Suite de notre série sur les attentes des agences médias vis à vis des régies retailers. Nous évoquons, cette fois-ci, les évolutions attendues, à moyen terme.
Les enjeux restent les mêmes : une meilleure mesure de la performance, une data plus liquide et des inventaires plus accessibles. Tour d’horizon avec quelques-uns des principaux acteurs du marché.
Passer du ROAS à des KPI e-retail plus élaborés
Si les agences médias estiment que les régies ont de nombreux efforts à faire en matière de transparence, elles ajoutent que celles-ci doivent également améliorer leur manière de présenter les résultats d’une campagne.
“La réalité, c'est que les retailers français sont, qu’il s’agisse de la tech ou des peoples, loin d’Amazon”, observe Arthur Gibelin, directeur e-retail d'iProspect. C’est tout sauf une surprise, vu qu’Unlimitail et Valiuz Adz ont quelques mois d’existence, qu’Infinity Advertising est à peine plus vieux et que les pionniers Cdiscount et Retailink se sont lancés quelques années après Amazon (et pas avec les mêmes moyens).
Alors que veulent les marques au fond ? "Tout simplement pouvoir rapprocher leurs efforts marketing de ce qui se passe du côté des ventes”, note Jérémy Hoy, MD de GroupM Commerce. C’est évidemment possible avec le ROAS (return on ad spend), le KPI de référence, qui permet d’établir le rapport entre les revenus générés par la campagne et le montant dépensé pour y arriver. Mais ce n’est pas suffisant.
“Le ROAS est un bon proxy pour juger de la rentabilité du media… mais ce n’est pas un bon indicateur pour juger de la rentabilité e-commerce”, estime la fondatrice de Datagram, Florence Bréban. Le ROI e-commerce vient, lui, de l’incrémentalité, assure l’experte. Et d’être capable de répondre à la question suivante : quelles sont les ventes générées par la campagne qui auraient eu lieu quoi qu’il arrive (de manière organique ou via un autre canal) et celles qui ont, en revanche, été permises par cette campagne ?
“C’est la principale interrogation des acheteurs en 2024”, constate Florence Bréban. Et ce n’est pas une mince affaire puisque la modélisation nécessaire à ce genre de calcul implique de la donnée granulaire at scale sur le média, le retail et tout facteur exogène ayant pu impacter ce dernier (saisonnalité, météo, contexte économique). De fait, aucune régie ne s’y est, pour l’instant, attaqué.
“Nous travaillons à trouver la méthode la plus rigoureuse, explique Edouard Brunet, head of product chez Unlimitail. Alors que le calcul de l'incrémental a été largement éprouvé sur nos campagnes offsite, il est aujourd'hui compliqué de dupliquer ce protocole exposés vs non exposés sur le onsite .Il faut s’assurer de pouvoir construire des groupes jumeaux avec des échantillons suffisamment robustes pour garantir la fiabilité de la mesure". Et compliqué d’y arriver quand, comme c’est le cas actuellement, les volumes investis par campagne restent encore marginaux. Si les marques veulent de l’incrémentalité, il va donc falloir mettre la main au porte-monnaie.
Que retrouve-t-on dans la liste de course des acheteurs ? D’abord, avoir plus d’informations sur la part de voix de la marque, en organique et en paid media. Un concept avec lequel les retailers ont un peu de mal à en croire Jérémy Hoy mais qui est “indispensable pour dimensionner le budget média.” Mais aussi systématiser le calcul de l’impact de brand halo, soit les ventes générées par la campagne… mais sur des produits complémentaires.
Et pourquoi pas, vu que tout ce petit monde fait encore 80% de son chiffre d’affaires en point de vente physique, avoir l’impact du e-retail media sur les ventes en magasin. “Quitte à s’appuyer sur le ROAS, autant avoir le on et le off”, pointe Jérémy Hoy. C’est précisément ce à quoi Walmart s’est attaqué, qui communique désormais sur l’impact du format “sponsored product” sur les conversions en magasin. Mais si l’on commence à intégrer une dimension de drive-to-store, il faut s’assurer que le produit soit suffisamment présent en magasin. “Rares sont les acteurs qui peuvent me garantir que ma distribution numérique sera d’au moins 70% au début de la campagne. C’est pourtant un pré-requis”, rappelle un acheteur.
Que les retailers “libèrent” leurs datas (à un prix plus abordable ?)
“On aimerait aussi en savoir plus sur l’acheteur touché : quel est son profil, qu’avait-il mis d’autres dans son panier”, ajoute Jérémy Hoy, rappelant au passage l’une des marottes des industriels : mieux connaître leurs “personas”.
