Pourquoi le recours à l'IA générative peut faire des DSP autre chose qu'une affaire d'initiés
Nicolas JaimesC’est, depuis la publication d’une démo live de Viant AI, nouvel assistant de campagne du DSP américain, une question qui agite les réseaux sociaux : quand et comment l’IA générative va-t-elle venir révolutionner le secteur de l’achat programmatique ?
Il faut dire que l’exemple donné par les deux fondateurs de Viant AI, Tim et Chris Vanderhook, a de quoi faire saliver plus d’un acheteur qui s’est déjà heurté aux complexités d’un DSP. Pour alimenter leur IA, seules quatre informations sont demandées : l’URL de la marque, son budget, la date de la campagne et son principal objectif (drive-to-store).
L’assistant de partager ce qui lui semble être l’audience cible et, en fonction de cela, de proposer un mix média détaillé - CTV, audio, DOOH, display, vidéo - en énumérant les forces de chacun.
Une démo qu’il faut bien évidemment prendre avec des pincettes parce que la plupart des agences médias opèrent leurs achats par département, ce qui remet un peu en cause l’utilité d’une solution de médiaplanning multi-canal. Et qu’en plus elles doivent prendre en compte les deals que leurs clients ont passé avec certaines plateformes publicitaires, ce que Viant ne fait pas ici.
“Viant part du principe que l’achat est géré par un profil omnicanal en agence média alors que ça n’existe pas”, s’amuse un expert. “Le médiaplanning est évidemment beaucoup plus complexe que ce que Viant en laisse à voir, rappelle Thomas Allemand, VP adtech et supply de Jellyfish. Je doute qu’un trader aguerri fasse sa sélection en fonction des recommandations d’un outil qui ne s’appuie sur aucun insight maison, ne raisonne pas en termes de complémentarité de média et ne semble, de surcroît, pas prendre en compte la saturation de chaque média.”
C’est une évidence… mais cela ne nous en donne pas moins l’opportunité de réfléchir à ce que l’IA générative pourrait apporter aux DSP, notamment dans la perspective de démocratiser un peu plus leur utilisation.
Le premier sujet, c’est évidemment l’expérience utilisateur. Quiconque a déjà plongé les mains dans un outil comme DV360, The Trade Desk ou Xandr vous le dira, leur utilisation est pour le moins compliquée, pour ne pas dire ésotérique. “Il faut près de 6 mois à un trader débutant pour être opérationnel”, rappelle Florent Couton, head of business et marketing programmatique chez Havas Media Network.
Sans compter que l’ajout régulier de nouvelles fonctionnalités requiert de se tenir à jour. Quand on connaît le nombre de DSP utilisés en agence (un chiffre qui oscille généralement entre 5 et 10 selon les environnements), on devine vite le casse-tête que celà pose à des structures qui ont des vrais soucis de staffing sur la partie trading.
Un assistant de campagne dopé à l’IA générative pourrait démocratiser l’utilisation des DSP au sein de populations moins “techniciennes” en agence média. Qu’il s’agisse d’accompagner les nouveaux utilisateurs dans leur onboarding ou de rendre moins ésotérique le paramétrage des campagnes.
Sans évidemment rien sacrifier de la finesse de l’outil, comme le rappelle Nicolas Chite, data science senior manager chez Ekimetrics. “Intégrer un assistant AI comme le fait Viant et comme le feront sans doute d’autres DSP permet de préserver cette complexité, qui est indispensable à l’optimisation des campagnes, tout en la rendant intelligible pour les non-initiés, qu’il s’agisse d’un consultant média ou d’un annonceur.”
La démocratisation des assistants de campagne pourrait faire des DSP un outil “mainstream”, que tout un chacun peut prendre en main. Cela faciliterait leur percée au sein des agences médias plus traditionnelles mais aussi auprès de cette population qui représente 75% du business de Google et Meta : les PME.
“C’est la force d’un Google Ads que d’être capable de proposer une plateforme qui satisfait autant les gros annonceurs qui ont besoin de contrôle et de customisation que les plus petits qui se contentent, eux, de quelque chose de basique”, rappelle Thomas Allemand. Une dualité que même l’arrivée de Performance Max, son outil de gestion automatisée des campagnes, ne remet pas en question puisque la fonctionnalité se nourrit des données que vous lui donnez. Plus vous êtes mature, plus vous pouvez (en théorie) en tirer le maximum.
“The Trade Desk est sans doute la techno la plus valorisée en Bourse que personne dans mon entourage ne connait”, s’amusait un expert média US sur X, il y a quelques mois. L’anecdote tient évidemment surtout de la blague mais elle vient rappeler que les DSP restent l’affaire d’initiés. “The Trade Desk a créé la meilleure UX pour les traders, pas pour les acheteurs médias en général”, rappelle Sylvain Le Borgne, chief data officer de JC Decaux.
