- L’alliance data qui réunit une vingtaine d’enseignes membres de l’Association Familiale Mulliez (AFM), dont Auchan, Boulanger, Décathlon, Kiabi ou Leroy Merlin, va reprendre la main sur la commercialisation de la data Valiuz en extension d'audience, jusque-là gérée par un partenaire, Gamned.
- Elle met sur pied une équipe de sales et de traders pour y arriver. Elle réfléchit également à proposer un socle de monétisation on-site commun aux enseignes Mulliez qui le voudront.
50 millions d’euros… C’est, selon nos informations, le montant levé auprès de ses actionnaires par Valiuz, l’alliance data d’une vingtaine d’enseignes membres de l’Association Familiale Mulliez (AFM) : Alinea, Auchan, Boulanger, BZB, Chronodrive, Décathlon, Electro Depot, Flunch, Gain de Malice, Jules, Kiabi, Leroy Merlin, Nhood, Norauto, Oney, Rouge Gorge, Saint-Maclou, Tape à l’Oeil, Top Office.
Une somme considérable pour une structure qui s’est lancée en 2019 mais qui avançait, jusque-là, plutôt masquée. Mais une somme qui, injectée l'été dernier, doit lui permettre de passer à la vitesse supérieure alors que ses pertes se sont creusées de 600 000 euros en 2019 à 3,39 millions d’euros en 2021. Gourmand en cash, Valiuz ne dégage, pour l’instant, que peu de revenus.
Son chiffre d’affaires plafonne autour des 2 millions d’euros et ce n’est pas une surprise parce que la structure a surtout vocation à aider les entités de l'écosystème à optimiser leur prise de décisions commerciales et marketing. Qu’il s’agisse de les conseiller dans leurs projets data, comme c’est le cas avec les enseignes les moins matures sur le sujet. Ou de mutualiser la connaissance client de chacun des partenaires, pour capitaliser sur un petit pécule de près de 50 millions d’encartés dédupliqués (la plus grosse base du marché français… et de loin).
C’est, concrètement, permettre à Décathlon de savoir que son client X, également client chez Auchan, a un jardin puisqu’il y a acheté du matériel de jardinage, et donc de comprendre qu’il est pertinent de lui pousser des offres pour faire du sport en extérieur (filet de badminton par exemple). Ou encore indiquer à Kiabi que tel client qui n’a plus effectué d’achat depuis un moment continue pourtant de se rendre dans une zone commerciale où se trouve un magasin de l’enseigne puisqu’il va chez le Auchan voisin. Et donc de comprendre que ça vaut le coup de le recontacter.
“Valiuz propose, chaque enseigne dispose”
Du plan commercial aux actions CRM, Valiuz permet donc à ses partenaires d’être beaucoup plus pertinents en mutualisant la data et en générant, par ce biais, des millions d'euros de marge supplémentaire. Mais Valiuz veut faire aujourd’hui beaucoup plus que ça. Dans son viseur, la martingale de la plupart des retailers : le retail media.
Le retail media, Valiuz y a déjà mis un pied puisque la structure a noué un partenariat avec Gamned, spécialiste de l’achat média digital, qui commercialise la donnée de Valiuz en extension d’audience. Gamned propose ainsi à ses clients d’utiliser la donnée de Valiuz pour optimiser leurs campagnes display. Les deux entités se partagent les revenus réalisés par ce biais. Le partenariat, effectif en 2022, a mis du temps à se mettre en place (près de deux ans). Car, comme pour tout projet qui associe des enseignes de la galaxie Mulliez, il faut réussir à garder un cap tout en ménageant les susceptibilités des uns et des autres. Et surtout leur désir d’indépendance.
Pour ne pas cannibaliser les efforts des régies d’Auchan, Décathlon ou Leroy Merlin, Gamned a ainsi d’abord dû se contenter de draguer les annonceurs non endémiques (c'est-à-dire ceux dont les produits ne sont pas vendus au sein des enseignes). Les appels du pied se multipliant, le partenaire a finalement eu le droit d’élargir son périmètre aux annonceurs endémiques. Avec cette nuance près qu’un Danone, lorsqu’il achète de la donnée via Gamned, n’achète pas de la donnée Auchan mais de la donnée Valiuz (même si dans la réalité on se doute que la donnée Décathlon ou Leroy Merlin sera moins mise à contribution dans ce cas de figure).
Valiuz est en train de constituer une équipes sales et trading pour lui permettre d’opérer lui-même des campagnes programmatiques s’appuyant sur sa donnée
Cette première expérience a permis à Valiuz de tester l’appétence du marché pour sa data. Une réussite, à en croire des proches du sujet, et désormais une question : quelle suite donner à ce partenariat ? La tendance est à l’internalisation puisque, selon nos informations, Valiuz est en train de constituer une équipes sales et trading pour lui permettre d’opérer lui-même des campagnes programmatiques s’appuyant sur sa donnée. Cela passe par l’ouverture de son propre siège DSP et le lancement d’une offre de curated marketplace dans les semaines qui viennent. Gamned continuera à proposer, lui aussi, cette donnée, mais en devenant un partenaire comme les autres.
