- La directrice de YouTube France affirme que la plateforme est désormais la première chaîne de télévision en France, suscitant des réactions vives. Si YouTube revendique 42,6 millions d’utilisateurs mensuels, les différences avec la télévision linéaire, notamment en termes de contraintes légales et de mesure d’audience, restent fondamentales.
- Dans un paysage médiatique en mutation, la clé pour les annonceurs réside dans une stratégie adaptée à la complémentarité des médias, entre couverture massive et ciblage personnalisé.
Vous l’avez peut-être vu passer ces derniers jours, la Directrice de Youtube France, Justine Ryst, déclarait dans une interview au Figaro : "Il faut désormais considérer YouTube comme la première chaîne de télévision en France", revendiquant à l’appui ses 42,6 millions d’utilisateurs mensuels, comprenez par là, "tous devices confondus", détail important dont on parle plus bas.
Cette déclaration a créé une vive réaction de Yannick Carriou, DG de Médiamétrie sur les réseaux sociaux, déclarant que "YouTube n’est pas une chaîne de télévision, et encore moins la première chaîne de télévision" argumentant notamment que les contraintes liées à la TV ne sont en rien comparables à celles de la plateforme vidéo : "Une chaîne doit se conformer à des obligations légales et obéit à une logique d’investissements permanents dans les contenus, sanctionnés in fine par les performances d’audience."
Sans rentrer dans des détails trop techniques et légaux, il est vrai que la loi définit clairement ce qu’est une chaîne de TV, les devoirs et contraintes en termes d’obligations d’investissements dans la production française et européenne, les quotas de contenus et de publicité à respecter. Autant de restrictions légales auxquelles les plateformes vidéo ne sont pas soumises.
Aussi, il est important de remettre de l’ordre dans l’interprétation de ces chiffres d’audience annoncés. Youtube met en avant une couverture cumulée mensuelle pour des individus qui consomment un contenu au moins 10 secondes à la différence des chaînes de TV qui mesurent l’audience moyenne d’un programme car elles vendent les écrans publicitaires qui sont autour. Elles sont bien moins attachées à la notion de couverture mensuelle.
En 2023, Youtube annonçait que près de "20 millions de personnes (en France) regardent Youtube via leur écran de télévision tous les mois." À date, en 2024, la télévision linéaire a réuni près de 45,6 millions de télespectateurs par jour dont 24,8 millions uniquement pour TF1 (tous les jours également). Au jeu des chiffres d’audience, la TV linéaire reste donc très dominante, ce qui n’enlève rien aux bons scores d’une plateforme telle que Youtube. N’oublions pas ses concurrents dont les plateformes de streaming comme TF1+, France.tv ou M6+. TF1+ a par exemple rassemblé à elle seule 35,4 millions d’utilisateurs uniques en mai dernier. Voilà, ça c’est pour l’argumentation technique.
Mais le débat le plus intéressant pour un annonceur est à propos de la stratégie média. Dois-je considérer Youtube (et les autres plateformes) comme un levier TV ou digital ? Et comment arbitrer mon plan média ? Essayons donc de remettre un peu d’ordre dans un sujet compliqué.
Tout d’abord, la TV, c’est sur la TV ! Attention aux chiffres d’audience que certaines plateformes communiquent lorsqu’elles cumulent tous les devices, sans les distinguer. Le contenu et le moment auquel il est consommé n’est pas (toujours) le même selon le device de diffusion : mobile, PC ou un écran de TV dans un salon… La probabilité d’attention et donc de mémorisation non plus, entre un contenu long sur écran de TV, souvent regardé à plusieurs et un court, sur un mobile en déplacement, par exemple. Toute impression ou contact publicitaire n’est pas forcément comparable, et n’a pas toujours le même rôle dans un plan média.
Là où le discours de Youtube devient intéressant est qu’il met en avant le fait que « la télévision est aujourd’hui le deuxième écran de consommation de YouTube en France ». Question personnelle qu’on se pose : quelle part est seulement écoutée et non vue ? Une des richesses de Youtube est bien son catalogue musical et autres clips.
On parle bien de device TV spécifiquement, donc potentiellement une nouvelle opportunité pour les annonceurs d’adresser un nouveau canal sur la TV et non pas un nouveau canal TV vous l’aurez compris. Et comme une journée ne fait toujours que 24h, lorsqu’il se retrouve devant son téléviseur, le public a désormais un « hyper » choix de contenus : linéaire ou non, proposés par des chaînes de TV ou des plateformes de vidéo en tout genre, gratuites ou payantes.
On comprend bien la stratégie de ces nouveaux entrants à vouloir bomber le torse sur leurs audiences afin de prendre des parts de marché aux chaînes historiques. Il faut cependant distinguer le volume d’audience instantanée et cumulée, spécifiquement sur le device TV, pour entrevoir des débuts de comparaison possible, si tant est que cela ait un sens. La TV « historique » apporte une audience instantanée, massive et récurrente, donc une montée en couverture rapide sur une population dans un plan média. C’est une de ses grandes valeurs ajoutées qui en fait encore, malgré une audience déclinante, LE média de masse. Alors que celle du non linéaire est sa promesse d’adressabilité : cibler spécifiquement un public, selon des critères plus discriminants, et par extension une opportunité de scénarisation et personnalisation que ne peut pas offrir la TV linéaire.
On ne veut pas ajouter de l’huile sur le feu au débat sur la mesure mais, est-ce la priorité de vouloir absolument ramener TV et vidéo sur le plus petit dénominateur commun qu’est le socio-démo (mesure de la TV linéaire aujourd’hui) alors que le non-linéaire est souvent acheté sur un autre ciblage, ce qui en fait sa différenciation ?
Techniquement, Youtube n’est donc pas de la TV et il en va de même pour les plateformes de streaming des chaînes de TV ou autres Netflix et Amazon Prime... Cela ne veut pas dire que la qualité et la puissance de son audience, associés à ses capacités de ciblage ne sont pas intéressantes. Il faut distinguer les usages (moment et devices sur lesquels le contenu est consommé), le type de contenu (court/long, professionnels ou non car Youtube est bien une plateforme avec des types de contenus très inégaux) et la cible, à qui on peut s’adresser (potentiellement tout le monde ou un ciblage spécifique) pour maximiser la complémentarité de ces différents leviers.