C’est tout ce que Vibe, l’adtech lancée par Arthur Querou (ex-Motionlead et Keymantics) veut éviter. La plateforme dont la baseline est “TV Advertising made simple” compte bien s’appuyer sur l’IA générative pour remplir sa promesse, en témoigne le lancement de son Vibe AI Assistant.
Un assistant auquel il vous suffit de communiquer le nom de votre entreprise, l’objectif de la campagne et le budget pour que : 1) il détermine votre profil d’annonceur (à vous d’ajouter et/ou enlever les propositions de mots clés faites) 2) il crée les principaux personas clients (démo, intérêts). Ce qui va lui permettre de vous proposer un plan média avec les applications à cibler, les créneaux horaires et critères de ciblage à privilégier.
Ne vous reste plus qu’à uploader votre vidéo pour lancer la campagne. Si vous n’en avez pas sous la main (ce qui est le cas de pas mal de PME), l’outil vous permettra de générer un spot TV à partir des informations (logo, packshots, visuels, URL) que vous lui avez partagés. En bref, le genre de choses que l’on voit sur Meta Ads et Google Ads mais pas sur votre DSP traditionnel.
Vibe n’est pas la seule plateforme programmatique à s’être lancée dans le gran bain de l’IA générative. Le spécialiste du DOOH, Displayce, est de ceux-là, puisqu’il a, lui aussi, lancé un assistant intelligent, Campaign AI. Un assistant qui a pour mission d’évangéliser au programmatique DOOH (pDOOH) deux populations bien distinctes : les acheteurs DOOH qui n’utilisent pas ou très peu les DSP et les traders “généralistes” qui ne maîtrisent, eux, pas les subtilités du DOOH.
Fruit d’un chantier de 12 mois, l’outil est opérationnel depuis septembre et propose quatre scénarios de plans médias adaptés au brief du client. “Il se nourrit de l’historique de nos campagnes, des datasets de nos partenaires, de tous les briefs que nous avons reçus et de tous les decks de présentation de nos partenaires médias”, précise Laure Malergue, la cofondatrice de Displayce..
L’outil doit, de l’avis de Laure Malergue, ouvrir les chakras des agences médias… “Leur montrer ce qu’elles peuvent faire de différent avec le DOOH.” Pas une mince affaire à en croire une dirigeante qui se dit un peu frustrée par le fait qu’une grande majorité de ses clients se contentent de ciblages hyper basiques type “femmes de moins de 40 ans” quand la plateforme leur propose 5 000 sets de data aussi granulaires que variés.
Une fois, le mediaplanning effectué, le trader est libre de passer au paramétrage de la campagne. A chaque étape de ce processus, il se verra rappeler les recommandations de l’assistant de campagne et sera, bien sûr, libre de les appliquer ou non. “Si l’usage s’installe, nous pourrons aller jusqu’à appliquer automatiquement les recommandations de l’outil lors de l’étape du paramétrage”, précise Laure Malergue. Histoire de boucler la boucle.
Vibe et Displayce sont, à ma connaissance, les DSP les plus avancés sur le sujet. Sans doute parce que leur taille et leur périmètre d’activité (qui se cantonne à un seul média) leur permet d’être plus souples que les plus “gros” généralistes.
Il ne fait néanmoins pas de doute que ces derniers vont très vite s’y mettre. A commencer par DV 360, le leader du marché, qui devrait bénéficier prochainement des fonctionnalités d’IA générative qui sont déjà déployées au sein de Google Ads, notamment sur la partie créa.
Le DSP de Google devrait même, selon nos informations, déployer une fonctionnalité permettant aux annonceurs de transformer, grâce à Gemini, leurs personas clients en segments d’audience à cibler ‘custom”. De quoi permettre à ses utilisateurs de gagner un temps précieux dans le paramétrage des campagnes.
Quant à Amazon, qui est loin d’être en reste sur le sujet, il a annoncé le lancement de fonctionnalités d’IA générative sur la partie créa (vidéo et audio). StackAdapt va, selon nos informations, lancer des fonctionnalités d’IA générative au service de la créa et du ciblage. Pas surprenant pour un DSP encore pas très connu chez nous mais qui a fait du “programmatique pour tous” sa baseline.
Chez The Trade Desk, la révolution se cantonne pour l’instant au “back end”, où un copilote baptisé Koa permet aux utilisateurs de sa nouvelle plateforme d’achat média, Kokai, d’optimiser les performances de leurs campagnes en s’appuyant sur son algorithme prédictif. Mais le DSP américain, qui a fait de l’expérience utilisateur le cœur de son offre, ne devrait pas rester éternellement inactif sur la partie “front end”.
Voilà pour l’état des lieux qui devrait, à n’en pas douter, très vite bouger. Car, au-delà de leur permettre de s’attaquer à de nouvelles populations, ces assistants de campagne dopés à l’IA générative devraient aussi permettre aux DSP de faciliter la vie de leurs utilisateurs historiques : les traders.
