- Criteo lâche-t-il la France ? Non, répond son MD EMEA, Marc Fischli, qui rappelle que le champion du retail media a connu des déboires similaires dans d’autres marchés, avant de revenir dans la course à la faveur de cycles plus favorables.
- Une adtech qui n’en oublie pas pour autant de faire son auto-critique, après une année très tourmentée, et qui rappelle sa volonté de répondre mieux aux attentes des retailers français à l’avenir.
Minted. Criteo vient de perdre coup sur coup le display de Retailink et le retail media on-site d’Auchan. Un coup dur ?
Marc Fischli. Personne n’aime perdre et c’est donc forcément une déception ! Même s'il y a eu, depuis, d'autres victoires en France, sur lesquelles je ne peux malheureusement pas encore communiquer. Nous respectons quoi qu'il arrive les choix de nos clients et, que l’on gagne ou que l’on perde, avons toujours à coeur d'analyser le résultat d’un appel d’offres, pour être meilleurs la fois d'après.
Ceci étant précisé, je reste convaincu que ce que propose Criteo est unique. Une technologie agnostique, qui permet aux retailers, marques et agences, de se développer “at scale”, grâce à notre retail media platform, Commerce media. L’ambition étant de régler ce problème de fragmentation de l’univers retail media dont beaucoup se plaignent.
Cette retail media platform que vous évoquez est peut-être l’une des raisons des récentes défaites de Criteo. En contraignant la plupart de ses clients retailers français à basculer dessus fin 2022, alors que la solution n’était manifestement pas prête, Criteo a suscité énormément de crispations…
C’est effectivement ce que nous ont dit la plupart de nos clients, présents ou anciens. Nous n’avons manifestement pas bien géré cet épisode et n’aurions pas dû forcer cette bascule. C’est une erreur que nous ne reproduirons pas.
"Nous n'aurions pas dû forcer les retailers français à basculer sur la nouvelle plateforme"
Pour autant, c’était important de proposer aux agences médias un seul point d’entrée pour gérer leurs campagnes. Avant ce déploiement, elles devaient passer par les interfaces de Storetail pour le display, Hooklogic, pour le search… Ce n’était pas viable sur le long terme.
Il nous fallait éliminer cette friction car la vraie concurrence de Criteo, ce sont des acteurs comme Amazon, Google ou les plateformes sociales. Autant d’acteurs qui concilient scale et simplicité d’utilisation. Ce que permet désormais notre retail media platform, en faisant du multi-format et du multi-retailers.
Un an plus tard, la plateforme, qui n’était pas “solide sur ses fondamentaux” aux dires de l’un de vos clients, s’est-elle enfin stabilisée ?
Oui, elle s’est stabilisée même si nous continuons à la faire évoluer, pour répondre aux attentes de nos clients.
Lesquelles ?
Il y a le besoin d’omnicanalité, qui implique d’ajouter de nouveaux canaux. Mais aussi la volonté de proposer une approche full-funnel aux marques, en leur permettant de s’appuyer sur des emplacements publicitaires qui ne sont pas uniquement pensés pour faire de la conversion.
Comme la vidéo ? C’est un format très demandé par les retailers mais que vous avez tardé à proposer…
Nous effectuons des tests avec des retailers français et cela se passe très bien. Nous espérons déployer ça à l’échelle prochainement. Je précise que c’est une technologie propriétaire.
L’omnicanalité que vous évoquez, elle passe par quoi ?
Une meilleure intégration entre l’univers digital et le non-digital. Quand on parle retail media, on oublie souvent cette deuxièmes jambe, qui comprend tout ce qui touche au CRM, aux programmes de fidélité et à la promotion personnalisée. Autant de points de contacts qui se jouent en point de vente, qui sont souvent issus des accords de trade marketing.
A nous de mieux adresser ces sujets qui sont pour l’instant surtout gérés de manière tactique, pas toujours stratégique. Notamment sur l’in-store où nous avons investi dans une technologie australienne qui s’appelle Brandcrush. Nous sommes en train de la déployer en France.