Ce qui est valable pour les bilans de campagnes, vaut aussi pour tous les jeux de données que les retailers détiennent et qui seraient susceptibles d’intéresser les annonceurs. Des données relatives à leurs audiences, comme le profil des acheteurs de leur catégorie, leur récurrence d’achat, les environnements qu’ils fréquentent en priorité, et à leurs campagnes, par exemple.
Autant d’informations très précieuses sur lesquelles les marques ont encore du mal à mettre la main. Parce que ça coûte cher d’abord. A cause des frais que les technologies de data clean rooms, Liveramp en tête, facturent aux retailers pour qu’ils puissent onboarder leur data CRM et à cause de l’habitude qu’ont pris ces mêmes retailers d’intégrer ce “data sharing” dans les accords de trade marketing.
Une barrière à l’entrée qui, ici encore, tranche avec ce qu’Amazon a mis en place, lui qui vous donne un accès gratuit à pas mal de fonctionnalités Amazon Marketing Cloud (AMC si vous dépensez un montant minimum (et important, je vous l’accorde) chez lui.
Cette barrière financière à l’entrée est particulièrement visible sur le volet off-site, soit l’activation de la data retailer dans d’autres environnements médias : TV segmentée, plateformes sociales, Open Web. “Ca coûte cher”, observe Elisabeth Tran, senior data consultant chez Dentsu. Et cela pose forcément la question de la rentabilité de ce genre de dispositifs.
“Si le coût contact est 2 fois supérieur à celui de la donnée socio-démo des grandes plateformes, il faut que la performance le soit aussi”
“Si le coût contact est 2 fois supérieur à celui de la donnée socio-démo des grandes plateformes, il faut que la performance le soit aussi”, prévient Elisabeth Tran. Est-ce que ça l’est ? Ils ne sont, côté acheteurs, pas nombreux à en avoir la certitude.
Une certitude, l’équation économique est compliquée. Peut-être faut-il s’inspirer d’Amazon, qui propose une data beaucoup plus accessible (CPM 50% moins élevé) en mixant des datas intentionnistes et transactionnelles, et en les rendant accessibles en self-service. “Pourquoi pas, répond Elisabeth Tran. Mais c’est compliqué d’activer de la data intentionniste, non loguée, en extension d’audience, s’il n’y a plus de cookies tiers.” Bon point.
L’arrivée du self-service, toujours pas disponible chez les principales régies retail media françaises pour le volet off-site, est, elle, moins compliquée à mettre en place. Elle permettrait aussi d’alléger la facture alors que “le modèle gré à gré choisi par la plupart des régies retail n’aide en tout cas pas à rendre l’extension d’audience abordable”, observe Arick Abbou. Le modèle managed permet, en effet, à ces acteurs d’ajouter des frais de gestions que certaines agences médias aimeraient bien faire sauter en opérant elles-mêmes tout cela. Les retailers y consentiront-ils ? Dur à dire. Elisabeth Tran observe, en tout cas, que les curated marketplaces, qui permettraient de le faire, ne semblent, à part chez Valiuz Adz, pas vraiment une piste prioritaire.
“Les retailers vont devoir mettre un peu de rationnel là-dedans, prévient un acheteur qui estime que la période dorée actuelle ne va pas durer éternellement et que les agences médias vont, elles, aussi demander des comptes. Et puis, c'est dans l'intérêt des régies retai. Car, en l’état, l’extension d’audience reste un business encore très marginal.
“On est encore loin de la bulle d’air que l’on nous a vendue”, observe un retailer. “80% du retail media se fait encore on-site et ça s’explique avant tout par le coût de la data en extension d’audience”, assure Arick Abbou. Certains retailers semblent en avoir conscience, à l’image de cet acteur du top 5 qui a revu ses tarifs à la baisse (-15%) entre 2023 et 2024. À défaut d’opérer des baisses similaires, Elisabeth Tran propose, à ses concurrents, de mettre sur pied un tarif beaucoup plus accessible aux annonceurs non endémiques. “Ca les inciterait sans doute à sauter le pas.”
Pouvoir s’appuyer sur des tiers de confiance pour certifier la data média et retail
“On manque d’intermédiaires qui fassent le tampon entre les annonceurs et les régies”, estime Arick Abbou. C’est pourtant indispensable alors qu’en retail media, celui qui donne la donnée de conversion (ventes, mise en panier…) est aussi celui qui vend l’inventaire publicitaire. Et que, dans un monde idéal, il faudrait donc qu’un tiers de confiance vienne valider la véracité des données qui sont remontées par le retail dans ses bilans de campagne.
