Pourquoi, un an après son arrivée, Netflix pèse si peu dans le marché pub français


  • Avec à peine 600 000 profils disponibles pour les annonceurs, l’offre publicitaire de Netflix est confrontée à un sacré problème de reach. L’absence de mesure par Médiamétrie//Netratings est un autre problème.

Un an déjà que la publicité a fait son arrivée en fanfare sur Netflix. Et, alors que certains se demandaient à l’époque quel pourcentage des budgets alloués historiquement à la TV basculerait vers la plateforme d’AVOD, le constat est, un an plus tard, implacable : on est très loin du bouleversement annoncé. On vous explique pourquoi.

Moins de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023

La réalité, c’est que Netflix reste un petit acteur dans le paysage publicitaire français. Ce sont à peine “5 des clients de Dentsu qui y sont allés, sur un total de 80”, témoigne Caroline Hamm, head of multiscreen de l’agence en France. Ils sont une petite dizaine chez Values Media et Havas Media. On n’aura pas le nombre chez Publicis Media, où on préfère rester discret sur le sujet, mais on nous fait comprendre, à demi-mot, qu’il n’est guère plus élevé. “Nous avons été parmi les premiers à tester mais c’est vrai que, une fois passé l’effet nouveauté, l’effet d’échelle n’est pas encore là”, commente Souaade Agmir, head of Publicis Media Trading Digital. 

Les annonceurs sont rares à avoir mordu à l’hameçon et, quand ils le font, cela reste dans des proportions très faibles. 20 000 euros en moyenne chez Havas Media. Un peu plus chez Values Media, entre 30 et 40 000 euros par campagne, soit généralement 3% du budget alloué à la vidéo en ligne. Sans doute les mêmes ordres de grandeur chez Publicis Media où Souaade Agmir reconnait qu’on est “loin des 5% des budgets VOL alloués à Netflix”. Cela reste bien maigre par rapport aux 809 millions que pesait le marché de la vidéo en ligne en 2022. D’autant qu’une bonne partie de ce marché est drivé par des annonceurs petits et moyens que Netflix, qui se concentre sur les gros acheteurs de vidéo, ne touche pour l’instant pas. Ce qui explique, selon nos estimations, des revenus publicitaires qui sont vraisemblablement compris entre 1 et 3 milions d’euros en 2023.

600 000 profils quand Youtube attire 47 millions de visiteurs uniques chaque mois

Netflix ne boxe pas dans la même catégorie que Youtube, le roi de la VOL. Et c’est d’abord un problème d’audience à en croire nos acheteurs. “Tout le problème de Netflix, c’est qu’il a beau nous proposer un écrin publicitaire hyper premium, avec des cibles qu’on imagine très attentives, le reach n’est pas au rendez-vous”, commente Caroline Hamm.

La plateforme, qui espérait dépasser les 2 millions d’abonnés fin 2023 selon un acheteur que nous avons interrogé, en est aujourd’hui très loin. Ce sont “à peine” 600 000 profils utilisateurs qui sont, selon nos informations, accessibles aux annonceurs. A noter qu’on ne parle ici pas d’abonnés à l’offre avec pub mais de profils utilisateurs. En effet, chaque abonné est susceptible d’avoir plusieurs profils (généralement les membres du foyer) avec une moyenne qui est de 2,5 profils par abonné. Ce sont donc plutôt entre 240 000 et 300 000 abonnés qui se sont donc laissés tenter par l’offre. Dans tous les cas trop peu, si l’on met ce nombre en perspective avec les 28 millions d’utilisateurs revendiqués par MyTF1 ou les 47 millions de visiteurs uniques captés par Youtube chaque mois

Netflix, qui vient de communiquer sur ses résultats financiers du troisième trimestre, révèle d’ailleurs que son offre avec publicité représente seulement 30% des nouveaux abonnés dans le monde. Preuve qu’elle n’est pour l’instant pas le driver de croissance que la plateforme espérait. 

Au delà de l’attractivité de cette offre (est-ce que ça vaut le coût d’économiser 3 euros pour subir des publicités ? A priori pas tant que ça vu le faible ratio de 30%), une réalité : Netflix n’a absolument pas communiqué sur son offre standard avec publicité auprès de grand public. 

Pas de campagne TV, print ou autre et cela s’explique par le fait que la plateforme veut mettre l’accent sur ses contenus, plus que sur ses offres, dans ses campagnes d’acquisition. Fait amusant, le principal booster de recrutement aura finalement été la chasse au partage de comptes initiée par la plateforme cet été. Le nombre de profils accessibles aux annonceurs français était en effet d’à peine 280 000 en juin dernier. Contre 600 000 donc en septembre. Plus du double ! Ce qui est bien… mais pas suffisant. 

