Pourquoi l’arrivée de Prime Video Ads fait autant saliver les annonceurs
Nicolas Jaimes“Les chaînes TV ont dû soucis à se faire.” C’est par ces mots que cet acheteur, qui préfère rester anonyme, lance notre conversion sur l’arrivée prochaine de la publicité vidéo sur Prime Video. Une prédiction qu’il est loin d’être le seul à faire, à en croire les témoignages recueillis par Minted auprès des agences médias qui ont déjà rencontré les équipes d’Amazon.
L’offre publicitaire de Prime Video, dont le lancement est prévu pour le second trimestre 2024 en France, devrait en effet réussir là où celle de Netflix a, pour l’instant, échoué : bousculer les lignes. Notre acheteur anonyme parle d’un véritable “game changer”, d’une offre qui pourrait “faire le pont entre Youtube et le monde de la TV linéaire.”
Pour la simple raison que comme, le synthétise bien, Philippe Bigot, head of media video department chez Havas Media, Prime Video Ads conjuguera “de la puissance immédiate, de la data Amazon, le tout à des CPM abordables.”
9 millions d’abonnés Prime Video accessibles aux annonceurs
Le premier argument en faveur de Prime Video Ads, c’est son reach. Un sujet sur lequel l’offre d’Amazon sera, au lancement, beaucoup plus performante que celle de ses concurrents. Tout simplement parce qu’Amazon a fait un pari que Netflix et Disney+ n’ont pas osé prendre : basculer l’intégralité de son parc d’abonnés sur l’offre avec publicités.
C’est un pari que le géant de l’e-commerce peut se permettre de prendre puisque son offre vidéo n’est qu’un pan d’une offre plus globale (beaucoup d’abonnés Prime le sont avant tout pour la livraison gratuite). L’arrivée de la pub n’aura a priori aucune incidence sur le churn des abonnés Prime (même si je suis publiphobe, je reste pour la livraison). D’autant qu’Amazon propose à ceux qui ne voudraient absolument pas voir de publicités de débourser 2 euros supplémentaires par mois.
Les équipes d’Amazon Ads estiment qu’ils seront sans doute 20% dans ce cas de figure, ce qui, ramené au 12 des 17 millions d’abonnés Prime qui regardent Prime Video (statistique Amazon) nous donne un parc de… 9 millions. “C’est énorme quand on met ce nombre en perspective avec les 750 000 profils que l’offre de Netflix avec publicité a réussi à séduire, un an après son lancement”, compare Julien Levy, head of efficiency and operations chez Havas Media.
L'abonné Prime Video consomme essentiellement la plateforme depuis son écran de TV (70% de son temps de visionnage), s’y rend 16 fois par mois et, surtout, il est bien plus jeune que le téléspectateur moyen
Ça l’est d’autant plus qu’à en croire des statistiques communiquées aux agences médias, l’abonné Prime Video a tout pour les intéresser. Il consomme essentiellement la plateforme depuis son écran de TV (70% de son temps de visionnage), il s’y rend 16 fois par mois et, surtout, il est bien plus jeune que le téléspectateur moyen. “64% de l’audience de Prime Video est âgée entre 18 et 49 ans”, précise Philippe Bigot.
Il faudra, bien évidemment, confronter ces statistiques “made in Amazon” à celles d’un mesureur tiers (Médiamétrie ?) mais c’est alléchant. Ce, même si, pour des questions de droits, seuls les contenus made in Amazon seront sans doute compatibles avec la publicité au lancement.
On n’a, sur ce sujet, pas de statistiques “quanti” (quelle est leur part dans les audiences ?) mais côté “quali”, Amazon a de quoi tenir la dragée haute à ses deux rivaux puisque la plateforme a investi dans des séries comme Les Anneaux du Pouvoir, The Boys ou The Last of US, au niveau global, et des programmes plus locaux comme LOL, le premier qui rit sort, une série sur Orelsan, Salade Grecque ou Sentinelle. Autant de programmes longs auxquels viendront s’ajouter une série sur Booba, une fiction avec Eric Judo et le retour d’un télé-crochet connu des Français, Popstar.
