ne toucherez plus que des gens qui vous connaissent déjà, voir qui sont clients, et votre bassin d’audience (prospect + client) diminuera avec le temps. Problématique. Tout comme le fait de couper un média parce qu’il est trop cher (un argument malheureusement souvent invoqué par les annonceurs).
“Je comprends que les entreprises privilégient la gestion du cash en période de crise mais je pense que l’enjeu est moins de diminuer les coûts que de se concentrer sur la valeur”, prévient Pierre Harand, managing partner chez fifty-five. L’expert alerte sur les dangers de faire du prix le seul critère de décision, qu’il s’agisse de choisir un prestataire ou d’arbitrer entre deux typologies d’inventaires. “N’allez pas vers ce qui est le moins cher mais ce qui vous offre le meilleur ROI”, conseille-t-il. Tout dépendra évidemment du rapport de force que vous entretenez avec votre direction des achats mais, croyez-moi, cela vaut le coût de se battre.
“L’enjeu, ce n’est plus d’être l’annonceur qui dépense le plus mais celui qui dépense le mieux”
Le patron du marketing de P&G, Marc Pritchard l’a rappelé, au cours d’un discours qui a été beaucoup commenté, l’enjeu c’est de faire mieux avec moins. Qu’importe que vous soyez toujours le plus gros annonceur de votre secteur. L’essor de l’open auction limite de toute façon les effets volumes quand on fait du média, puisqu’il s’accompagne d’une disparition des logiques de négociation en gré à gré. “L’enjeu, ce n’est plus d’être l’annonceur qui dépense le plus mais celui qui dépense le mieux”, rappelle, comme une évidence, Charles Moynet. Et à défaut de reach, c’est surtout la fréquence d’exposition qu’il faut optimiser pour arrêter de payer pour un bon nombre d’impressions qui sont, en réalité, inutiles.
Apprenez à mesurer pour prendre les bonnes décisions…
Mais pour identifier les impressions qui sont inutiles, il faut savoir bien mesurer. Bonne nouvelle, vous disposez désormais d’outils qui vous facilitent la tâche. “On a aujourd’hui des outils, via les data clean rooms, qui nous permettent de travailler ce KPI”, confirme Guilhem Bodin, associé chez Converteo. Au sein de l’Open Web, si vous passez par la clean room Ads Data Hub de Google (il faut aussi utiliser son ad-server). Mais aussi chez les walled gardens. Google, Meta et Amazon, qui ont tous des data clean rooms qu’ils proposent gratuitement à leurs meilleurs clients.
Ces clean rooms vous permettront (sous réserve que vous leur fassiez confiance) de savoir à partir de quel moment l’euro investi en média vous coûte plus cher qu’il ne vous rapporte. En d’autres termes, à partir de quelle fréquence (5, 10, 15 fois…), l’exposition d’un même internaute à une création publicitaire devient contre-productive.
Quitte à faire des arbitrages, autant le faire avec des informations qui sont fiables. Et cela impose d’abord d’abandonner ces modèles de mesure qu’ils sont encore trop nombreux à utiliser, comme le sacro-saint last click. “Vous n’imaginez pas le nombre d’annonceurs qui s’appuient encore sur modèle d’attribution vieux d’une vingtaine d’années”, déplore Charles Moynet.
Ce n’est jamais évident de changer de paradigme, surtout en période de crise, mais c’est important de sortir de ce modèle dont on connaît désormais bien les limites (il favorise énormément les leviers en bas de funnel). Et d’aller vers des modèles multi-touch, voire être plus prospectif, en regardant du côté de l’économétrie et marketing mix modeling (MMM) à l’image du think tank lancé par Axa, Nestlé, Pernod Ricard et Ekimetrics sur le sujet.
“Les CMO ont besoin de montrer qu’ils ne sont pas qu’un centre de coût et qu’ils créent de la valeur”
C’est le meilleur moyen pour le média, éternelle variable d’ajustement quand le contexte économique devient plus nuageux, de se défendre. “Les CMO ont besoin de montrer qu’ils ne sont pas qu’un centre de coût et qu’ils créent de la valeur”, estime Pierre Harand. Couper le média n’aura peut-être pas d’impact sur le court-terme, mais il en aura certainement sur le moyen, voire le long terme. Encore faut-il être capable de le prouver. “Démontrer l’incrémentalité du marketing va devenir crucial”, prévient Guilhem Bodin.
