CGV 2025 : pas de CPM... mais de la convergence et de l'inflation


  • C’est officiel : TF1 Pub, M6 Pub et Canal+ Brand Solutions adoptent le format 20 secondes comme nouvel indice de référence pour la publicité TV, reléguant le 30 secondes au second plan.
  • Si ce changement redonne de la liquidité au marché et s’aligne sur les usages digitaux, il accentue aussi les tensions sur les prix et suscite des inquiétudes chez les acheteurs. Dans un contexte de contraction des inventaires et d’inflation galopante, les régies jouent-elles avec le feu ? Décryptage

C’est une nouvelle qui n’en est pas vraiment une puisque le marché en parle depuis plusieurs mois. Mais c’est désormais officiel : le format 20 secondes remplace le 30 secondes comme indice de référence pour les acheteurs TV. 

La bascule est effective chez TF1 Pub, M6 Pub et Canal+ Brand Solutions alors que FranceTV Publicité, qu’on voit mal faire cavalier seul sur le sujet, n’a pour l’instant rien changé. “Les acheteurs ont besoin de cohérence donc s’il y a une demande d’harmonisation en ce sens, on sera évidemment à l’écoute”, explique Vincent Salini, directeur commercial numérique de FranceTV Publicité. 

Plusieurs explications à cette bascule vers le 20 secondes. D’abord la baisse structurelle de la DEI, durée d’écoute par individu, en chute de 6% cette année, qui conduit mécaniquement à une contraction des inventaires pubs TV. “Certains acteurs étaient saturés dès le début janvier”, rappelle la directrice générale de TF1 Pub, Sylvia Tassan-Toffola. Raccourcir l’indice de référence est, dans ces conditions, un moyen de redonner de la liquidité d’inventaire au marché pub TV. 

C’est aussi, dans un contexte de tension entre l’offre et la demande, un moyen de mieux le valoriser puisque par le truchement d’inflations appliquées aléatoirement au fil des années, le format 30 secondes était devenu beaucoup plus compétitif que le 20 secondes. “Si l’on ramène son tarif à la seconde, il était devenu un tiers moins cher que le format 20 secondes”, chiffre un acheteur.

“Une aberration industrielle qu’il fallait corriger”, estime Sylvia Tassan-Toffola. D’autant que, comme le rappelle, de son côté, Maxime André, le directeur marketing de M6 Pub, “le format 20 secondes est la norme sur le digital.” Et que ça a sans doute un impact sur les stratégies des acheteurs TV puisque la durée moyenne d’un spot TV est aujourd’hui de… 21 secondes. 

Tous les ingrédients semblent donc réunis pour réaliser la bascule. Tous sauf un… Cette satanée inflation qui pollue, depuis plusieurs années déjà, les échanges entre acheteurs et vendeurs TV. Entre d’un côté, des agences qui font face à des gros enjeux de productivité (arguant que leurs clients, les marques, leur en demandent toujours plus) et de l’autre, des vendeurs qui aiment à rappeler que la TV française est parmi les moins chères d’Europe.

“Faire du 20 secondes le nouvel indice de référence, c’est introduire mécaniquement de l’inflation”, observe un acheteur qui s’inquiète de ce que le ticket d’entrée de la TV est devenu de plus en plus élevé au fil des années. “Depuis le covid, il ne se passe pas une année sans qu’on nous fasse avaler des hausses tarifaires quand, les années précédentes, la stabilité était plutôt la norme.” 

Une inflation qui ne peut, selon notre acheteur, n’avoir qu’une issue possible : une désertion progressive des annonceurs aux moyens les plus limités. “Je sors d’un rendez-vous avec un annonceur qui dépense 10 millions d’euros chaque année et qui se pose, pour la première fois, la question de faire une vague TV en moins”, illustre notre expert. 

Les régies TV jouent-elles avec le feu ? “Bien évidemment qu’on a effectué des modélisations pour évaluer les risques d’un tel changement, rassure Sylvia Tassan-Toffola. La réalité, c’est que la télévision restera, cette année encore, très attractive.” Comprendre qu’il y a encore de la réserve du côté de l’élasticité prix de la demande. 