“Prime Video, qui est également diffuseur d’une partie de la Ligue 1 et de Roland Garros, a de plus en plus l’allure d’une chaîne de TV”, résume Philippe Bigot. Il n’en aura évidemment pas la puissance instantanée, même si certains rendez-vous sportifs live en ont le potentiel. Mais le sujet n’est pas là, à en croire Emmanuel Crego, DG de l’agence Values. puisqu'Amazon reste assimilé de la TV non linéaire par les acheteurs. "S’il leur permet de toucher un million de profils en quelques heures, ce sera plus que suffisant", estime l'expert.
Entre 25 et 32 euros du CPM pour les pubs vidéos
Ça le sera d’autant plus que l’autre argument d’Amazon, c’est son prix ! Compter entre 25 et 32 euros du CPM pour l’indice de référence, le format 30 secondes. Avec une décote de quelques pourcents pour le format 20 secondes et une majoration de 1 à 3 euros selon le type de ciblage (socio-démo, géolocalisation , device, style de vie).
“Des tarifs qui sont susceptibles de bouger un petit peu d’ici le lancement”, prévient Julien Levy. Mais des tarifs qui plantent le décor et qui montrent, une fois de plus, qu’”Amazon veut réutiliser les codes de la TV pour la concurrencer.” C’est aussi ce qu’a essayé de faire Netflix, en facturant les ciblages “on-top”. “Sauf que les pourcentages ne sont pas les mêmes et que, surtout, ils s’appliquent à des prix deux fois plus chers que ceux d’Amazon”, précise un acheteur.
“L’inventaire de Prime Video Ads sera plus coûteux que celui de la TV linéaire non adressée mais bien moi que celui de Netflix ou Disney+, qui oscille entre 40 et 50 euros du CPM”, résume Emmanuel Crego. C’est d’autant plus abordable que, comme le rappelle Philippe Bigot, Amazon devrait se contenter de tickets d’entrée relativement bas, “entre 10 et 15 000 euros par campagne.”
“L’inventaire de Prime Video Ads sera plus coûteux que celui de la TV linéaire non adressée mais bien moi que celui de Netflix ou Disney+, qui oscille entre 40 et 50 euros du CPM”
Et que si vous passez par une agence média, plutôt qu’en direct, vous bénéficiez d’une nouvelle décote de 15%. “Sans doute qu’Amazon veut rationaliser le nombre de ses interlocuteurs et inciter les annonceurs à passer par leurs agences”, observe un connaisseur du marché. L’approche du géant de l’e-commerce est d’autant plus appréciée qu’il prend le temps, contrairement à Netflix et Disney+, d’avoir les retours des agences pour affiner son offre.
“Amazon nous sollicite plusieurs mois avant son lancement, là où Disney+ s’est réveillé quelques semaines avant son arrivée”, remarque notre anonyme.“ ”Amazon va arriver avec la plupart des ciblages déjà disponibles, là où Netflix a construit cela au fil de l’eau”, complète Julien Levy. Cela s’explique aussi par le fait que la publicité est déjà l’un des piliers du modèle économique d’Amazon (37,7 milliards de dollars de revenus en 2022), alors que Netflix et Disney+ sont partis, technologiquement comme commercialement, de quasiment zéro.
Amazon, comme Youtube avant lui, construit son offre en miroir de celle de la télévision. Comme les chaînes, la plateforme permettra aux annonceurs de faire du sponsoring sur certains programmes spécifiques. Comme les chaînes, elle leur imposera un avis ARPP pour chacun de leurs spots. Cela peut être un frein pour ceux qui ne font que de la vidéo en ligne (est-ce que ça vaut le coup de se rajouter cette étape juste pour Amazon ?) et cela fait dire à Emmanuel Crego, que la plateforme a clairement “les 2 000 annonceurs de la TV dans son viseur.” Une TV dont la durée d’écoute individuelle décroît au fil des ans, en même temps que sa population vieillit.
