ATT d’Apple : un an après, quel impact sur les pratiques du marché pub mobile ?
Nicolas JaimesUn peu plus d’un an après l'entrée en vigueur du nouveau framework d'Apple, l’App Tracking Transparency (ATT), les campagnes publicitaires semblent suivre leur cours sur IOS. Les deux premiers mois ont, certes, été chaotiques mais les annonceurs ont, depuis, réussi à maintenir leur niveau de performance. Chez Jellyfish, on n’en est pas encore à parler de statu quo… mais presque. “L’apocalypse que l’on nous prédisait dans le secteur de la publicité mobile n’a pas eu lieu”, assure Nicolas Gendron, mobile product manager.
La principale explication vient du taux d’opt-in (le pourcentage d’utilisateurs qui acceptent d’être trackés), finalement pas si mauvais. On est, en effet, très loin des 10-20% de taux de consentement que l’on nous promettait (et que l’on a pu voir aux premiers jours du déploiement). “On navigue aujourd’hui entre 50 et 60% en France, ce qui nous permet de continuer de piloter des budgets iOS importants, même sur des DSP ne supportant pas l’outil de mesure agrégée d’Apple, le SKAdNetwork, comme c’est le cas de DV 360”, chiffre Nicolas Gendron.
La France fait ici figure de bonne élève. Le taux de consentement est de 35% supérieur à celui des autres pays d'Europe pour tous types d’applications, selon des données d’Appsflyer. Faut-il y voir un manque d’intérêt des Français pour les sujets liés à la privacy ou plutôt le résultat de plusieurs années à cliquer machinalement sur des pop-up de ce genre (merci la Cnil) ? Difficile à dire. “Reste que la perte est beaucoup moins importante que prévu, confirme Antoine Le Borgne, director of analytics chez Adikteev. Ce spécialiste du retargeting a vu le ratio tomber de 60-70% à 40-50%. “On a donc entre 20 et 30 points de perte concernant le pourcentage d’IDFA disponibles, ce n’est pas idéal mais ce n’est pas rédhibitoire.” Surtout que, comme le rappelle Nicolas Gendron, un utilisateur opt-out chez l’éditeur A peut être opt-in chez l’éditeur B. “La perte d’audience identifiable est donc limitée.”
“Quand on fait du Google Universal App Campaign, la partie iOS est réduite à peau de chagrin”
Elle a malgré tout eu un impact sur la stratégie d’investissements de chacun. Sans surprise, les acheteurs sont très vite allés au plus simple. En l'occurrence, l’environnement Android, où de telles restrictions ne sont (pour l’instant) pas en place. “Quand on fait du Google Universal App Campaign, la partie iOS est réduite à peau de chagrin”, illustre Fabien Deriaz, head of data chez 79. La bascule est plus ou moins marquée selon les marques (celles qui visent une clientèle très premium peut difficilement se couper d’iOS) et elle a perdu en vigueur avec le temps. “Certains annonceurs rééquilibrent progressivement leurs investissements”, confirme Nicolas Gendron. Ce rééquilibrage général devrait s’accélérer à mesure que l’échéance de 2024 (date de mort annoncée de l’identifiant publicitaire de Google, l’Advertising ID) approchera.
Si côté activation des campagnes, les choses ont finalement peu bouger, on peut difficilement en dire autant de tout ce qui concerne l’attribution, de loin la pratique la plus affectée par les nouveautés mis en place par Apple. Comment mesurer la performance des campagnes auprès de toute cette audience qui refuse le tracking ? Haut de funnel, les agences se concentrent sur des KPi qui ne nécessitent pas de correspondances personnalisées. “Des KPI liés à l’attention, comme le taux de complétion ou la visibilité, et d’autres liés à l’interaction avec la publicité, comme le taux de swipe ou de scratch pour les formats interactifs”, précise Nicolas Gendron.
Pour le bas de funnel, c'est-à-dire l’acquisition pure et dure, c’est forcément un peu plus compliqué car il faut lier une installation à une exposition publicitaire. Mais certains acteurs ont vite trouvé la parade. “Google Ads et les principales plateformes social media avec lesquelles nous travaillons ont su rapidement déployer des algorithmes de modélisation permettant de maintenir une certaine visibilité sur les conversions générées”, observe Nicolas Gendron. Une pratique en théorie interdite par les CGU d’Apple (qui sont on ne peut plus explicite sur le fingerprinting) mais sur laquelle Apple semble, pour l’instant, fermer les yeux.
