Arnaud Créput (Equativ) : “Les frontières entre SSP et DSP s’effacent progressivement pour laisser place à des programmatic direct platforms”
Nicolas JaimesRacheté par le fonds Bridgepoint en début d’année, pour 350 millions d’euros, Equativ est notre adtech de l’année. Minted a rencontré le CEO du grand gagnant des Adtech Awards 2023 pour faire le point sur sa croissance aux Etats-Unis, le développement de sa curated marketplace et une rumeur d’acquisition qui est remontée jusqu’à nos oreilles.
Minted. L’un des points d’orgue de cette année 2023, c’est bien évidemment votre rachat par le fonds Bridgepoint pour près de 350 millions d’euros. Neuf mois après cette opération, quel bilan tirez-vous ?
Arnaud Créput. Cela a été une étape très importante dans notre histoire. D’abord parce que c’était la toute première fois, depuis notre sortie du giron d’Auféminin en 2015, que le marché reconnaissait la valeur créée par notre plateforme. On parle tout de même d’un fonds européen tiers 1 qui investit dans une adtech, à un moment, après la bulle de 2021, où presque plus personne ne voulait investir dans le secteur. Et qui le fait, de surcroît, à une très forte valorisation.
C’est aussi une étape importante parce qu’elle ouvre un nouveau chapitre, qui doit nous permettre de passer à la vitesse supérieure à l’international, grâce à un fonds bien implanté aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. L’objectif, il n’a pas changé : faire partie du trop 3 mondial des SSP indépendants. C’est déjà le cas en Europe, où l’on est dans le trio de tête avec Magnite et Xandr. Ça doit l’être également à l’international.
Et alors ce bilan, 9 mois après ?
Je pense que notre nouvel actionnaire est plutôt heureux de son investissement. Equativ va connaître une croissance de son chiffre d’affaires de l’ordre de 20% en 2023. Notre activité SSP, qui représente les deux-tiers de nos revenus, est même en croissance de 35%.
Ce sont des ratios de croissance qui sont excellents quand on les compare à ceux des acteurs de notre secteur. Magnite,Taboola, Pubmatic ou Outbrain vont faire entre -5 et +5% cette année. Google devrait avoir une croissance négative pour la première fois sur sa partie réseau publicitaire.
Est-ce que vous êtes mieux positionnés aux Etats-Unis, comme vous l’espériez ?
"Les Etats-Unis vont représenter 40% de notre chiffre d'affaires en 2023"
Nous avons fait 50% de croissance au quatrième trimestre donc oui ! Les Etats-Unis, ce sera cette année 40% de notre chiffre d’affaires, contre 10% il y a trois ans. Le rapprochement avec Bridgepoint doit nous permettre de faire mieux. L’objectif, c’est de réaliser une opération de croissance externe significative aux Etats-Unis.
Selon mes informations, ça devait se faire cet été avec Sharethrough, un SSP spécialisé dans le native advertising, qui s’est ouvert au display classique. Il n’y a finalement pas eu d’annonce. Ça ne s’est finalement pas fait ?
Je ne peux pas commenter cette information mais je peux vous dire que Sharethrough a effectivement un bon profil dès lors que l’objectif, c’est de s’associer à un SSP avec lequel il y a peu d’overlap, côté business. Ce n’est pas toujours évident à trouver vu car, depuis l’essor du header bidding et de l’open auction, pas mal de SSP ont les mêmes clients.
L’objectif, c’est donc de trouver un SSP qui a une proposition de valeur (format, ciblage…) ou une part de marché géographique, qui est complémentaire de la nôtre. C’est ce que Magnite, qui était très orienté display, et Telaria, qui était bien positionné sur la CTV, ont réussi à faire.
Quels sont les moteurs de votre croissance ?
Il y a d’abord le lancement de notre plateforme de curation, Equativ Buyer Connect, dont les revenus ont été multipliés par dix cette année, même si je vous l’accorde, on partait de très bas. Cette plateforme représente désormais 30% des investissements alloués à notre SSP, contre à peine 5% l’an dernier.
Comment l’expliquez-vous ?
Cette plateforme a le mérite de répondre aux besoins de l’ensemble des acheteurs du marché. Les agences médias peuvent y constituer leur “agency marketplace”, autour de thèmes comme la sustainability, le ciblage contextuel ou la CTV.
Les data providers, comme Valiuz Adz, peuvent y adosser leur business d’extension d’audience. Certains resellers, qu’ils s’appellent Seedtag, Showheroes ou Qwarry, peuvent se servir de la technologie pour commercialiser des formats ou des segments d’audience bien spécifiques.
Quid de la partie open auction ?
C’est plus compliqué… On voit que les PMP prennent le pas sur l’open auction. Mais nous avons su procéder à des améliorations substantielles de notre plateforme, au cours du premier semestre, pour renverser la tendance.
Nous avons investi dans l’algorithme qui gère les enchères et dans une fonctionnalité qui permet de filtrerles requêtes que nous envoyons aux partenaires DSP. Ce qu’on appelle le trafic shaping. Cela, je pense, nous a permis de bien résister à un marché de l’open auction qui est en décroissance cette année. Après un premier semestre baissier, nous avons réussi à retrouver une croissance de 15% au second semestre.