Est-elle directement intégrée à la retail media platform ?
Pas encore. Pour le moment, les acheteurs doivent opérer les deux en parallèle, même si nous avons conscience que ce n’est pas l’idéal d’un point de vue mesure. Mais c’est prévu à terme.
Un autre des griefs formulés par vos clients, anciens ou existants, c’est votre manque de flexibilité. Certains de vos concurrents en font aujourd’hui un gros facteur de différenciation. Comment y remédier ?
Criteo doit être capable de concilier cette exigence de flexibilité que vous évoquez avec les impératifs de scalabilité qu’ont les marques et les agences médias. On y travaille.
Mais si on regarde nos trois plus gros marchés en Europe - l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni - on voit que 80% des demandes sont les mêmes. L’enjeu, c’est donc de répondre aux 20% restant, sans pour autant perdre trop de temps là-dessus.
Une autre requête qui nous a été remontée, c’est l’envie qu’ont certains retailers de s’ouvrir à de nouvelles sources de demande, notamment le programmatique, via des connexions à des DSP généralistes. Est-ce que c’est envisageable pour Criteo ? Cela impliquerait d’acceptr de sacrifier un peu de votre marge puisque les investissements ne transiteraient plus uniquement par votre DSP…
C’est déjà possible via notre brique SSP, Commerce Grid, qui permet aux retailers d’accéder à d’autres DSP, s’ils le souhaitent.
Certains le font-ils ?
Nous venons de lancer l’outil. Il est déjà utilisé en Angleterre mais pas en France. Même si, honnêtement, les retailers ne doivent pas s'attendre à monts et merveilles en termes d'incrément de business.
La grande force de Criteo, c’est son muscle commercial. Nous avons une armée de commerciaux, très bien implantés chez les agences médias. Nous avons des joint business plans avec quelques-uns des plus gros annonceurs mondiaux, comme Nestlé ou Unilever. Nous profitons de notre bonne présence aux Etats-Unis pour dealer des accords d’investissements globaux.
Peut-être que cela vous permettrait d’être mieux présents sur la longue traîne ?
Il ne faut pas oublier que nous avons toute notre division “marketing solutions” qui opère là-dessus.
Un coup d’œil à la cartographie du retail media réalisée par Alliance Digitale, il y a un an de cela, permet de se rendre compte de l’ampleur de la saignée. Criteo, dont la technologie équipait plus de la moitié du top 30 des retailers français il y a à peine un an, en a perdu la moitié dans le laps de temps ! Criteo lâche-t-il la France ou la France lâche-t-elle Criteo ?
Ce n'est pas la première fois que nous devons composer avec le départ de plusieurs clients. Nous avons connu une situation similaire aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il y a quelques années, et avons, depuis, regagné pas mal de ces clients. Je peux citer l’exemple très récent de Mediamarkt-Saturn qui, en Allemagne, est revenu de chez nous après avoir été chez CitrusAd. Il y a aussi un très gros retailer américain dont nous allons officialiser le retour prochainement.
Nous opérons dans un secteur en forte croissance et c’est naturel que cela attire de la concurrence. À nous de nous adapter et de rebondir après cette période difficile en France.
Vous ne lâchez donc pas la France pour vous concentrer sur le marché américain ?
Bien sûr que non. Comme je vous l’ai déjà dit, la France fait partie des trois marchés stratégiques de Criteo en Europe. Il est crucial pour Criteo d’y avoir une bonne empreinte, sans quoi nous n’aurons pas la taille critique indispensable pour travailler avec les plus grosses agences médias, qui opèrent à l’échelle européenne.
C’est la raison pour laquelle nous recherchons actuellement un leader capable de nous permettre de reprendre la main sur marché français, en portant une équipe qui est déjà bien en place. L’objectif reste de multiplier les revenus retail media par 3 entre 2022 et 2025.