Comment l’adtech s’est lancé à l’assaut du retail media


  • Des DSP aux SSP, en passant par les spécialistes de la DMP, CDP et data onboarding, c’est toute la chaîne de valeur programmatique qui s’est aujourd'hui mise au retail media.
  • Une stratégie qui s'explique autant par leur volonté d'aller chercher de la croissance alors que leur coeur de marché, l'Open Web, est en souffrance, que par l'engouement des retailers pour la monétisation de leur inventaire et de leurs données. Etat des lieux.

Retail media… Elles n’ont que ce mot à la bouche… ou presque. Rares sont aujourd’hui les adtech à ne pas lorgner ce secteur à la santé florissante (plus de 1 milliard d’euros d’investissements en 2023 en France). Il faut dire que la dégradation des investissements programmatiques sur le display (-9% selon le baromètre du programmatique d’Alliance Digitale) leur impose de sortir de leur pré-carré, pour continuer à ramener de la croissance aux investisseurs.

D’autant que la data in-market des retailers (data loguée pour une bonne partie) apparaît comme un bon substitut aux cookies tiers, dont la disparition est annoncée depuis plusieurs années. Et que les retailers les plus matures, toujours en recherche de marge nette additionnelle, ont ouvert leurs chakras sur ce sujet. Bien aidés aussi, il est vrai, par la démocratisation de technologies telles que la data clean rooms, qui leur offrent un environnement sécurisé pour partager leurs données. 

Tout est donc réuni pour un mariage réussi. En France, c’est surtout le sell-side qui s’est aujourd’hui positionné sur le sujet, qu’il s’agisse des adtech comme Teads, qui propose la data retail d’Infinity Advertising, régie d’Intermarché et Casino, depuis sa plateforme Teads Ad Manager, ou Equativ, qui surfe sur la popularité des plateformes de curation (curated marketplaces) pour proposer aux retailers (Valiuz et Cdiscount Advertising) de rendre leur data 1st party accessible au sein de son réseau d’éditeurs. 

Alliances retailers - SSP en Europe, contre alliances retailers - DSP aux US

On voit même des régies nouer directement des accords avec les retailers pour monétiser leur data : Valiuz, alliance data des enseignes Mulliez, a ainsi signé avec Vivendi, Unlimitail, alliance retail media de Carrefour et Publicis, avec M6 Publicité et  France Télévisions Publicité alors qu’Infinity Advertising est, lui, allé vers TF1 Pub, dès 2022.

Cette alliance entre retailers et adtech sell-side tranche avec ce que l’on voit aux Etats-Unis, où Walmart, Kroger, Best Buy ou Target ont plutôt pris le parti de contractualiser directement avec les acteurs du buy-side, les DSP, The Trade Desk ou Xandr, pour monétiser leur data en extension d’audience. Un exemple suivi par un autre retailer européen, Lidl, qui, sans être un poids lourd du retail media, a officialisé un deal similaire avec The Trade Desk.

En France, on n’y est pas encore. Peut-être parce qu’il est aujourd’hui plus simple pour les retailers de passer par la force commerciale des SSP pour capter la demande, là où la gestion d’un siège DSP leur imposerait d’y consacrer des ressources humaines. Pas évident quand on connaît les problématiques de staffing des régies retail. 

Peut-être aussi parce que les DSP concernés sont beaucoup moins puissants sur notre marché. C’est le cas de The Trade Desk qui, poids lourd aux Etats-Unis, ne pèse “que” 7,8% des investissements programmatiques en France selon le baromètre d’Alliance Digitale. 

“The Trade Desk nous a présenté tous ses cas clients US il y a plus d’un an”, se rappelle un retailer qui estime que le DSP américain doit encore monter en puissance en France. “Je pense que c’est une question de mois.” Ou de semaines vu que l’adtech a posté en décembre dernier une annonce pour un retail media sales specialist (l’annonce vient d’être repostée il y a quelques jours). 