Tout l’enjeu pour Amazon sera donc de démontrer son apport de couverture incrémentale des plans TV. C’est là où Prime Video Ads aura besoin, comme ses concurrents de la VOL, d’un tiers de confiance. Sans doute Médiamétrie//Netratings, avec lequel les équipes d’Amazon discutent déjà. Cela leur permettra d’encourager les annonceurs à :
leur confier une part des budgets qu’ils investissent en TV linéaire non adressée
faire des arbitrages entre Prime Video Ads et la TV segmentée pour travailler leur couverture incrémentale
prrivilégier Prime Video Ads aux offres de VOL qui ont le même discours : Youtube, Netflix, Disney+ ou TF1+.
De la data Amazon dans un contexte similaire à la TV
Nouveau géant de la publicité, Amazon est aussi (et avant tout) un géant du retail. Et, dans un secteur qui a de plus en plus de mal à démontrer son efficacité, disparition des cookies tiers oblige, cela change pas mal de choses.
“La part de marché d’Amazon dans le retail va lui permettre d’offrir aux annonceurs quelque chose que Netflix et Disney+ ne leur offrent, pour l’instant, pas : du rationnel”, analyse Souaade Agmir, head of trading chez Publicis Media. C’est, concrètement, mettre un ROI bas de funnel , l’impact sur les ventes par exemple, en face d’un investissement budgétaire. Là où Netflix et Disney+ en sont, timidement, à proposer du post-test panéliste pour démontrer un impact sur des items branding comme l’awareness ou la considération de marque.
C’est important, bien sûr. Et sans doute qu’Amazon le proposera lui aussi. Mais ce n’est qu’un paramètre d’une équation (comment optimiser mes dépenses publicitaires vidéo) qu’Amazon est très bien placé pour résoudre. “Amazon maîtrise l’ensemble de l’écosystème, de l’exposition publicitaire à la vente”, rappelle Julien Levy.
"Les annonceurs PGC, gros consommateurs de spots TV, devraient être au rendez-vous"
Les publicités vidéos ne devraient pas être cliquables au lancement mais, quand elles le seront, elles devraient faire le bonheur des annonceurs endémiques de la plateforme. “Notamment celui des PGC (produit de grande consommation, ndlr) qui sont, comme le rappelle Souaade Agmir, des gros acheteurs de télévision.” Les Procter & Gamble, L’Oréal et cie. On imagine qu’à terme (là, je spécule), Amazon pourra envoyer une push notification à un utilisateur pour l’alerter sur la disponibilité (ou la baisse de prix) d’un produit auquel il a été exposé.
Les annonceurs non endémiques pourront, eux, piocher dans les insights de la plateforme (moments de vie, intentionnistes de catégorie…) et être capables de mesurer un impact sur les ventes offline en uploadant leurs données 1st party via la clean room d’Amazon, Amazon Marketing Cloud.
C’est l’autre grand pilier de l’offre Prime Video : l’accès à la data Amazon. Cette dernière, la fameuse “data in-market” sera accessible en self-service, depuis le DSP d’Amazon, via des preferred deals. Alors que les deux autres modes d’achat (sponsoring et garanti) seront circonscrits au gré à gré et à la donnée basique (socio-démo, géolocalisation…) évoquée plus haut.
Reste bien sûr quelques interrogations. “Comment Prime Video va-t-il gérer l’encombrement publicitaire ?”, s’interroge Emmanuel Crego. Sujet jamais évident quand on se lance. Même quand on s’appelle Amazon.
La plateforme assure qu’elle ne diffusera pas plus de 3 minutes 30 de publicité par heure. Il faudra aussi qu’elle s’assure de maîtriser la fréquence d’exposition des internautes (afin de ne pas les matraquer avec les mêmes spots vidéos). Et qu’elle travaille bien son discours marketing : “Prime Video Ads ne doit pas aller sur le terrain de l’audience 4 ans et plus car TF1 et M6 lui seront toujours supérieurs là-dessus. Il faut en revanche que la plateforme se concentre sur les 15-49 ans qui shiftent en permanence”, analyse Emmanuel Crego.
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