Romain Rossignol (Doohyoulike) : "Les écrans DOOH vont profiter de la faible qualité de certains inventaires vidéo vendus sur l'Open Web"
Nicolas JaimesMinted a rencontré le chief revenue officer du réseau publicitaire DOOH spécialisé dans l’indoor (proximité alimentaire, salles de sports et campus étudiants). L’occasion de revenir sur notre article évoquant les débuts balbutiants du programmatique DOOH et de tordre le cou à certaines idées reçues concernant un média encore mal connu des acheteurs digitaux.
Minted. Selon notre enquête, le programmatique représente entre 1 et 3% des investissements DOOH de trois des plus grosses agences médias du marché. Investissements qui représentent, eux-mêmes, à peine un quart des budgets que ces trois agences consacrent à l’affichage extérieur (OOH). Comment expliquez-vous cette faible pénétration du pDOOH ?
Romain Rossignol. Ces données suscitent plusieurs réflexions de ma part. Tout d'abord, il est important de souligner que l'échantillon que vous analysez est limité, se concentrant uniquement sur trois agences médias, aussi importantes soient-elles. Il est à noter que des acteurs majeurs tels que GroupM et OMG, qui représentent les deux plus gros acheteurs en matière de DOOH programmatique grâce à leurs cellules d'achat DOOH Screenbase, ne sont pas inclus dans cette analyse. En réalité, la croissance de ce levier provient principalement de ces deux entités.
Pour apporter une nuance à vos conclusions, il est également pertinent de mentionner que vous n'avez pas interrogé toutes les agences indépendantes qui préfèrent désormais acheter du DOOH en programmatique plutôt qu'en gré à gré, pour des raisons de simplicité et de gain de temps. Un exemple notable est celui de CoSpirit, chez qui l'intérêt pour ce mode d'achat est significatif.
Par ailleurs, comme vous l'avez souligné dans votre article, la majeure partie de notre chiffre d'affaires programmatique provient actuellement de spécialistes tels que Broadsign ou Hivestack. Les DSP généralistes ont tardivement investi dans ce secteur, à l'exception de Hawk. Bien que The Trade Desk soit aujourd'hui très actif, son implication est relativement récente, tandis que DV 360, le DSP de Google, reste plutôt discret.
Et c’est d’eux que peut venir la croissance du secteur ?
Oui, car ils nous permettront d'accéder à des annonceurs qui n'ont pas nécessairement envisagé le DOOH auparavant. Ils réaliseront alors que ce média représente un excellent complément à leurs campagnes vidéo en ligne, voire même un substitut efficace compte tenu de la qualité parfois médiocre de certains inventaires vidéo vendus sur l'Open Web. Les écrans DOOH en bénéficieront grandement.
Vraiment ?
On observe une tendance croissante où de nombreuses marques qui étaient initialement actives dans le programmatique digital traditionnel se tournent désormais vers le DOOH pour échapper à la saturation publicitaire présente sur de nombreux sites en ligne. Le passage vers le DOOH n'est pas aussi complexe qu'on pourrait le penser. Certes, il y a la question de l'adaptation des créations publicitaires pour les formats verticaux et les spécificités du DOOH, mais de nombreuses applications mobiles sont déjà conçues de manière à être compatibles avec le format DOOH.
Il est de plus en plus courant de voir des annonceurs de renom tels que Volkswagen ou Toyota acheter des espaces DOOH pour soutenir leurs stratégies drive-to-store. Ce changement reflète une évolution significative dans le paysage publicitaire. Par exemple, nous avons enregistré un chiffre d'affaires programmatique record le mois dernier, boosté notamment par la campagne d'un annonceur non captif pour notre segment de proximité. Cette collaboration, rendue possible grâce à Broadsign, démontre l'intérêt réel de l'extension d'audience pour certains annonceurs. C'est là l'une des grandes vertus du programmatique : la possibilité d'internationaliser les campagnes en quelques clics.