Elie Aboucaya, cofondateur de Kamino Retail (acteur du sell-side donc) reste plutôt prudent quant à l’intérêt des retailers, notamment européens, à confier leurs données à un DSP, un acteur qui, rappelons-le, a d’abord les intérêts du buy-side en tête. “Les retailers ont besoin d’un tiers de confiance pour monétiser leur data, cet actif qui leur est aussi précieux que stratégique”, estime cet expert qui s'attend à ce que les SSP reprendront la main sur le sujet aux Etats-Unis.

Un acteur profite néanmoins de la brèche pour proposer aux retailers de prendre la main sur le sujet. Il s’agit de Weborama, acteur historiquement positionné sur le sujet DMP - CDP, qui permet à deux retailers, Intermarché et Auchan (via un deal avec Mediaperformances) de proposer leur data pour faire 1) de l’activation 2) de la mesure 3) du “data enrichment”.

On peut également citer Liveramp, dont la technologie de data clean room est utilisée par  les principales régies TV et retailers du marché français, mais aussi Mediarithmics, plateforme qui équipe à l’origine plutôt des publishers, et qui a été adoptée par Retailink, Cdiscount, Valiuz ou Showroomprivée pour mettre sur pied des interfaces permettant aux acheteurs médias d’optimiser leurs investissements publicitaires.

Des DSP aux SSP, en passant par les spécialistes de la DMP, CDP et data onboarding, c’est toute la chaîne de valeur programmatique qui s’est donc mise au retail media. Pas une surprise pour Elie Aboucaya, qui estime que “pour exister face à Google, Meta et Amazon, l’open web n’a pas d’autre choix que de se structurer autour de la data retailer.” Interrogé sur les éventuels freins à ces alliances de circonstance, l’expert estime que le prix élevé de la data retailer ne sera pas un sujet, dans le cadre d'une activation off-site, tant que la performance sera au rendez-vous. “Le juge de paix sera le ROAS.” 

Un point de vue partagé par Arthur Gibelin, directeur e-retail d’iProspect, qui rappelle que “ça vaut le coût de payer un peu plus pour toucher les acheteurs de sa catégorie ou une population comme les promophiles.” Un Arthur Gibelin qui nuance toutefois son propos en prévenant que “le retail media ne saurait être la martingale du cookieless”, puisque pour faire du reciblage après une mise en panier du client, il faut, le plus souvent, passer par un cookie tiers. Et avoir du volume, beaucoup de volume !

A cause, notamment de la déperdition qu’il peut y avoir entre la data loguée du retailer et celle du réseau publicitaire. C’est particulièrement vrai dans les pays où la technologie qui fait le pont entre ces deux sets de données (le plus souvent Liveramp) est moins implantée. Ce qui fait que le “matching” de la dizaine de millions d’encartés d’un retailer et de la dizaine de millions d’internautes que touche une adtech peut parfois donner des résultats décevants. Surtout si, comme certains annonceurs FMCG, vous cherchez à toucher des bassins d’audience bien spécifiques. 

C’est la raison pour laquelle un acteur comme Teads, pourtant présent dans la plupart des marchés européens, n’a pour l’instant noué qu’un seul deal retail media, en France. “Les POC menés hors de France n’ont pas donné les résultats attendus”, reconnaît Arnaud Barbillon, data business lead de l’adtech. Pas évident de rentabiliser les minimums garantis que lui imposerait chaque partenaire retail media. D’autant que, comme le rappelle Arnaud Barbillon, ce type de deal est assez lourd à mettre en place. “Il faut bien 6 mois pour optimiser la tuyauterie entre notre base de données et celle du retailer pour optimiser le matching.”

Le retail media reste, côté business, une activité marginale chez la plupart des adtech positionnées sur le volet extension d’audience. 

De fait, le retail media reste, côté business, une activité marginale chez la plupart des adtech positionnées sur le volet extension d’audience. La part des revenus qu’en retirent Teads, Equativ ou Weborama ne dépassent pas les 10%. “On en est encore qu’aux prémices”, observe un acteur du secteur. 