“Les acteurs de l'écosystème semblent toujours pouvoir se partager des informations telles que l’adresse IP, les caractéristiques du téléphone, la version de l’OS, sans consentement de l’utilisateur, pour créer des segments d'audience"
“Les acteurs de l'écosystème semblent toujours pouvoir se partager des informations telles que l’adresse IP, les caractéristiques du téléphone, la version de l’OS, sans consentement de l’utilisateur, pour créer des segments d'audience", confirme Sophie Gherabli, programmatic director chez Jellyfish. Cela ne devrait toutefois pas durer. Selon le toujours bien informé, Eric Seufert, Apple devrait sévir à partir du troisième ou du quatrième trimestre de cette année. C'est vrai que l'on imagine mal la firme à la pomme rester les bras ballants alors que Google déploie sur Android sa Privacy Sandbox et, avec elle, une nouvelle fonctionnalité SDK Runtime, qui limite considérablement la collecte de données personnelles par les SDK publicitaires tiers.
21% des installations iOS qui sont attribuées uniquement par le SKAdNetwork
Les marques n’auront donc bientôt pas d’autre choix que de passer par le SKAdNetwork pour mesurer la performance de leurs campagnes auprès des utilisateurs qui ont refusé d’être traqués. Selon Appsflyer, ce sont désormais 21% des installations iOS qui sont attribuées uniquement par cet outil pensé par Apple pour permettre aux marketeurs de concilier mesure de la performance et respect de la vie privée du mobinaute. Une promesse qui n’est évidemment pas sans certaines contraintes : l’outil ne s’active qu'au-dessus d’un certain seuil d’installation… et avec pas mal de retard.
“Dans la majorité des cas, nous avons uniquement accès aux conversions réalisées dans les 24-72 premières heures, ce qui est particulièrement problématique pour certains secteurs dont le cycle de décision des consommateurs est long”, reconnaît Sophie Gherabli. Autre limite : la granularité de la donnée. Les acheteurs ont dû faire quelques concessions sur ce point. “Avec le SKAdNetwork, on peut difficilement aller plus loin qu’un volume de leads générés, ce qui est problématique pour identifier les réseaux qui nous apportent les utilisateurs avec le plus de valeur”, complète Fabien Deriaz.
A noter que le SKAdNetwork inclut aussi bien les utilisateurs opt-in qu'opt-out, ce qui n’est pas sans ajouter un peu de complexité, les marketers étant contraints de dédupliquer les données remontées par l’outil avec celles de leur mobile measurement partner (MMP), qu’il s’agisse d’Appsflyer, Adjust ou Kochava. “On se sert des données du SKAdNetwork pour redresser, à la hausse ou à la baisse, les performances de la campagne sur les opt-in”, explique Fabien Deriaz. C’est celà l’avenir du marketing mobile : réconcilier des sources de données hétérogènes, déterministes ou non, user centric ou agrégées, et essayer d’y voir le plus clair possible.
Le SKAdNetwork a beaucoup évolué
Cela semble, en tout cas, la conviction d’Apple qui continue à donner quelques gages de bonnes volontés au marché publicitaire. Le SKAdNetwork a beaucoup évolué depuis la première version, qui ne remontait pas de mesure post-impression (mesure des impressions qui, sans générer de clic, ont eu un impact dans le processus de conversion). C’est désormais possible pour les publicités visibles plus de 3 secondes. Toujours dans cette optique d’apporter au marché une meilleure visibilité sur la performance des campagnes, Apple communique désormais aux networks le nombre de leurs publicités qui ont aidé à la conversion, sans recevoir l’attribution finale. La firme à la pomme s’est également décidée à envoyer aux annonceurs et agences les données de conversions qu’elle réservait initialement aux ad-networks. Ce qui évitera aux moins scrupuleux de tricher sur leurs performances réelles.
Apple a également innové en proposant une nouvelle fonctionnalité qui semble concilier son impératif de protection de vie privée et le besoin des annonceurs de nouvelles méthodes de ciblage. Exemple avec le “Custom Product Page”, cette fonctionnalité qui permet de créer des pages produits au sein de l’App Store avec une redirection personnalisée selon les différentes stratégies de ciblage (jusqu’à 35). Initialement pensée pour aider les annonceurs à adapter la page produit landing au type d’internaute exposée, elle leur permet surtout de mesurer les performances par type de cohorte. “On a accès au nombre d’installations, taux de rétention et lifetime value moyenne par cohorte”, précise Sophie Gherabli. Un moindre mal diront les esprits chagrins.
À lire aussi
- Pourquoi le recours à l'IA générative peut faire des DSP autre chose qu'une affaire d'initiés
- Gen AI et programmatique : ce qu’en pensent les spécialistes
- D'ici à 2026, Google perdra 25% de recherches avec l'essor de l'IA : Comment adapter sa stratégie de visibilité ?
- Guillaume Grimbert (Greenbids) : "Nous planchons sur un algorithme qui optimise performance business et carbone des social ads"