- Deux après son arrivée au sein du groupe Adeo pour y piloter le retail media, Frédéric Marty-Debat fait le point.
- Où en est l'enseigne phare, Leroy Merlin, sur le sujet ? Quels ont les principaux défis dans la structuration de l'activité ? Et quelles opportunités offriraient un rapprochement avec Valiuz ? Il nous dit (presque) tout.
Minted. Voilà maintenant deux ans que vous avez rejoint le groupe Adeo pour y piloter le retail media. Quel est le premier bilan ?
Frédéric Marty-Debat. Notre première décision a été de lancer une structure indépendante des enseignes, que l’on a baptisée Adeo Retail Media. C’était important pour s’assurer de sa vélocité au sein d’un groupe qui compte tout de même 110 000 collaborateurs. Nous étions, ce faisant, dans une logique d’intrapreneuriat.
Cette indépendance nous a également permis de nous concentrer sur la performance du média et sur notre objectif principal : transformer les fournisseurs et marchands de l’enseigne en annonceurs.
Ca, plutôt que la rentabilité ?
Évidemment que l’objectif, c’est de créer de la valeur pour les enseignes du groupe Adeo. Mais nous sommes pour l’instant dans une phase d’investissement et d’accélération et la priorité c’était 1) de recruter un maximum de clients 2) de déployer un maximum de formats publicitaires.
Et alors, ça donne quoi ?
Nous en sommes aujourd’hui à près de 1 000 clients recrutés dans 4 pays.
Sur un total de combien ? C’est quoi votre marché adressable ?
Difficile de répondre à cette question. Mais nous sommes en phase avec l’objectif que nous nous étions donné.
Où en êtes-vous côté formats ?
Nous avons commencé par ce qui est le socle du retail media, le format “sponsored product”. Nous avons embrayé sur les autres piliers : le display on-site, la vidéo cliquable et d’autres formats que nous vendons au forfait, sur des emplacements catégoriels.
Et de l’extension d’audience ?
Nous en faisons un peu mais nous sommes encore en phase de rodage notamment avec Valiuz. Le levier n’ayant pas la même rentabilité que le display on-site, la priorité c’est vraiment d’optimiser ce dernier. Nous avons construit les fondamentaux, maintenant il faut mettre un peu d’intelligence pour aller plus loin dans la monétisation.
Vous avez mentionné la vidéo, ça marche bien ?
Nous avons un format vidéo cliquable avec un carrousel produits à côté. Mais ce n’est, en toute transparence malgré des performances media dans les standards marchés, pas le format plébiscité par nos annonceurs. Notamment parce qu’ils ont bien moins d’autres “assets” vidéos que leurs homologues du secteur “consumer electronic.”
Justement, quelles sont les spécificités de votre secteur en matière de retail media ? Est-ce qu’il y a autant d’annonceurs cibles que dans d’autres secteurs ? Autant d’opportunités ?
Nous avons une profondeur de portefeuille bien plus importante. Les acteurs de la grande conso revendiquent une centaine de clients quand nous sommes déjà à près de 1 000. Le marché est, mine de rien, beaucoup plus important en volume d’annonceurs à approcher. On parle de 13 rayons, et donc autant d’univers, rien que pour Leroy Merlin. Et à cela, il faut rajouter le volume des marchands marketplace .
Et puis il ne faut pas oublier qu’un annonceur de la grande conso se bat souvent pour être un produit parmi d’autres dans le panier du responsable d’achat chaque semaine. Dans notre secteur, les industriels se battent toutes les X années et c’est souvent pour avoir tout le panier. Ça change pas mal de choses. Sans compter que notre secteur est aussi drivé par l’essor des ventes issues de la marketplace (3P).
Les MDD sont sans doute moins omniprésentes dans votre univers que dans celui de l’alimentaire non ?
Nous nous appuyons quand même sur ce que nous appelons des MDH, marques pour habitants. Comme toute enseigne de distribution, nos MDH jouent un rôle important afin d’offrir du choix à nos clients
L’autre sujet, c’est peut-être aussi le cycle d’achat, qui est beaucoup plus espacé dans le bricolage que la grande consommation…
Oui mais il ne faut pas oublier que si vous êtes sur le site de Leroy Merlin, c’est que vous êtes plutôt avancé dans votre parcours d’achat.
En revanche, c’est clair que notre secteur est moins pénétré par l’e-commerce puisque 90% du chiffre d’affaires est réalisé en magasin. Une grande partie des consommateurs s’inscrivent dans une démarche de “RoPo” : ils visitent en ligne, pour comparer, mais ils font leur achat en magasin, après avoir testé.
C’est donc important de proposer des expériences omnicommerce. Et c’est d’ailleurs un de nos gros chantiers du côté de la mesure, démontrer l’impact des campagnes de eretail media sur les ventes en magasin. On parle d’un ROAS qui fait x2 si on rajoute les ventes physiques.
Du coup c’est tentant, j’imagine, de faire du retail media in-store, pour permettre aux marques de boucler la boucle…
Oui mais ce n’est pas évident. Du moins de le faire à l’échelle. Nous avons des directeurs de magasins super volontaires et des patrons du concept qui le sont aussi. L’investissement et la coordination nationale sont les sujets clés à cracker
Bien sûr, nous testons des choses. Notamment en Italie et en Espagne, avec des dispositifs recourant aux QR code sur les chariots ou des écrans en magasin. Et en faisant, à chaque fois, très attention à ne pas dégrader l’expérience utilisateur in-store.