Pas de Médiamétrie, pas de mesure de couverture incrémentale à la TV

“La taille de l’audience est un vrai sujet pour les annonceurs”, reconnait Souaade Agmir. Sa complémentarité avec les audiences TV en est un autre. Alors que Youtube a fait de l’incrément de couverture des campagnes TV son principal argument de vente, Netflix, qui n’est toujours pas mesuré par Médiamétrie, ne peut pas en dire autant. “Etre mesuré par Médiamétrie, c’est pourtant pouvoir remonter dans les outils de médiaplanning”, rappelle Souaade Agmir. Et c’est le meilleur moyen de devenir incontournable dans les campagnes qui mixent TV et VOL puisque les acheteurs médias utilisent ces outils pour simuler le meilleur mix media, et notamment les sites de VOL qu’ils vont privilégier. 

“Les marques ne peuvent pas se contenter de KPI comme la brand safety ou la visibilité. Elles savent déjà que Netflix est bon là-dessus. Elles ont besoin que la plateforme leur prouve sa complémentarité avec la TV, son impact sur l’image de marque ou sur les ventes”, rappelle Philippe Bigot, à la tête du pôle vidéo d’Havas Media. Tout ce sur quoi Youtube, qui maîtrise aujourd’hui le SAV de ses campagnes pub, excelle aujourd’hui.

La plateforme a pourtant tout pour séduire les annonceurs de ce point de vue. Elle a 1) une audience beaucoup plus jeune que les chaînes de TV (31 ans en moyenne selon Netflix, contre plus de la cinquantaine) et une consommation qui est importante sur écran de TV (60% du temps passé). Ne reste donc plus qu’à passer par la case Médiamétrie pour permettre à un tiers de valider tout celà et de confronter ces données à celles des broadcasters pour identifier les fameux incréments de couverture. “C’est déjà le cas au Royaume-Uni, via Barb, et on espère que ce le sera aussi bientôt en France”, déclare Souaade Agmir. “Sans doute, lui répond un acheteur en agence. Même si je pense que Netflix attend de passer le cap du million de profils pour être mesuré.” Etre mesuré, c’est bien. Etre mesuré quand vous êtes gros, c’est mieux.

C’est peut-être le raisonnement que tient Netflix mais c’est peut-être aussi une erreur. “Oui le reach est stratégique en média, et encore plus en TV, reconnait Emmanuel Crego. Cependant, il est illusoire de penser que Netflix concurrencera les chaînes de TV sur une audience population entière.” Netflix, dont l’âge media est de 31 ans, a en revanche une belle carte à jouer sur une population bien spécifique, plus difficile à toucher en TV linéaire, selon l’expert. “Sur les - 35 ans, et plus particulièrement les 25-34 ans qui pèse une part non négligeable de la cible commerciale des 25-49 ans, estime Emmanuel Crego. A Netflix de continuer à se renforcer sur cette cible, en gagnant de nouveaux abonnés et en le démontrant chiffres Médiamétrie.”

Des options de ciblage trop limitées (et quand même assez élevées)

Côté pile, un vrai point positif : Netflix a fortement musclé ses options de ciblage. Netflix propose des ciblages par genre (action, fantastique…) et permet de n’acheter que de l’inventaire issu du top 10 de ses programmes. Les acheteurs peuvent également cibler par tranche horaire, jour de la semaine, première impression (la première session de connexion d’un internaute). “Ca s’est vraiment amélioré”, résume Emmanuel Crego.

Côté face, un constat plus problématique : ces ciblages ne sont pas toujours utiles (la concurrence n’étant pas très rude, on se retrouve souvent par défaut dans le top 10 des programmes, par exemple) et surtout ils sont très chers. De 25% de CPM additionnel pour le socio-démo, l’heure de la journée et le genre, jusqu’à… 200% pour une première impression (la première de la session de connexion d’un internaute). Des pourcentages qui, ajoutés aux prix de Netflix (de 25 euros du CPM pour le 10 secondes à 82 euros du CPM pour le 60 secondes) laissent une ardoise salée.  

Netflix, qui s’inspire ici de ce que font les broadcasters en TV linéaire, devrait peut-être corriger le tir. “L’impact de la majoration n’est pas le même quand vous achetez à 8 euros du CPM, comme c’est souvent le cas en TV linéaire, que quand vous achetez à 40 euros, comme c’est le cas chez Netflix”, rappelle Emmanuel Crego. Lequel estime que, si Netflix veut vraiment “faire les poches” des broadcasters, il aurait tout intérêt à offrir ses modes de ciblage les plus basiques, comme le socio-démo. C’est d’ailleurs ce que font Youtube et tous les acteurs de la vidéo en ligne… 

Autre exemple avec l’onboarding des données annonceurs, possible depuis peu chez Netflix, pour leur permettre de faire du display CRM (de la pub auprès des clients) ou, a contrario, d’exclure ces clients de la campagne pour faire uniquement de l’acquisition. Une fonctionnalité intéressante… mais proposée moyennant 30% du CPM. “C’est comme si Facebook facturait aux annonceurs sa fonctionnalité de Custom Audience”, s’émeut Emmanuel Crego. 