Reprenez la main sur la data
Pour aller sur ces terrains là, le plus simple, c’est sans doute de reprendre un peu la main, à l’image des annonceurs les plus matures, qu’il s’agisse de lancer un data lake marketing ou de contractualiser, en direct, avec les outils d’activation. “Internaliser tout ce qui touche au dashboarding, c’est ne plus être dépendant des Excel que l’on reçoit de son agence, sans bien comprendre comment ils ont été réalisés”, explique Guilhem Bodin. C’est aussi être capable de remettre à plat un protocole de mesure, si nécessaire. Pas un luxe à en croire Charles Moynet qui estime, qu’avant de parler de ROI, les annonceurs doivent se demander ce qu’ils mesurent et comment ils le mesurent. “Trop souvent, c’est le cadre de mesure, voire la façon dont il est alimenté, qui est vicié”, pointe-t-il.
Maîtriser la donnée de bout en bout, c’est gagner en agilité (même si je vous concède que ce n’est pas possible pour tout le monde). Vous n’avez évidemment pas besoin d’aller jusqu’à effectuer les travaux de modélisation et data science vous-mêmes. Ce sont des compétences difficiles à trouver et qui doivent être mises à jour en permanence. Laissez-les volontiers à votre partenaire, dès lors que vous êtes devenu propriétaire des outils par lesquels transitera la donnée et que vous gardez votre sens critique sur ce qui vous est présenté.
Pas besoin non plus de se lancer dans des grandes migrations techniques ou des projets structurants type CDP dont les premiers effets mettront quelques années à se faire ressentir. Mais il est possible d’aller chercher quelques “quick wins”. “Pousser sa base CRM dans le cloud, pour la scorer sur quelques use cases, en fonction des données remontées par votre analytics ou le offline”, illustre Guilhem Bodin.
Cette donnée, il vous faut apprendre (dans tous les cas) à la structurer. Pierre Harand rappelle une évidence trop souvent oubliée des marketeurs. “Pour mesurer correctement l’efficacité de ses campagnes, il faut déjà s’assurer qu’on a mis en place les bonnes conventions de nommage et qu’elles sont respectées.” C’est ce qui leur permettra de différencier chacune de leurs campagnes et d’identifier, en un coup d'œil, chacune de leurs dimensions (produit concerné, objectif…). “Je suis optimiste en disant que ces conventions sont respectées la moitié du temps”, s’amuse Pierre Harand. C’est, quand on gère des centaines de milliers de campagnes différentes dans le monde, comme c’est le cas de la plupart des gros annonceurs, un préalable indispensable.
Continuez à tester (coûte que coûte)...
Encore un sujet sur lequel nous pensons qu’il vaut le coup d’aller à contre-courant puisqu’à l’instar du digital, les budgets tests sont généralement les premiers concernés par les coupes. “C’est humain de revenir à ses bonnes vieilles habitudes en période de crise mais c’est une erreur”, prévient Pierre Harand. Comme le rappelle Sandrine Reinert, “les évolutions technologiques n’attendent pas que le marché aille mieux.” Le développement, ces dernières semaines de Chat GPT (vous n’avez pas pu louper les démos de sa dernière version GPT4) est en est un bon exemple.
Guilhem Bodin, qui a démocratisé la pratique du learning agenda chez Converteo, est du même avis. Votre quotidien : il faut tout éprouver. Est-ce que c’est mieux de bidder au CPC ou de manière automatique sur Google Ads ? Quelle est la longueur idéale des vidéos Youtube que vous publiez (ie qui ont les meilleurs taux de complétion) ? Quel est le meilleur moment pour publier sur Instagram ? Les hypothèses à valider sont innombrables. “Dans chaque plateforme, vous avez entre 50 et 150 dimensions qui peuvent vous permettre d’optimiser une campagne, rappelle Guilhem Bodin. On va toutes les lister, les scorer et regarder si on génère de l’uplift ou non.”
Ne vous reste plus qu’à renseigner religieusement vos enseignements au sein d’un document de suivi pour préserver votre historique. “Il suffit bien souvent d’un spreadsheet correctement paramétré”, pointe Guilhem Bodin. Mais cela implique néanmoins de remettre les mains dans le cambouis, de renouer avec l’expertise de votre métier, ce qui passe, bien souvent, par l’internalisation évoquée plus haut.
Continuer à tester, c’est améliorer le présent mais c’est aussi préparer l’avenir. C’est la raison pour laquelle nous vous conseillons de continuer à tester, qu’il s’agisse de nouveaux KPI, comme l’attention, de nouveaux environnements, comme le retail media, ou de nouveaux outils, comme la data clean room, au sein de laquelle il est facile de plugger sa base CRM pour faire du look-alike ou de l’exclusion, voire de la mesure people-based.