Vous évoquez le cas des annonceurs non captifs. Qu’en est-il des captifs, ceux qui font déjà du DOOH en gré à gré. Quel intérêt peut avoir le programmatique ?
La programmatique offre avant tout une très grande flexibilité et granularité mais il est indéniable qu’elle peut présenter quelques défauts également.
Prenons l'exemple de Doohyoulike, dans le domaine de la proximité alimentaire, où plusieurs avantages ne peuvent être obtenus que via des transactions en direct. Parmi ces avantages, nous retrouvons l'accompagnement personnalisé des annonceurs dans le choix des écrans situés dans leur zone de chalandise, en tenant compte de leurs enseignes et zones prioritaires, ainsi que la mise en place d'un ciblage horaire pertinent. De plus, la mesure de l'incrément de chiffre d'affaires généré, réalisée à travers des études Post Test menées par un institut d'études, est un service essentiel que Doohyoulike peut offrir en mode direct.
Par ailleurs, contacter les responsables des 1 200 magasins partenaires pour les informer des prochaines campagnes publicitaires et les encourager à référencer les marques présentes sur leurs écrans (ce qui contribue au développement de leur distribution numérique) est une démarche qu'il est difficile d'assurer dans le cadre du programmatique, où la diffusion n'est pas garantie. De plus, les règles d'exclusivité sectorielle en DOOH signifient que certains écrans ne seront pas disponibles pour une catégorie spécifique d'annonceurs à certains moments.
Ces services sont autant d'exemples de ce que Doohyoulike ne peut pas proposer lorsqu'il s'agit de transactions programmatiques.
Même avec du programmatique garanti, qui semble gagner en popularité ?
Bien entendu, étant donné que, pour l'instant, la priorité est accordée aux transactions en direct selon la mécanique de la cascade. Nous constatons d'ailleurs qu'à l'approche des Jeux Olympiques, certaines agences réduisent leurs investissements en programmatique, car la concurrence s'intensifie et que les transactions en direct sont le seul moyen d'assurer l'acquisition des écrans désirés.
Une autre observation à considérer est la question de la différenciation au sein de la chaîne de valeur programmatique. Les SSP proposent actuellement les mêmes éditeurs aux mêmes prix, ce qui soulève la question de l'intérêt pour une agence d'acheter le même inventaire publicitaire à travers deux SSP différents. Il me semble pertinent pour un éditeur d'avoir plusieurs SSP, dans la mesure du raisonnable bien sûr, car certains d'entre eux peuvent être plus compatibles avec une agence ou un DSP. En revanche, du point de vue de l'acheteur, l'intérêt d'utiliser plusieurs SSP simultanément est moins évident.
Vous n’avez pas évoqué le sujet du prix (élevé) du programmatique, pourtant maintes fois évoqué par mes interlocuteurs…
Chez nous, la programmatique offre un accès aux mêmes inventaires que les transactions en direct, mais à un prix brut catalogue auquel s'ajoute la commission du SSP, laquelle peut varier de 8 à 15% selon les technologies. Il est indéniable que l'achat au détail est généralement plus coûteux que l'achat en gros, pour ainsi dire.
C’est le prix à payer pour s’offrir une plus grande flexibilité et granularité dans les transactions.
Il y a parfois d’autres frais, puisque l’on peut ajouter ceux de l’outil d’achat, le DSP, ceux de la data tierce et la marge du trading desk, qui est plus élevée que celle de l’agence média classique…
Oui, dans certains cas la facture peut monter à 30% de frais supplémentaires et il est évident que cela impacte la rentabilité de l’opération.
En tant que média indoor, nous disposons de nos propres ensembles de données fournies par nos partenaires (magasins de proximité, salles de sport, campus, etc.), qui nous ont permis de modéliser nos audiences et d'établir nos matrices de prix. Rien n'empêche un acheteur de connecter des données tierces, que ce soit en programmatique ou en transactions en direct.