“Qu’il s’agisse de données ad-centric (nombre d’impressions livrées, taux de visibilité et de complétion, emplacements…) et retail-centric (nombre de mises en panier, nombre d’achats…)”, énumère Arick Abbou.
Un conflit d’intérêts qui renvoie à celui que l’on observe au sein des “walled gardens” depuis des années, où exposition publicitaire et expérience d’achat se font au sein d’un même environnement clos. Des walled gardens qui ont, au fil des années, accepté de lâcher un peu de lest, sur le sujet, en permettant à des mesureurs comme IAS, DoubleVerify ou Adloox de se connecter en API à leur plateforme.
“L’écosystème retail media a besoin d’un tiers vérificateur de ce genre”, assure Arick Abbou. C’est précisément le rôle que veut endosser Datagram. “Si les acheteurs peuvent accepter, un certain temps, que les vendeurs soient juges et parties, leurs attentes augmentent en même temps que les budgets dépensés”, estime Florence Bréban. Aux retailers de rendre des comptes et à Datagram de se charger de les certifier et de les uniformiser. “C’est indispensable pour que l’écosystème se développe”, assure Florence Bréban.
“Le but, c’est d’aller vers un monde APIfié, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis”
Datagram se charge de traiter la donnée brute remontée par chaque retailer et d’harmoniser les règles d’attribution de chacun. De façon à permettre aux marques de prendre les bonnes décisions. La solution procède, pour l’instant, via du scrapping de données et de la modélisation. Une méthode qui a ses limites et que Florence Bréban reconnaît volontiers comme transitoire.
“Le but, c’est d’aller vers un monde APIfié, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.” Les régies françaises en ont-elles envie ? Oui, assure Florence Bréban. “Les mentalités ont changé au cours des 18 derniers mois.” Le point bloquant : la stack technologique. “Rien de très compliqué mais les chantiers sont déjà nombreux et le sujet pas forcément prioritaire.”
On imagine les retailers d'autant plus désintéressés qu'ils remarquent sans doute que cette exigence du buy-side ne s'applique pas à tous. Notamment Amazon. "Oui mais, faute de tiers de confiance, la granularité de la data remontée par Amazon donne de l'objectivité", déclare Florence Bréban.
A quand des interfaces unifiées ?
“Aucun retailer français n’est, pour l’instant, connecté à Skai ou Pacvue”, déplore Arthur Gibelin qui voit, dans ces meta DSP, une réponse à la fragmentation du retail media. mMais aussi un excellent moyen de résoudre les problèmes de productivité des agences médias, puisque ce genre d’outils leur permettrait de dupliquer facilement des campagnes Amazon vers d’autres environnements retailers, tout en optimisant le suivi de ces campagnes.
“Ça faciliterait indéniablement la vie des traders que le Big 6 de la GSA soit accessible depuis ce genre d’outils”, assure un acheteur en agence qui, depuis qu’il a intégré Pacvue à certains de ses comptes, voit ses équipes économiser une bonne partie du temps qu’elles consacraient à la gestion des campagnes. “Rien que pour la fonctionnalité qui vous alerte lorsqu’un ROAS cible n’est plus atteint, cela vaut le coup”, illustre cet acheteur.
S’il y a des discussions en ce sens - Criteo, Citrus Ad et Kamino Retail - devraient être connectés d’ici le second semestre 2024 - on n’y est pas encore. “Ce sont des solutions qui se sont construites autour d’Amazon et qui ont tendance à prioriser les dernières fonctionnalités de ce dernier”, rappelle Frédéric Clément.
L’expert est, par ailleurs, sceptique quant à l’intérêt de passer par un seul et même outil pour opérer tout son retail media.“On a d’un côté un format qui se vend au clic et, de l’autre, un format qui fait 10% de clic, 90% de vues. C’est trop différent”, prévient Frédéric Clément. Même Amazon, qui propose deux API différentes pour son offre de sponsored product et celle de son DSP, semble en avoir conscience.
L’expert prédit plutôt l”émergence d’interfaces spécialisées par types de format : un outil pour du search cross-retailers, un autre pour du display. C’est aussi la conviction de Kamino Retail, la plateforme qui équipe Valiuz Adz et Retailink (pour le display), qui ne fait pas mystère de son ambition de se brancher aux géants de l’achat programmatique, les DSP, The Trade Desk en tête. Des annonces devraient également avoir lieu de ce côté avant la fin de l'année...