“Cette inflation, c’est aussi un moyen d’accompagner la hausse du coût de création des contenus”, rappelle, de son côté, le président de Canal+ Brand Solutions, Fabrice Mollier. Avant d’ajouter que, plutôt que de saupoudrer cette inflation, ça et là, dans les CGV, comme cela se faisait par le passé, la régie a préféré cette année jouer franc jeu.

 “On augmente les indices formats de 7 à 9% mais on ne touche à rien d’autre.” Surtout, la régie a prévu une incentive pour les acheteurs qui jouent le jeu sur le digital et le RSE. “Ce qui leur permet de diviser par deux cette inflation”, chiffre Fabrice Mollier. 

Canal+ Brand Solutions est loin d’être un cas isolé. “Plus vous investirez en digital, moins notre linéaire coûtera cher”, confirme Sylvia Tassan-Toffola. Alors que du côté de M6 Pub, on a mis en place des remises sur les tarifs du linéaire pour les campagnes allouant au moins 15% du budget à M6+. “Le digital, c’est 13% de nos audiences mais ‘seulement’ 10% de nos revenus, justifie Maxime André. Nous voulons rééquilibrer cela.” 

Ces remises sont, en effet, autant un moyen de rassurer les acheteurs que de les inciter à basculer vers l’environnement streaming du groupe. Un environnement qui, contrairement au linéaire, est en pleine expansion chez la plupart des régies TV. Canal+ Brand Solutions annonce ainsi multiplier son inventaire digital par 3 en 2025, via de la croissance organique et des nouveaux partenariats de régie (comme celui noué avec Max). 

On n’a pas les chiffres de croissance exacts chez ses concurrents mais on imagine qu’ils sont au diapason. Qu’il s’agisse de TF1 Pub, qui veut faire de TF1+ le leader du streaming gratuit, de M6 Pub, qui prend PlutoTV en régie, ou de FranceTV Pub qui veut capitaliser sur l’incroyable succès des Jeux Olympiques (3 millions de logués recrutés à cette occasion).

Pour tout ce petit monde, un même enjeu : que la répartition du revenu publicitaire reflète au mieux cette bascule des usages de consommation. 

Le CPM, grand absent de ces CGV 2025

La convergence n’ira toutefois pas jusqu’à concerner la monnaie d’achat puisque le CPM est le grand absent de ces nouvelles CGV. Il était pourtant question que le marché bascule du GRP vers le CPM début 2025. Cette bascule, que TF1 Pub et M6 appelaient de leurs vœux, devaient permettre aux chaînes TV d'être jugées sur les mêmes critères que les plateformes de vidéo en ligne, comme Youtube. 

Il n’en sera rien puisque les ateliers de concertation organisés entre les différentes interpros, courant 2024, ont accouché d’une souris. “L’Udecam et l’Union des marques nous ont fait comprendre qu’ils n’en voulaient pas, constate une régie. Et c’est impossible d’acter le passage à une nouvelle devise si tout le buyside ne suit pas."

Nous vous expliquions, début 2023, pourquoi ce dernier freinait des quatre fers, entre crainte que les régies en profitent pour faire passer de l’inflation et l'inquiétude légitime d’appauvrir le médiaplanning télévisuel. La disparition du GRP s’accompagnait, en effet, de deux dimensions appréciées des acheteurs TV : la couverture et la répétition.

“Acheter de la TV au CPM, ce serait l’acheter au kilo”, illustrait à l’époque Philippe Bigot, le patron du département vidéo chez Havas Media. Regrettant que “les régies se soient contentées de retenir le plus petit dénominateur commun aux deux univers.” 

“L’intérêt du CPM, c’était évidemment de montrer que la télévision n’est vraiment pas chère, comparée aux grandes plateformes vidéos digitales, reconnaît Fabrice Mollier. Pour autant, on parle de deux environnements qui diffèrent pas mal en termes d’organisation, budgets et métriques et si l’on se doit de rendre les indicateurs bilingues, on n’est peut-être pas obligés d’aller vers une convergence absolue.”

Il ne fait pas de doute que la plupart des régies proposeront, quoi qu’il arrive, une double grille de lecture, comme le font depuis quelques temps FranceTV Publicité et d’autres, avec le CPM d’un côté et le GRP de l’autre. “Je pense qu’il est important qu’on s’assure d’avoir la même définition et que, surtout, on prenne en compte la singularité du média TV avant de faire une telle bascule”, pointe Vincent Salini.