“Parfois payer des solutions additionnelles peut être un moyen de faire des économies”
“Parfois payer des solutions additionnelles peut être un moyen de faire des économies”, rappelle Guilhem Bodin. Et de prendre l’exemple de l’attention, ce nouveau KPI à la mode, qui vient démontrer que beaucoup d’impressions visibles ne sont en réalité pas vues. “On se rend compte que ce sont entre 30 et 60% des impressions qui ont un vrai impact et que le reste est bon pour la poubelle”, illustre Guilhem. Déployer un Lumen, Adélaïde ou un xpln.ai au sein de votre campagne a un coût facial… mais ce sont peut-être des économies non négligeables à la clé. Le duo alerte néanmoins sur l’importance d’être capable de mesurer, rapidement de préférence, pour savoir si le test mené fonctionne ou pas. Pour ce faire, pas de recette miracle, il faut avant tout définir les objectifs que l’on veut atteindre et s’assurer qu’on sera capable de mesurer si on les a atteint ou non. “C’est fondamental… mais c’est souvent oublié”, remarque Pierre Harand.
… et communiquez sur vos actions
Le savoir-faire, c’est bien. Le faire-savoir, tout autant. La formule est un peu éculée mais elle reste légitime en temps de crise. Il vous faut communiquer sur vos objectifs et vos réussites. Que ce soit auprès de votre hiérarchie, évidemment, mais également, auprès de vos pairs. Pour qu’ils comprennent ce que vous faites et pourquoi vous le faites. Prenons le DPO, ce délégué à la protection des données que le RGPD a fait naître et qui est bien souvent vu par les marketeurs comme un obstacle à surmonter. “Les marketeurs doivent faire preuve de plus de pédagogie auprès de leur service juridique”, plaide Sandrine Reinert.
Cela leur évitera de se heurter à un mur, comme ça a été le cas pour certains, à l’occasion de l’annonce par les Cnil autrichienne et française que les transferts de données réalisés par Google Analytics vers les Etats-Unis étaient illégaux depuis l’invalidation du Privacy Shield. Avec pour ordre de basculer, séance tenante, vers une solution “compliant” quelle que soit l’incidence sur le business. “Evangéliser les autres métiers au digital, c’est le meilleur moyen d’avancer vite (et bien) dans ses projets les plus structurants”, rappelle Sandrine Reinert.
Autre exemple avec les équipes d’achat où le contrôle de gestion, qu’il est important d’acculturer à la sémantique du média, pour éviter quelques prises de têtes. “Il est important que cet interlocuteur, qui vous voit comme un centre de coût, comprenne bien la plupart des indicateurs de suivi et comment ils sont calculés”, ajoute Sandrine Reinert. Un sujet d’éducation que l’on retrouve également chez Converteo, où l’on ne compte plus les missions à définir des guidelines pour l’interne. “Le meilleur moyen de faire comprendre un indicateur, c’est de déconstruire la performance qui se retrouve derrière”, abonde Guilhem Bodin.
Misez sur la data 1st party pour préparer l’avenir
Il s’agit, ici, de préparer l’avenir. Parce qu’il est désormais avéré que la data tierce sera de moins en moins facilement disponible, avec la disparition des cookies tiers de l’Open Web. Et parce que cela vous permettra de faire le dos rond, lorsqu’on vous demandera, à la prochaine crise qui se profile de couper à nouveau dans les budgets médias. “L’email est un canal à très ROIste qui veut jouer le rôle de valeur refuge en période de crise”, rappelle Pierre Harand.
En misant sur la data 1st party, vous vous serez donné les moyens de rester en contact avec vos consommateurs, via un programme CRM bien structuré, voire des plateformes de contenus en ligne qui vous permettent de segmenter votre audience. On ne va pas se mentir : c’est un projet structurant qui demande… beaucoup d’humilité. “Ça prend beaucoup de temps de faire décoller des plateformes de contenus en ligne”, confesse un annonceur qui s’échine, depuis un an, sur le sujet. Mais c’est le seul moyen de vous assurer un lien permanent avec vos consommateurs. Des consommateurs qui ne veulent plus se contenter d’un discours top-down impersonnel.
Sandrine Reinert enjoint, à ce titre, les marques à désiloter leur organisation, “pour une meilleure connexion entre les équipes CRM, digitale et data”. Sur le papier, une évidence. Dans la réalité, parfois une gageure, faute d’intérêts alignés. Et pourtant indispensable pour être capable d’adresser correctement ses audiences, clients comme prospects, et, surtout, éviter cette erreur encore trop commune, qui voit “les équipes CRM shooter du contenu absolument pas aligné avec le message que la marque fait passer en média”, note Guilhem Bodin. Alors qu’en cassant les silos, vous serez à même de faire du CRM display, pour travailler la rétention client, le cross sell ou l’upsell.
Ça rapporte… et surtout ça permet de faire des économies. En apprenant à capitaliser sur tous les investissements réalisés en amont. “Combien d’annonceurs investissent des fortunes dans de la data qu’ils n’utilisent qu’une fois, sans même penser à ce qu’elle peut leur offrir dans de prochaines prises de parole”, s’émeuvait Aude Marchand, head of data chez iProspect, à l’occasion d’une table-ronde que j’animais.
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