Vous pourriez lancer votre réseau d’écrans en magasin ?
C’est une décision qui doit mobiliser d’importants capitaux, il y a plus de 1000 points de ventes chez Adeo.
Ou qui implique de faire appel à un prestataire qui gère le parc et prend sa commission…
Oui pourquoi pas, il faut un réel savoir faire. Autant le retail media on-site s’apparente à un mille-feuille technologique, autant le retail media in-store est un véritable mille-feuille humain, avec beaucoup de parties prenantes avec lesquelles il faut partager la valeur créée.
En parlant de valeur créée, où en êtes-vous côté chiffre d’affaires ?
Nous ne communiquons pas cette information mais nous occupons déjà une place de choix dans le paysage du retail media.
Vous êtes plutôt 1P ou 3P ?
Disons que les vendeurs 3P sont plus matures en matière de retail media. C’est donc plus facile de les convaincre de sauter le pas puisqu’ils peuvent nous dire : ‘voilà mon objectif de ROAS, à vous de l’atteindre pour me démontrer que vous pouvez être un vrai accélérateur de business’.
Il faut faire preuve de beaucoup plus de tact quand on a affaire à des fournisseurs. Déjà parce qu'ils ont un historique avec l’enseigne qu’il ne faut pas trop chambouler. Une relation de confiance qu’il ne faut surtout pas écorner. Et qu’il faut trouver sa place entre l’acheteur et le fournisseur, sans interférer pour autant dans les négociations entre ces deux parties.
Vous êtes plutôt comme un Infinity, à vous concentrer sur du revenu 100% incrémental ou vous pouvez, comme un Retailink, intégrer du trade marketing ?
Nous sommes définitivement plus Infinity. Notre métier, c’est de vendre de la publicité à des annonceurs, pas de nous inscrire dans un plan d’affaire entre un fournisseur et l’acheteur.
Nous n’avons pas encore parlé technologie. Celle de Veasybl était déjà en place lorsque vous êtes arrivé. Beaucoup s’attendaient à ce que vous fassiez un appel d’offres, une fois le projet bien mis sur les rails. Cela n’a pas (encore ?) été le cas…
La technologie, c’est évidemment un choix structurant pour une régie. Nous avons fait le choix de celle de Veasybl parce que, bien qu’elle ne soit pas la plus visible du marché, elle cochait pas mal de cases.
Elle a été pensée par des ingénieurs qui connaissent très bien l’e-commerce et qui, surtout, avaient la capacité de s’adapter aux spécificités du cahier des charges d’Adeo. La technologie est aujourd’hui “live” sur 8 de nos sites.
Si on rembobine les deux années écoulées, c’est quoi votre plus gros défi ?
Éduquer les parties prenantes. Même si beaucoup sont convaincus par le potentiel du retail media, ce n’est pas toujours évident d’avoir de l’impact quand on dirige une structure de 60 collaborateurs au sein d’un groupe qui en compte 110 000.
Il faut combattre les fantasmes et rassurer sur le fait que le retail media fait partie de l’expérience client. Le patron de l’e-commerce voudra qu’on lui assure que les formats déployés n’auront aucun impact sur le taux de conversion du site. Le directeur du magasin sera OK pour me laisser X m2 de son magasin mais à condition que ça ne bouleverse pas le parcours du client.
Bref, vous l’aurez compris il faut montrer qu’on ne nuit pas au business mais qu’on l’accélère. Et pour cela il faut faire preuve de transparence, partager un maximum de données. Ce qui implique aussi d’avoir un peu d’historique ! Nous y arrivons tout doucement. Et puis nous avons la chance de pouvoir compter sur l’appui d’un DG qui croit dans le modèle. Ça aide forcément.
Vous n’avez pas évoqué le sujet de la structuration de la régie. Certains de vos homologues se sont heurté à de sérieux problèmes d’attractivité et/ou de fidélisation des talents dans un secteur qui est hyper concurrentiel…
La réussite du projet repose évidemment sur le collectif qu’on a mis en place. Je pense que nous ne nous sommes pas trop trompés de ce point de vue là et j’espère que cela va continuer.
Je pense aussi que le fait d’appartenir à un groupe dont l’enseigne phare Leroy Merlin, qui a un gros capital sympathie, une belle marque employeur, facilite les choses. Nous sommes dans une entreprise qui s’inscrit dans un temps long, peut se permettre d’investir dans les années à venir et s’inscrit dans un contexte retail rassurant.
Kiabi, qui fait également partie de l’AFM, vient de rejoindre l’alliance retail media Valiuz. A quand votre tour ?
Nous travaillons déjà avec Valiuz sur des sujets liés à la data. Ils nous aident à mesurer l’effet RoPo que j’évoquais plus haut. Nous avons d’autres projets technologiques avec leurs équipes mais je ne peux pas vous en dire plus à ce stade.
Vous pouvez quand même me dire en quoi s’allier à d’autres acteurs aurait du sens ?
C’est évident que notre structure actuelle ne nous permet pas de maximiser rapidement certains leviers de croissance comme l’extension d’audience, l’instore ou le partage de données tels que les clean room.
On pourrait en faire, on pourrait être rentables mais on n’aurait pas les effets leviers attendus parce que l’extension d’audience implique une certaine sophistication dans son déploiement. Sophistication qui a un coût humain et technologique qu’il est souvent opportun de mutualiser…