“Si on parle de chiffre d’affaires, cela reste encore bourgeonnant. En termes de prospection commerciale et de bande passante, c’est une autre histoire”, confirme Antoine Bsaibes, directeur data et insights de Weborama. L’essor de la CTV, réceptacle idoine à la data retailers, devrait donner un sacré coup de boost à la pratique et permettre au retail media de s’attaquer à des budgets, upper funnel, qui se refusaient jusque-là à lui. 

La frontière de la monétisation on-site

Dans la chasse aux budgets retail media que mènent actuellement les adtech il reste toutefois, une frontière pour l’instant inatteignable : la monétisation on-site. Alors qu’on pourrait penser des acteurs équipés d’une brique ad-serving, comme Equativ ou Weborama, légitimes sur le sujet, rien de tel. 

Plusieurs raisons à cela. D’abord, les spécificités de “cette typologie d’inventaire qui impose à l’adserver d’être capable de faire le lien avec le catalogue produit, pour s’adapter à l’état du stock, et d’afficher des formats de type search, comme le sponsored product”, rappelle Lucie Laurendon, product marketing lead chez Equativ. Deux fonctionnalités dont ne dispose pas l’adtech française. 

Même écueil pour les acteurs du buy-side, qui devraient élargir leur proposition de valeur pour s’imposer. Arthur Gibelin donne “l’exemple des DSP, spécialistes des formats display, qui vont devoir apprendre à trader du search pour permettre aux annonceurs de faire du multi-formats depuis un même outil.”

S’il confesse que Teads y a bien réfléchi, Arnaud Barbillon estime que ce n’est, pour le moment, pas une option que d’aller sur le on-site. “Tout ce qui fait la force de notre technologie est difficile à déployer sur un site e-commerce, où c’est compliqué de jouer avec le scroll, comme on le fait sur le site d’un éditeur. De sorte que la seule variable d’ajustement serait le prix”, analyse l’expert. 

Le retail media reste, de toute manière, un univers qui se monétise essentiellement en gré à gré et qui, même lorsqu’il s’ouvre au programmatique, le fait en “managed”, c’est à dire que les régies gardent la main sur la diffusion des campagnes.“ Pas une régie du top 4 de l’alimentation ne permet de faire de self-service”, observe Arthur Gibelin. Alors de là à ouvrir leur inventaire aux enchères ouvertes…

La question ne se pose pas (pour l’instant !). Puisqu’en effet, il faut, comme le rappelle Marianne Schneider, cofondatrice de Kamino Retail, que “le protocole open RTB puisse s’appliquer au retail media, ce qui est loin d’être une évidence à date. Ces sujets sont au coeur de la stratégie de Kamino Retail,  SSP retail media dont la promesse est de rendre les inventaires on-site accessibles à tous les DSP.” ” 

Il faudrait aussi que les audiences des retailers connaissent un sacré boost. “Bien qu’en progression, elles restent trop limitées pour faire de l’open auction”, estime un patron de régie retail. Et de donner l’exemple de certains mots-clés ou catégories qui sont achetés à l’année par certains annonceurs, dès le mois de septembre, pour l’exercice suivant. A des tarifs qui, dans certains cas, défient toute concurrence puisqu’une régie comme Conso Régie, leader de son marché, peut monter jusqu’à 80 euros du CPM (sans avoir d’invendu pour autant).

Comment imaginer qu’une demande issue des sources d’achat programmatique puisse être, dans ces circonstances, compétitive ? Ils sont nombreux à se poser la question. Elie Aboucaya est, lui, plus optimiste. “Pour continuer à optimiser leurs revenus on-site, les retailers vont avoir besoin de deux choses : un adserver bien pensé pour le retail media et des connecteurs à la demande programmatique.” L’objectif, à terme, c’est qu’une agence média puisse nouer un private deal avec Auchan ou Retailink de la même manière qu’elle le fait avec Le Figaro. Mais on n’y est pas encore…