Toutefois, il convient de faire preuve de prudence pour ne pas transposer au DOOH certaines pratiques courantes du Web, qui sont utilisées par les géants tels que Google, Amazon et Facebook. En effet, nous évoluons dans un tout autre média, doté de ses propres spécificités.
Vous avez évoqué Google, Amazon et Facebook. Il y a quand même toute une typologie d’acteurs, dans le retail, qui ont accès à des données intéressantes. Prenons Carrefour ou Intermarché, deux retailers avec lesquels vous travaillez…
Effectivement, les données provenant des hypermarchés revêtent une importance particulière, car les consommateurs s'y rendent à une fréquence relativement basse et effectuent des achats selon une liste préétablie.
Cependant, le paysage de la proximité alimentaire urbaine, dans lequel nous évoluons, est notablement différent. Nous observons un taux d'encartés (porteurs de cartes de fidélité) parmi les plus faibles de la grande distribution. Les consommateurs fréquentent ces magasins trois à quatre fois par semaine, en visitant diverses enseignes et en étant ouverts à la découverte et aux suggestions.
En réalité, les données qui nous intéressent le plus dans notre segment alimentaire sont celles liées à l'impact sur le chiffre d'affaires généré. Depuis plus de 5 ans, l'Institut Circana nous accompagne en réalisant plus d'une soixantaine d'études post-test pour les annonceurs, révélant un impact moyen sur les ventes de plus de +20% par campagne. Ces études mettent en lumière l'efficacité du média Doohyoulike en comparant les ventes des magasins équipés à celles des magasins témoins (de même enseigne et de même chiffre d'affaires) non équipés pendant et après la campagne, ainsi que par rapport à la concurrence.
Sur le DOOH, comme le pDOOH, la France reste loin de la maturité de ses voisins anglais et allemands… Un élément d’explication ?
Il est dommage, à mon avis, de toujours chercher à se comparer aux autres pays pour évaluer notre position. Chaque pays possède ses propres particularités, ses habitudes et surtout ses contraintes légales. Il est possible que nous n'atteignons jamais le même niveau de maturité que certains pays en ce qui concerne le DOOH, mais au lieu de cela, nous devrions plutôt nous concentrer sur notre propre évolution et apprécier la forte croissance de ce média.
Nous devrions également nous féliciter du fait que des entreprises françaises, telles que JC Decaux ou Mediatransports, se soient imposées comme des références et des leaders mondiaux dans ce domaine.
Un élément d’explication, c’est peut-être la pauvreté relative de l’inventaire DOOH. On parle d’environ 60 000 écrans DOOH compatibles sur un patrimoine total… de 500 000 faces OOH. Des écrans qui sont souvent indoors, notamment parce que le RLP de certaines villes interdit la pose d’écrans DOOH en extérieur. Récemment, c’est Lyon qui a fait marche arrière sur le sujet, pour des considérations écologiques. C’est forcément un frein non ?
En réalité, la stigmatisation du DOOH par les pouvoirs publics met en lumière la puissance et la visibilité de ce média. Ceci est d'autant plus marquant lorsque l'on considère que plusieurs études ont démontré que l'empreinte carbone d'une campagne DOOH est inférieure à celle du web, des réseaux sociaux ou même de la télévision.
On parle d’ailleurs d’un durcissement potentiel des règles concernant les écrans DOOH affichés dans les vitrines des magasins, qui échappent aujourd’hui aux RLP des villes…
Pour notre part, nous ne disposons pas d'écrans en vitrine ; nos écrans sont installés à l'intérieur (indoor) et diffusent des informations pertinentes et ciblées pour le consommateur.
Il est important de souligner que les établissements ont un besoin croissant de communication, que ce soit pour informer sur les réglementations, assurer la sécurité ou faire connaître leurs valeurs au public. Dans cette optique, les écrans indoor semblent être l'outil idéal au bon endroit pour répondre à ces besoins.
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