Ils s’inscriraient surtout dans le prolongement d’une mue qui a vu les DSP passer de tuyaux qui permettent l’automatisation de l’achat média à des machineries ultra huilées, perfusées d’IA et de machine learning, pour booster les performances des campagnes. Après la révolution du back end, il est naturel que vienne celle du front. Parce que médiaplanning au media buying, les possibilités sont nombreuses.
A commencer par l’optimisation des fonctionnalités présentes au sein de chaque DSP. “Le programmatique est devenu tellement complexe que les traders capables d’en utiliser 100% de son potentiel sont devenus rares”, observe Sylvain Le Borgne. Le dirigeant donne l’exemple de son précédent employeur, le DSP américain Mediamath, qui avait dû mal à valoriser la richesse de ses partenaires datas.
“C’est impossible pour un cerveau humain de faire le tri dans les 150 fournisseurs et leurs 500, voire milliers de segments chacun”, illustre Sylvain Le Borgne. De sorte que les traders vont, par habitude, privilégier les fournisseurs qu’ils connaissent et ceux dont, a minima, ils comprennent l’arborescence.
Oui, c’est exactement le même problème soulevé par Laure Malergue un peu plus haut. Et cela vient rappeler les limites du cerveau humain qui est, de l’avis de Sylvain Le Borgne, “rarement meilleur que la machine.” Le dirigeant en veut pour preuve “ces campagnes médias qui marchent mieux quand les traders sont en vacances”.
Bien évidemment pas à prendre au premier degré et ce n’est toujours pas le cas mais la révolution qui touche le SEA depuis l’arrivée de Performance Max démontre à quel point l’IA peut vite remplacer l’humain sur la partie paramétrage des campagnes. Ou, a minima, l’augmenter.
“La promesse, c’est aussi le gain de temps, observe Florent Couton. Plutôt que de dupliquer manuellement une stratégie en changeant X fois juste un paramètre, comme la géolocalisation, le trader pourrait s’appuyer sur l’IA générative pour ce type de tâche à faible valeur ajoutée.” Le constat vaut aussi pour la partie créative, où on peut imaginer le DSP imaginer des variations créatives à partir d’éléments uploadés (logo, charte graphiques et visuels) et tester leurs efficacités à base d’AB testing.
Ce regain de productivité pourrait aussi concerner la relation entre l'agence et son client, à en croire le DG de ZBO Media, Antoine Saglier. "En aval, les accounts manager y gagneraient à pouvoir dire en quelques minutes à leur client que la dernière campagne a bien fonctionné car elle a généré un taux de complétion de X% versus tant pour la moyenne du secteur, par exemple. En amont, l'IA générative pourrait répondre à des questions plus avancées dans la construction des plans medias : Pourquoi est-ce que vous me recommandez ce média là ? Pourquoi est-ce que vous estimez ce niveau de CPM ? Ce sont autant de questions auxquelles les agences doivent souvent répondre en amont, sans pour autant être capable de toujours y apporter des réponses détaillées."
Thomas Allemand donne, lui, l’exemple des golden rules, ces règles d’achat média à l’encontre desquelles les traders ne sont jamais censés aller : un niveau de visibilité qui ne doit pas passer en dessous d’un certain plancher un ou un provider de data qui, pour des raisons X,Y,Z, ne doit être jamais sollicité.
“Le problème, c’est qu’elles sont souvent répertoriées dans différents documents, qui sont mis à jour et que les traders n’auront pas toujours bien en tête”, rappelle Thomas Allemand. Intégrer ces golden rules via un master prompt qui permet de s’assurer que les recommandations média planning n’iront jamais à leur encontre serait le meilleur moyen d’éviter une erreur humaine.” Même si cela ne vous prémunit évidemment pas des risques d’hallucinations de l’IA.
Ce n’est évidemment pas le seul risque qui découle d’une démocratisation de l’IA générative. “Attention à ce que cela n’uniformise pas les messages publicitaires, prévient Sylvain Le Borgne. Le risque c’est que plus personne ne soit capable de créer une image de marque différenciante.”
Ce n’est pas la directrice du trading digital de Publicis Media, Souaade Agmir, qui le contredira, elle qui rappelle que l’IA aura toujours tendance à vous donner la réponse la moins risquée, à défaut de vous donner la meilleure réponse.
“On a besoin de la créativité du cerveau humain pour proposer des campagnes médias performantes”, assure l’experte. “Et pour prendre des paris que l’IA ne prendra sans doute pas”, rajoute, de son côté, Florent Couton, en faisant référence aux lancements de nouvelles plateformes vidéos qui pourraient pâtir de l’absence d’historique dans les moteurs de recommandations des outils dopés à l’IA. Nous voilà rassurés !
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