Qu’en est-il de la CTV, sur laquelle vous voulez vous positionner ?
Son essor va de pair avec celui de la curation. Et cela marche particulièrement bien au Latam, où nous sommes loin devant Google, Magnite et Freewheell en termes de part de marché.
Le Latam, c’est vraiment la région où nous avons réussi à faire converger supply et demand au sein de notre plateforme avec, d’un côté, des packages d’inventaires d’applications CTV et, de l’autre, des grandes agences comme Publicis, Omnicom ou IPG.
2023 a marqué une véritable inflexion dans la relation entre les SSP et certains DSP. On voit que chacun essaie de désintermédier l’autre. Les DSP, comme The Trade Desk et Yahoo, lancent des routes directes vers l’inventaire des éditeurs. Les SSP, comme Magnite ou Pubmatic font de même, mais dans l’autre sens, en se rapprochant des annonceurs. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Ce que vous décrivez est une réalité. Les frontières entre SSP et DSP s’effacent progressivement. Je pense qu’on va, à terme, plutôt parler de programmatic direct platforms. Des PDP qui intègrent des fonctionnalités clés de manières verticales. C’est un passage obligé pour les SSP, que ce soit pour des logiques de coût, d’efficacité dans l’activation de la data 1st party et de maîtrise de la brand safety.
"Ceux qui restent dans une logique de SSP pur et dur, en restant positionnés côté supply, sont plus exposés à la baisse du marché de l’open auction"
On voit d’ailleurs que ceux qui restent dans une logique de SSP pur et dur, en restant positionnés côté supply, vont un peu moins bien. Ils sont plus exposés à la baisse du marché de l’open auction car ils n’ont pas la capacité à driver de la demande exclusive comme les SSP qui ont fait les efforts côté buyside.
Mais le client principal d’Equativ reste l’éditeur. Tout ce que l’on fait côté demande, c’est pour apporter plus de valeur aux éditeurs. De la même manière que le client final d’un The Trade Desk restera l’annonceur. Notre relation aux DSP oscille entre partenariat et concurrence, comme c’est souvent le cas dans la tech. Un SSP sait faire des choses qu’un DSP ne sait pas faire… et inversement. Mais en même temps, on se marche un peu sur les pieds, c’est sûr.
Vous venez de nouer un partenariat avec Greenbids, qui est deuxième de notre classement de l’Adtech de l’année. A quel point le sujet de l’impact carbone sera-t-il, selon vous, discriminant pour les adtech ?
Ce que l’on voit, c’est que les acheteurs intègrent de plus en plus souvent le paramètre de l’efficacité carbone dans leurs arbitrages. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis, où la plupart des trading desks ont des intégrations avec des mesureurs comme Scope3 pour montrer patte blanche.
Côté SSP, il y a aussi une vraie inflexion là-dessus et cela s’explique d’abord par des considérations business. L’explosion des coûts d’infrastructures, du fait de l’inflation, de la hausse du prix de l’énergie, oblige les SSP à repenser leur manière de procéder. D’autant que, dans le même temps, les revenus, eux, se tassent. C’est cet effet ciseau qui explique que les SSP investissent aujourd’hui dans le trafic shaping.
AdNetZero, collectif qui réunit des parties prenantes du secteur de la publicité, déplorait qu’aucune adtech ne s’était donnée d’échéance pour devenir neutre en carbone…
L’objectif d’Equativ, c’est d’avoir 20% de son chiffre d’affaires qui est “net zero” d’ici 2026. Ce ne sera possible que si chacune des parties prenantes (éditeurs, agences et technologies d’achat) accepte de payer un peu plus cher pour l’inventaire concerné car il faut investir dans des projets de compensation.
C’est ce que nous proposons à nos clients de faire sur notre offre managed services depuis quelques années. C’est ce que nous leur permettons, désormais via notre plateforme de curation, grâce à notre partenariat avec Greenbids.
On a parlé des Etats-Unis. Quels sont vos autres enjeux pour 2024 ?
Le sujet CTV, que l’on veut continuer à faire scaler. Nous venons de signer un contrat de plusieurs millions d’euros avec Deutsche Telecom pour gérer l’insertion de publicité côté server (SSAI) via notre technologie Nowtilus.
"Nous espérons annoncer prochainement une opération de croissance externe dans le retail media"
Il y a aussi le sujet du retail media avec, je l’espère, une opération de croissance externe avec une technologie spécialisée. Et le sujet de l’adressabilité, qui passe par la construction d’un socle data. C’est le sens des partenariats noués avec FirstID et Utiq, pour la partie ID partagés, et du développement de notre marketplace de segments d’audience contextuels.
Vous n’évoquez pas Privacy Sandbox. Pourquoi ?
Je n’en parle car, pour être honnête, ça ne nous excite pas plus que cela. On parle d’une technologie qui est d’une complexité à toute épreuve, qui permet à Google de garder la main sur la data et qui, si j’en crois les premiers tests, n’est même pas concluante. Alors oui, bien sûr, nous travaillons sur l’intégration de notre plateforme aux API existantes mais nous voulons être le moins dépendant possible à cette solution.
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