- Elle Deco dévoile ce 10 septembre une collection de 16 œuvres d’art NFT réalisées par des artistes issus du monde entier.
- L'occasion d'échanger avec les deux instigateurs du projet, Danièle Gerkens, directrice de la rédaction, et Jean-Christophe Camuset, chef de service sur comment le Web 3 peut aider un média vieux de 35 ans, ainsi que sa maison-mère CMI Media, à se diversifier.
Elle Deco se met aux NFT et c’est difficile de taxer ce spécialiste français de l’art de vivre d’opportunisme. D’abord parce que le projet ne date pas d’hier puisqu’il a germé dans le cerveau de deux de ses collaborateurs - Danièle Gerkens, directrice de la rédaction d’Elle Deco, et Jean-Christophe Camuset, chef de service, en septembre… 2021. Mais aussi parce que le contexte actuel n’a, malgré la dégringolade des cours cryptos et l’explosion d’une bonne partie de la bulle NFT, pas rebuté ce média qui fête cette année sa 35e bougie.
Un an pour sortir une collection NFT, cela peut paraître long pour un secteur qui nous a habitués aux fulgurances et à l’irrationnel. Ce n’est pas si étonnant quand on sait qu’Elle appartient à CMI Media (Elle, Marianne, Public, Télé 7 jours…) et que l’on connaît l’inertie des grands groupes médias français sur le sujet (20 minutes et son magazine financé par une collection de NFT font un peu figure d’Ovni dans l’Hexagone). Mais ce délai prolongé a été, à en croire Danièle Gerkens, tout sauf un luxe. “Elle Deco est certes une marque emblématique mais cela reste une structure d’à peine 10 collaborateurs”, rappelle-t-elle. Une petite équipe qui a dû prendre le temps de la réflexion, pour réfléchir à la meilleure manière d’amener Elle Deco sur ce nouveau territoire d’expression.
“On aurait pu se contenter de transformer quelques-unes de nos couvertures en NFT, comme l’ont fait certains, ou bien lancer une collection de PFP. Mais on a préféré explorer de nouveaux horizons”, prévient Danièle Gerkens. Il s’agit, en l’occurrence, de faire collaborer deux mondes : celui des architectes, décorateurs et designers, cher à Elle Deco, et celui des crypto-artistes et graphistes 3D, qui a grandi en même temps que le monde des NFT. Un bon moyen d’initier les premiers au monde de la crypto, estime Jean-Christophe Camuset.
“On ne peut pas laisser le monde de la tech et de Mark Zuckerberg nous dicter à quoi ressemblera le metaverse”
“Si les architectes et designers ne comprennent sans doute pas tous comment appréhender ce territoire, il ne fait pas de doute qu’ils en seront, à terme, les parties prenantes parce qu’ils savent comment créer des espaces au sein desquels on se sent bien.” Pas un luxe à l’heure où le metaverse à la sauce voxels est décrié pour son (in)esthétisme. “On ne peut pas laisser le monde de la tech et de Mark Zuckerberg nous dicter à quoi ressemblera le metaverse”, s’amuse Jean-Christophe Camuset. Un constat partagé par Danièle Gerkens, que “les cartes panini pixelisées laissent perplexe.”
Le résultat sera dévoilé ce 10 septembre à L'Hôtel de Soubise, où 16 œuvres d’art NFT, réalisées par des artistes issus du monde entier et réunies dans le cadre d’une collection baptisée “D3SIGN CAPSULE”, seront présentées au grand public à l’occasion de la Paris Design Week. “Le but, ce n’est pas tant de toucher les crypto-natifs que d’évangéliser les collectionneurs du monde réel, pour lesquels les noms des designers mis à contribution ont une vraie valeur”, prévient Danièle Gerkens. Les canaux de promotion habituels, Discord en tête, ont d’ailleurs été laissés de côté. “Nous n’avions de toute façon pas les ressources pour”, reconnaît Jean-Christophe Camuset. Elle Deco peut néanmoins s’appuyer sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) de ses marques, de même que ceux des artistes participants. “Charge à eux de mobiliser leur communauté”, ajoute Jean-Christophe Camuset.