Netflix se bouge sur les ciblages (même s’ils sont très coûteux). Mais la plateforme est parfois un peu à côté de la plaque. A l’image de ce nouveau ciblage en alpha, qui permet aux marques de cibler (sans majoration) des membres qui consomment Netflix sur mobile et tablette. “C’est plutôt l’inverse qu’elles veulent faire, regrette Emmanuel Crego. Cibler uniquement l’environnement TV.” Ce que Netflix ne permet toujours pas.

Pas de gré à gré et un accès programmatique pas assez ouvert

Netflix s’achète aujourd’hui exclusivement en programmatique via la plateforme Xandr. Il y a eu le programmatique garanti dès le lancement, puis l’arrivée de private deals et preferred deals, en avril dernier, pour rendre l’inventaire plus abordable. “Une bonne décision, à en croire Emmanuel Crego, qui est très friand de ce mode d’achat.” Mais évidemment pas suffisant. Ils sont nombreux à pousser pour une ouverture de l’offre programmatique à de nouveaux outils d’achat, comme DV 360 ou The Trade Desk. Une ouverture qui ne pourra néanmoins pas intervenir avant la fin de l’accord d’exclusivité avec Microsoft et son DSP Xandr (a priori fin 2024).

“L’écosystème est très fragmenté et s’il veut continuer à se développer, il doit y avoir moins d’exclusivité et une meilleure accessibilité aux inventaires”, estime Souaade Agmir. C’est aussi la raison pour laquelle la dirigeante regrette qu’il ne soit “toujours pas possible d’acheter Netflix en gré à gré”. Rappelons que le gré à gré reste un mode d’achat très prisé des marques sur la vidéo, notamment parce qu’il leur permet d’économiser des frais de DSP (15%) dont la valeur ajoutée est, lorsque les options de ciblage sont limitées, très relative. Proposer cette option est, de l’avis de nos acheteurs, un bon moyen de générer de la croissance.

C’est sans doute prévu. Le recrutement de Florence Trouche, ancienne de Meta, à la tête de la régie française, semble l’indiquer, de même le fait qu’elle ait pour mission de structurer une régie interne à Netflix (aux débuts, seuls les commerciaux de Xandr commercialisaient l’offre publicitaire).

Un an, c’est peu pour installer une offre publicitaire

“C’est évident que le bilan est décevant par rapport à ce qui avait été annoncé… mais il faut rester patient avec Netflix, qui fait de vrais efforts pour améliorer son offre”, rappelle Emmanuel Crego. Un avis partagé par Philippe Bigot, qui rappelle qu’on en “est encore aux balbutiements et que ça va forcément s’améliorer.” C’est notamment vrai pour le prix qui, de l’avis de tous, devrait baisser en même temps que l’inventaire augmente. “Cette politique tarifaire élevée se justifie dès lors que les inventaire sont limités. Netflix pourra être plus souple avec le temps”, analyse ainsi Souaade Agmir. 

Caroline Hamm attend, elle, avec impatience l’arrivée du sponsoring, prévue pour début 2024. “Nous avons eu beaucoup de demande de clients qui voulaient s’associer à la série sur le Tour de France, lorsque celle-ci s’est lancée”, illustre-t-elle. Même son de cloche côté Souaade Agmir, qui dit avoir hâte de “pouvoir travailler de nouveaux territoires de marque, avec une approche un peu plus brand content.”

Un an après, c’est donc un résultat décevant… mais qui reste bercé de promessses pour l’élève Netflix. D’autant que son arrivée a permis de donner naissance à un marché sur lequel Disney+ et Prime Video vont aujourd’hui s’engouffrer. Plus il y aura de poids lourds, plus les annonceurs vont mordre à l’hameçon. Oui, l’offre de Netflix a des défauts… mais les attentes du marché étaient sans doute un peu démesurées. “Ca prend du temps de bâtir une offre publicitaire qui tient la route”, rappelle Emmanuel Crego. Youtube, qui pèse aujourd’hui plus de 29 milliards de dollars de revenus dans le monde, a introduit la publicité il y a… 13 ans. “A l’époque, beaucoup les ont pris de haut”, se souvient Emmanuel Crego.