Comment Prisma Media a lancé son SSP (ou presque)
Nicolas Jaimes“C’est l'une des premières fois en Europe qu’un éditeur est intégré directement à un DSP comme peut l’être une technologie”, s’enthousiasme Paul Ripart. Le directeur commercial programmatique et data de Prisma Media Solutions, la régie aux 25 marques médias, ne cache pas son enthousiasme au moment d’annoncer la création d’une route directe vers son inventaire média, depuis The Trade Desk.
Les utilisateurs du DSP américain vont désormais voir le nom du groupe média français affiché au côté des autres SSP qu’ils ont l’habitude d’activer : Google Ad Manager, Magnite, Teads, Equativ et cie. Une petite première, en effet, puisque, si The Trade Desk a déjà créé des routes directes vers l’inventaire d’éditeurs français, il l’a fait jusque-là via la solution Direct Path d’Hubvisor. Ce ne sont donc pas les noms du Figaro, de 20 Minutes ou du BonCoin, quelques-uns des clients d’Hubvisor, qui apparaissent au sein de l’outil d’achat mais celui de cette adtech fondée par Sylvain Travers.
Et ça change pas mal de choses, à en croire Paul Ripart, qui, “bien qu’admiratif de ce que met en place Hubvisor”, se félicite de la visibilité que cela va donner à Prisma Media aux quatre coins du monde. “Un acheteur basé à Singapour, en Colombie ou aux Etats-Unis n’aura plus qu’à cocher une case pour accéder directement à notre inventaire”, précise l’expert. Pas sûr qu’ils soient tous familiers de l’univers du groupe média, en dehors d’Europe, et donc, enclins à le faire, mais c’est une réalité.
Cette annonce s’inscrit dans une stratégie plus globale de rapprochement de Prisma Media avec les outils d’achats, précise Paul Ripart. Le groupe l’a fait sur le volet data, avec DV 360, le DSP de Google, pour optimiser la commercialisation de sa donnée 1st party, via le PPID et des curated marketplaces. Il le fait, cette fois, avec The Trade Desk, pour le volet trading, en mettant en place une route directe qui lui permet de supprimer un intermédiaire : le SSP.
Une désintermédiation dont les bénéfices sont désormais bien connus :
financiers : en supprimant un intermédiaire, l’éditeur réintègre la commission du SSP au sein de sa marge
technologiques : cette intégration directe limite les problèmes de cookie matching entre acheteur et vendeur, ce qui permet d’améliorer les win-rates (taux d’enchères gagnées par le DSP)
écologiques : qui dit moins d’intermédiaires, dit un coût carbone moins important, même si Prisma Media Solutions, champion incontesté du yield programmatique, est encore loin d’être exemplaire sur le sujet, en témoigne cet ads.txt qui recense toutes les intégrations effectuées au sein de voici.fr
Autant de bénéfices qui ont été démontrés par le premier test effectué entre Prisma Media et l’annonceur Hello bank, sous l’impulsion de l’agence Havas Media, puisque les win rates ont augmenté de 8%, les frais d’intermédiaires ont diminué de 18% et que le coût au clic a, lui, baissé de 25%. “Une vraie réussite donc”, plaide Paul Ripart. Et une question : Prisma Media peut-il faire des émules ?
C’est, en réalité, peu probable. D’abord parce qu’il s’agit d’une intégration plutôt complexe à opérer, côté publisher. Rares sont les éditeurs à avoir l’expertise de Prisma Media sur le sujet (ils se comptent sur les doigts de la main en France). Ce n’est pas tout de mettre en place cette route, il faut ensuite l’intégrer à son écosystème technologique (DMP, technos de ciblage contextuel..), l’entretenir et l’améliorer. Pour être capable, de faire de la customisation de formats, d’intégrer de la vidéo au sein de certains emplacements prévus initialement pour du display ou encore d’y intégrer des deals négociés avec ses acheteurs. Autant de fonctionnalités qui seront proposées chez Prisma Media Solution, assure Paul Ripart. “Nous allons faire transiter notre première campagne en deal via cette route directe dans les jours à venir.”