“Le but, ce n’est pas tant de toucher les crypto-natifs que d’évangéliser les collectionneurs du monde réel"
Tous les formats seront de la partie : images, vidéos, objets 3D. Certains d’entre eux sont déjà transposables dans certains metaverses bien connus des initiés. D’autres, 6 plus exactement, s’accompagnent d’une version physique. Tous seront mis en vente via la place de marché Superrare dès le lancement de l’exposition. Le choix de cette place de marché qui s’est spécialisée dans l’art n’est, ici encore, pas laissé au hasard. Elle Deco a préféré cette plateforme qui fait de la curation aux autres usual suspects, parfois plus connus, comme OpenSea, Foundation ou KnowOrigin, mais confrontés à des problèmes de fraude, faute de contrôle humain. “Superrare a tout de suite vu la valeur de notre projet et décidé de nous confier notre propre espace permanent. Nous pourrons, une fois cette première vente terminée, y exposer d’autres artistes”, précise Jean-Christophe Camuset. Car cette première incursion dans le Web 3 a vocation à faire tâche d’huile puisque le duo n’a pas pu dire “oui” à tous les artistes et qu’il a déjà (presque) suffisamment de monde pour faire une saison 2, de l’aveu de Jean-Christophe Camuset.
Elle Deco reste, pour l’instant, dans une démarche purement artistique. “On achète une œuvre, pas une utilité, comme cela se fait beaucoup dans le monde des NFT”, reconnaît Jean-Christophe Camuset. Les acquéreurs des NFT mis en vente n’accèderont pas à des avantages exclusifs, type abonnement à Elle Deco, participation à des évènements made in Elle ou rencontres avec les artistes mis à contribution. “On réfléchit à initier quelque chose dans ce sens mais cela se fera nécessairement via un autre projet”, prévient Danièle Gerkens.
“Elle est une marque grand public et il ne faut pas oublier que le NFT reste un acronyme mal connu de 90% de notre lectorat”
Les possibilités sont nombreuses. Pourquoi pas réserver une partie des contenus du site Elle.fr aux seuls détenteurs d’un type de NFT émis par la marque dans une logique de token gated ? Ou encore de leur réserver l’accès à des évènements sur mesure ? “Pourquoi pas”, répond Danièle Gerkens. Même s’il ne faut pas imaginer Elle.fr, qui a récemment passé une partie de ses contenus sous paywall, se servir du NFT comme clé d’accès unique. “Elle est une marque grand public et il ne faut pas oublier que le NFT reste un acronyme mal connu de 90% de notre lectorat”, rappelle Danièle Gerkens. Le sujet doit être réservé à une audience niche d’early adopters. Du moins tant que les barrières techniques (au moment de l’achat d’un NFT ou de crypto) seront présentes.
Confronté, comme une majorité des titres de presse, à l’érosion de sa distribution papier, Elle Deco doit se diversifier. Et c’est aussi le sens de cette première expérimentation. “Cela vaut pour l’ensemble des marques du groupe CMI Media, qui sont aujourd’hui consommées essentiellement à travers du texte, mais doivent aller vers de l’audio, du visio, que ce soit dans le monde réel ou le virtuel”, estime Danièle Gerkens. Plus qu’une transformation, cette bascule vers le Web 3 est, au fond, une expansion du territoire de la marque, assure Danièle Gerkens. Une expansion qui doit évidemment lui permettre de générer des revenus. Si les artistes sollicités dans le cadre de la collection récupèrent l’essentiel de la valeur, Elle Deco en touchera une partie, sur les ventes primaires comme secondaires, via la mécanique des royalties.
“Le Web 3 offre l’opportunité aux médias de reprendre la main sur la valorisation du contenu”
“Le Web 3 offre l’opportunité aux médias de reprendre la main sur la valorisation du contenu”, assure Jean-Christophe Camuset. Dépossédées par Google et Facebook d’une bonne partie de la relation à leurs lecteurs (et de sa monétisation), les médias sont de plus en plus nombreux à voir dans le NFT un bon outil pour renouer avec leur communauté. Et pourquoi pas d’en faire profiter aux marques. “Elle Deco permet aux marques premiums de toucher une audience CSP++ et il est d'ailleurs le titre le plus lu en 2022 chez les femmes qui ont des revenus supérieurs à 160 000 euros par an, selon One Next Influence. Le NFT peut être un nouveau véhicule pour imaginer des choses différentes.” Des discussions sont déjà en cours avec certaines marques.