16 April 2025
Temps de lecture : 4 min
La plateforme vidéo Vimeo a lancé début avril Vimeo streaming, un produit clé en main qui permet aux créateurs de contenus de lancer rapidement leur propre service de streaming par abonnement.
Vimeo Streaming propose plusieurs options d’abonnement (à l’année, au mois…), une protection contre le piratage, des analyses de données avancées, et des traductions via l’IA pour toucher d’autres pays…
Une façon pour eux de regagner leur indépendance face aux grandes plateformes sociales comme TikTok, Instagram ou Youtube. Les deux premières peuvent générer de la portée et de la visibilité, mais n’offrent pas de revenus significatifs.
Sur les deux premières plateformes, les RPM (revenus pour mille vues) sont variables, mais s’échelonnent entre 3 centimes et un euro. Mais avec une moyenne autour de 30 centimes. Une vidéo vue 100.000 fois (assez gros buzz) rapporte donc 30 euros, au mieux. Pas de quoi pavoiser.
YouTube, lui, rapporte davantage, jusqu’à plusieurs euros du mille, mais les créateurs courent après les modifications constantes d’un algorithme capricieux. Certes, la plateforme vidéo de Google propose aussi l’abonnement à sa chaîne (pour ceux qui répondent aux critères du programme Partenaire). Mais elle prélève 30% de commission sur chaque abonnement.
La plateforme Substack avait déjà initié le mouvement d’autonomisation des journalistes vis-à-vis de leurs employeurs médias.
Lancée en 2017, Substack a bénéficié des grands plans sociaux de la presse américaine qui a vu un grand nombre de journalistes “remerciés”. En 2021, le Pew Research Center signalait que l’emploi dans les salles de rédaction avait chuté de 26 % depuis 2008.
Par ailleurs, de grandes plumes avaient exprimé leur déception vis-à-vis des médias numériques, qui versent de plus en plus dans le “pousse-au-clic” (“clickbait”) et dégradent la qualité de l’information pour préserver une audience de moins en moins rémunératrice.
L’attrait de la liberté a attiré quelques journalistes de renom. Et Substack a accéléré le recrutement en promettant à certains une avance sur recettes.
Grâce à son système de recommandation, ça a fonctionné pour une poignée d’auteurs: en août 2021, les dix premiers éditeurs de la plateforme cumulent 7 millions de dollars de revenus. En 2021, la plateforme revendiquait des millions d’utilisateurs et plus d’un million d’abonnés payants.
En septembre 2022, le Columbia Journalism Review a publié une étude basée sur 2.686 newsletters Substack américaines, et 52 entretiens. La réalité de ce journalisme-entreprenariat est beaucoup moins reluisante que la promesse initiale.
Un créateur résume le problème:
“Le calcul économique est assez complexe. Si vous avez 500 abonnés qui vous paient 5 dollars par mois, vous gagnerez 2.500 dollars par mois, ou plutôt 2.250 dollars après la commission de Substack. Et vous écrivez au minimum un article par semaine, probablement plus. Si vous publiez deux articles par semaine, vous ne gagnez en réalité que 281,25 dollars par article. Ce n’est pas si mal, mais le resto du coin paie 19 dollars de l’heure. Vous ne gagnez pas vraiment un salaire décent avec Substack tant que vous n’avez pas des milliers d’abonnés payants. Et si vous utilisez Substack pour compléter vos revenus en freelance ou en travaillant à temps plein, cela représente beaucoup de travail…”
Le rapport conclut de ses entretiens: “La monétisation leurs newsletters s’est avérée particulièrement préjudiciable aux rédacteurs sans autres sources de revenus. Ainsi, les journalistes qui comptaient sur Substack comme bouée de sauvetage ont exprimé la plus grande frustration, car leur situation professionnelle restait précaire”.
Ce journalisme individuel fragilise en réalité la plupart des individus dont beaucoup perdent en niveau de revenus, par rapport à leur situation de salariés. Même dans le cas d’un niveau de revenus net mensuel correct, il ne faut pas oublier les charges (assurance maladie, retraite complémentaire…) qui s’ajoutent, sauf à négliger son assurance vieillesse, ce qui peut réserver d’amères surprises.
Il s’inscrit dans cette tendance de certains médias à recourir à des auto-entrepreneurs plutôt qu’à des pigistes, pour économiser les charges sociales.
Le rapport souligne aussi cette tendance à mélanger les faits et les commentaires:
“Les producteurs de newsletters sont idéales pour les commentaires. Si vous souhaitez exprimer des opinions tranchées sur des faits établis, elles sont très efficaces. Mais qui est celui qui s’occupe de la partie la plus difficile du journalisme, celle d’établir les faits ? Il n’y a pas de solution miracle, ce qui prend énormément de temps et coûte cher.”
Par ailleurs, la plateforme incite à basculer de plus en plus dans des contenus sensationnalistes pour recruter des abonnés. Un journaliste culturel, décrit ces incitations:
“L’oxygène discursif du site a été utilisé ou aspiré par des personnes qui l’utilisent pour attiser la colère, l’indignation, etc. En créant ces sentiments, ils deviennent puissants et incitent les gens à s’abonner.”
On voit bien chez certains créateurs de contenus cette confusion des genres entre promotion et création, heureusement atténuée depuis la loi de juin 2023 sur la transparence des collaborations commerciales.
Le journaliste-entrepreneur est isolé, fragile économiquement, il ne peut s’offrir le luxe de mener une enquête longue qu’il ne pourra probablement pas rentabiliser via une hausse incertaine de ses abonnements. C’est un risque qu’il ne peut se permettre, en tout cas.
Seuls les médias en bonne santé économique peuvent financer les sujets difficiles et coûteux grâce à la diversité de leur offre éditoriale et l’ensemble de leurs activités. Par ailleurs, elles-seules peuvent se permettre de payer les frais d’avocat en cas de procès.
Les rédactions enfin, par la pluralité de compétences et la collaboration des métiers (développeur, data-analyste, expert financier etc.) permettent une efficacité d’investigation beaucoup plus grande.
Du point de vue des citoyens, le développement du journalisme individuel n’est donc pas une bonne nouvelle. La fragilisation du tissu informationnel ne favorise pas les enquêtes au long cours, essentielles à notre démocratie.
C’est une tentation forte pour tous les déçus des médias traditionnels, mais bien souvent un mirage qui sert surtout l’intérêt des nouvelles plateformes, pas l’intérêt général.
Vimeo propose “Vimeo Streaming“, un outil clé en main pour lancer son propre service de streaming par abonnement. La promesse est de permettre aux créateurs de fixer leurs tarifs et reprendre la main face aux grandes plateformes. La réalité est moins flatteuse.
Substack propose le même modèle pour les journalistes. Ils publient seuls et gagnent via leurs abonnés. Certains réussissent. Mais la plupart peinent à vivre de leur travail. Ils doivent produire sans relâche, payer leurs charges, et travaillent souvent isolés.
Une étude américaine alerte sur l’épuisement, la précarité, et le peu de moyens. Les enquêtes longues deviennent impossibles. Le sensationnalisme progresse pour attirer des abonnés. Les frontières entre faits et opinions se brouillent.
Ce modèle individuel ne protège pas l’information. Il fragilise les journalistes et réduit la qualité des contenus. Il sert surtout les plateformes, pas l’intérêt général.
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