L’autre gros sujet sur lequel Valiuz s’affaire aujourd’hui, c’est celui de la monétisation de l’inventaire retail media des membres de l’alliance. Il s’agit de leur permettre de s’appuyer sur un socle technologique commun de façon à ce que les annonceurs puissent intégrer plusieurs retailers de l’alliance au sein d’un même plan média et maîtriser la fréquence d’exposition (frequency capping) entre ces sites. Si l’intérêt d’agréger les inventaires de sites appartenant à des verticales très différentes (et donc ne s’adressant pas du tout à la même cible d’annonceurs) est plutôt limité, cela pourrait occasionner un effet levier pour les enseignes les moins visibles de l’Alliance. Les agences médias retrouveraient, au sein d’une même interface, des inventaires qu’elles n’auraient pas pris le temps d’activer en direct (car trop petits, trop peu connus).
Pas question pour Valiuz de construire son propre socle technologique. La structure n’a, selon nos informations, pas vocation à devenir éditeur de solutions. Mais plutôt à jouer un rôle de coordination. C’est donc une technologie existante - Criteo, Citrus Ad, Promote IQ ou Veasybil - qui devrait être retenue, avec pour Valiuz la possibilité de négocier une commission d’adserving plus intéressante que celle qu’obtiendrait chaque partenaire en direct et celle de faire des développements custom on top. “L’inspiration, c’est Kroger, qui a su combiner technos externes et développements custom”, selon un proche du dossier. On imagine que l’exemple Walmart est également suivi de près dans le Nord.
C’est dans ce contexte de réorientation stratégique qu’il faut analyser la décision prise par Auchan de mettre en pause son appel d’offre retail media. Ce dernier, qui devait avoir lieu en juin dernier, a été repoussé sine die. Le temps de donner à Valiuz l’occasion de reprendre la main sur un appel d’offre plus global ? Il faudra voir qui la structure réussit à embarquer dans l’aventure. Il faudra en tout cas faire sans le groupe Adeo (Leroy Merlin et Bricoman) qui aurait, selon nos informations, l’intention de lancer son propre appel d’offres. “Valiuz propose, chaque enseigne dispose”, résume un connaisseur du dossier.
Mais Valiuz a désormais pas mal d’argent. Et les 50 millions d’euros levés pourront être assez rapidement injectés dans “des people, des compétences et de la techno”, à en croire un connaisseur du dossier. La structure, qui regroupe aujourd’hui 80 collaborateurs, ambitionne de faire gonfler ce nombre pour grandir. Notamment à l’international. Il n’est, en revanche, pas question, pour l’instant, de lancer sa propre régie sur le volet on-site, comme l’ont fait Carrefour Links avec sa joint-venture et Retailink by Fnac - Darty. La structure a conscience des défis que constitue une telle reprise en main, notamment en ce qui concerne la relation aux agences médias. C’est donc aux régies de chaque enseigne et à leur partenaire (le plus souvent Criteo) que devrait incomber cette tâche.
Le mot d’ordre, quel que soit le champ d’application, c’est l’uniformisation des outils utilisés par les différentes enseignes de l’alliance. Cela vaut aussi pour le volet “insights”, soit le partage de données consommateurs aux fournisseurs, avec la mise en place de standards et d’interfaces communes aux enseignes partenaires. Valiuz s’attèle notamment à la construction d’une data clean room qui lui permettra de faire tout celà de manière sécurisée. Une plateforme qui permettrait à chaque marque de bien comprendre qui sont ses consommateurs dans l’écosystème Valiuz, pour mieux appréhender ses opérations de trade marketing ou ses plans médias.
Valiuz a racheté Fashion Data pour un peu plus d’un million d’euros en début d’année
C’est dans cette perspective que Valiuz a mis la main sur Fashion Data, en début d’année. La structure a déboursé un peu plus d’un million d’euros pour intégrer ce spécialiste de la connaissance client dans le prêt-à-porter. Elle a également récupéré la la tutelle de Naomi, l’application de cashback commune aux enseignes Mulliez, puisque Pallur, une structure qui supervise les projets cross-enseignes AFM, a échangé 100% du capital de Naomi contre 514 874 actions Valiuz en juillet dernier.
L’opération a valorisé Naomi 2,2 millions d’euros. Le projet, qui a été lancé courant 2020, s’inscrit en complément des programmes de fidélité de chaque enseigne. Il doit leur permettre de recruter un public plus jeune (il est uniquement accessible via une application mobile) et d’améliorer la connaissance de chaque client (notamment sur le taux de nourriture). Pour l’instant circonscrite aux enseignes de l'écosystème Mulliez, Naomi pourrait s’ouvrir à des retailers hors AFM s’ils se laissent tenter. Tout comme Valiuz qui, à l’image d’Infinity Advertising, l’alliance Intermarché et Casino, et de la joint-venture Carrefour Links - Citrus Ads, ne s’opposerait pas au fait d’accueillir d’autres retailers. Partant du constat que plus vous pesez dans l’e-commerce, plus vos revenus retail media montent en flèche. Avis aux intéressés.