“Un premier deal transitera via cette route directe prochainement”
De fait, cette intégration avec The Trade Desk, “fruit de 32 mois de collaboration”, selon l’aveu de Paul Ripart, est presque une anomalie. C’est aussi chronophage que coûteux pour un DSP que de consentir à ce type d’intégration. Prisma Media a réussi là où d’autres grands groupes médias français, qui ont eux aussi toqué à la porte du DSP américain, ont échoué. On imagine le DSP américain d’autant moins enclin à renouveler l’expérience qu’il propose désormais un produit standard, Open Path, qui lui permet de brancher directement certains éditeurs à son interface d’achat. Une option qui n’existait pas à l’époque où Prisma Media s’est lancé. “C’était encore un concept intellectuel”, précise Paul Ripart.
C’est beaucoup plus facile, pour l’éditeur comme pour The Trade Desk, de réaliser cette route directe via Open Path. Aucun éditeur français n’a néanmoins encore bénéficié de cette intégration. Parce que The Trade Desk est très regardant (il ne choisira que des éditeurs premiums ou proposant de l’inventaire attractif, comme la CTV) et qu’il prend le temps de commercialiser le produit puisque, selon nos informations, le volet contractuel n’est pas encore totalement finalisé. Avis aux intéressés, Open Path reste, dans tous les cas, un produit d’abord pensé pour les acheteurs. Les éditeurs qui mettent en place cette route doivent, d’eux mêmes, faire les développements nécessaires pour l’améliorer, comme le fait, de son côté Prisma Media. Là où ceux qui ont intégré la solution d’Hubvisor laissent le soin aux experts de l’adtech française de le faire.
Il est d’autant moins probable que Prisma Media fasse des émules que le groupe fait, avec cette intégration, un pari financier risqué (du moins à court terme). Le fait qu’il soit désormais considéré par The Trade Desk comme un SSP à part entière n’est pas sans implications.
Prisma Media prend un risque financier (à court terme)
Dans une logique de circuit-court, le DSP américain demande aux SSP nouvellement intégrés de couper les routes d’accès à leur inventaire via d’autres SSP. En d’autres termes, The Trade Desk ne prendra plus que la route directe pour accéder à l’inventaire de Prisma Media. Fini les connexions via la vingtaine d’autres partenaires du groupe média, comme Google Ad Manager, Teads ou encore Magnite.
Ce qui signifie que le groupe média va forcément perdre des revenus (The Trade Desk est le deuxième outil d’achat le plus utilisé par ses clients, loin derrière Google certes), le temps qu’il évangélise les agences médias à cette route directe. Paul Ripart ne s’en cache pas, mais il a, pour lui, les arguments évoqués plus haut. “Nous négocions également avec The Trade Desk pour conserver un accès via certains partenaires clés, comme Google Ad Manager ou Teads”, précise l’expert. Les éditeurs qui passeraient par Open Path ou Hubvisor n’auront, eux, pas ce problème puisque l’ouverture de ces routes se fait en complément des routes déjà existantes.
Une petite prise de risque donc, mais qui permet à Prisma Media d’asseoir son positionnement de groupe média à la pointe de l’innovation et de faire rayonner un peu plus son offre de monétisation à destination d’autres groupes médias. Puisque ceux qui lui font confiance sur ce volet, comme Libération, L’Express et Atlantico, bénéficieront eux aussi de cette meilleure intégration. Prisma Media réfléchit d’ailleurs déjà à la mise en place d’intégrations similaires avec d’autres DSP, révèle Paul Ripart. A défaut de DV 360, qui est fermé à ce genre de pratique, cela pourrait être le cas de Hawk ou Mediamath. “Tout est ouvert.” Comme la perspective de re-basculer Prisma Media un jour sur Open Path, si l’expérience n’est pas concluante. “On verra bien !”
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