Pourquoi The Trade Desk lance son propre OS TV (et a-t-il raison de le faire ?)


  • The Trade Desk se lance dans l'écosystème hyper-concurrentiel des OS TV, selon la newsletter Lowpass. 
  • Pourquoi un géant de la pub en ligne se met-il à faire de la tech grand public ? Et à quels défis fera-t-il face dans cette perspective ? Nos réponses. 

The Trade Desk plancherait sur son propre OS TV, selon une information révélée par l’auteur de la newsletter “Lowpass”, Janko Roettgers. Le géant de la publicité aimerait, ce faisant, se positionner comme une alternative à Google TV, Titan OS ou Roku pour les fabricants de Smart TV à la recherche d’un système d’exploitation. 

Une équipe d’une dizaine de personnes, dont certains anciens de Roku qui travaillent sous le radar, œuvre en ce sens depuis l’époque de la pandémie, toujours selon Janko Roettgers. L’OS de The Trade Desk est basé sur Android AOSP, précise le journaliste.

Si l’on peut s’étonner spontanément qu’un acteur de la publicité comme The Trade Desk lance son propre OS, ce projet est, en réalité, l’aboutissement d'une stratégie mise en place par l’adtech depuis quelques années. Stratégie qui a vu The Trade Desk, historiquement un acteur 100% positionné côté buy-side, se rapprocher des fournisseurs d’inventaire publicitaire, les éditeurs. 

“Cela fait un moment que The Trade Desk affiche clairement son ambition d’être une plateforme unifiée, couplant un outil d’achat et de l’ inventaire exclusif”, observe Emmanuel Crego, directeur général de Values.media. 

C’est tout le sens d’un projet comme Open Path, qui permet à The Trade Desk de s’intégrer directement avec un éditeur. Une “route” qui lui permet de supprimer les intermédiaires (et les commissions qui vont avec), tout en accédant à plus d’informations relatives au contexte de diffusion que lorsqu’il passe par les canaux programmatiques habituels. Ce qui lui permet de bidder plus intelligemment et qui lui vaut l’inimitié croissante de certaines adtech positionnées côté sell-side (adtech qui ont, en réponse, décidé de se rapprocher du buy-side).

Déployé initialement sur le Web, Open Path l’est désormais dans les environnements CTV. En France, The Trade Desk a des discussions (et parfois même des tests) avec des acteurs comme TF1 ou M6 à ce sujet. En lançant son OS, The Trade Desk remonterait encore plus haut dans la chaîne de valeur. Il remonterait, de fait, au plus haut. 

“C’est impossible d’être plus haut dans la médiation publicitaire que ne l’est l’OS"

“C’est impossible d’être plus haut dans la médiation publicitaire que ne l’est l’OS”, rappelle le cofondateur de Stamp, Maxime Cerda. Une position stratégique qui lui permettrait d’accéder à des informations très précieuses pour quiconque fait de l’achat média. 

D’abord, le comportement de consommation de l’utilisateur. “Impossible de savoir ce qu’il regarde sur Netflix mais il est, en revanche, possible de savoir que celui qui regarde Netflix regarde aussi TF1+”, illustre Maxime Cerda. Cette capacité à identifier un même utilisateur entre différentes applications est évidemment clé. 

Elle pourrait permettre à The Trade Desk de renforcer son ID publicitaire, UID2 (EUID en Europe), et ce faisant d’enrichir la data relative au comportement de consommation CTV. “C’est important de savoir ce que le client regarde mais ça a une valeur toute relative si l’on ne sait pas qui il est vraiment”, pointe Emmanuel Crego. En celà, l’intégration d’UID2 à l’OS TV pourrait faire des merveilles. 

Maîtriser l’OS, c’est aussi avoir un accès préférentiel aux emplacements publicitaires. C’est potentiellement s’assurer une avant-première sur certains d’entre eux, voire carrément une exclusivité. 

C’est d’ailleurs ce qu’exigent certains des OS qui ont lancé leur activité de régie. Chaque éditeur d’application est tenu de leur laisser la main sur X% de son inventaire. “C’est à la discrétion de chaque OS mais celà assurerait un vrai avantage concurrentiel à The Trade Desk”, observe Maxime Cerda. 

Les premières smart TV équipées de l'OS dès 2025

The Trade Desk aurait signé avec au moins un partenaire, selon Janko Roettgers, qui annonce que la première smart TV équipée d’un OS TTD pourrait être lancée dès l'année prochaine. L’adtech mettrait en avant deux promesses bien spécifiques pour séduire les fabricants de Smart TV.

D’abord le fait de leur laisser une plus grande marge de manœuvre dans la personnalisation de l’interface utilisateur. Et puis celui de leur proposer des deals plus alléchants que ceux des acteurs historiques en matière de partage de revenu.

Ce ne sera pas de trop pour s’attaquer à un marché hyper encombré (pour ne pas dire déjà verrouillé).  Les deux leaders du marché des smart TV, Samsung et LG, ont déjà leur propre OS, Tizen et WebOS. OS qu’ils proposent, de surcroît aux autres fabricants, sous licence. Même logique chez HiSense et bientôt chez Vizio, un fabricant de Smart TV racheté récemment par Walmart. 

Il y a bien sûr aussi Android qui, s’il n’a pas la même mainmise que dans le monde des smartphones, reste bien implanté. Sa part de marché avoisine les 40%, portée notamment par sa popularité chez les fabricants chinois. Il faudra, en plus, composer avec la concurrence de nouveaux venus, comme Titan OS, qui a signé un deal avec Philips en début d’année, pour équiper ses télévisions.

“Vont-ils nouer suffisamment de partenariats avec des constructeurs pour ‘peser’ dans cet univers ?”

“Vont-ils nouer suffisamment de partenariats avec des constructeurs pour ‘peser’ dans cet univers ?”, s’interroge Emmanuel Crego. “L’industrie a autant besoin d’un nouvel OS TV que d’un nouveau DSP”, s’amuse le fondateur de Samba TV, Ashwin Navin, sur LinkedIn. “Ils arrivent peut-être un peu tard”, craint un bon connaisseur du marché. 

Terence Kawaja, le banquier préféré de l’adtech, ne dit pas autre chose lorsqu’il suggère que The Trade Desk ferait peut-être mieux de racheter Roku et ses 84 millions de foyers déjà connectés. D’autant qu’il n’est pas exclu que certains fabricants aient des réserves à placer leur destin entre les mains d’un acheteur média. 

Vous me direz qu’ils sont un petit nombre à le faire pour Google… Mais Google reste Google. En France, il reste une piste non négligeable : les boxes des opérateurs, qui ne verraient peut-être pas d’un mauvais œil une alternative à Google.