- Difficile de dire si le metaverse est bien notre avenir ou non... On a une certitude en revanche, c'est que s'il reste tel quel, ce futur s'annonce pauvre visuellement.
- On vous explique pourquoi de Decentraland à Horizon Worlds, en passant par The Sandbox, l'expérience est pour l'instant si limitée. Les obstacles sont technologiques évidemment... mais pas que.
The Sandbox, Decentraland, Horizon Worlds ou encore Roblox… Pour ces metaverses aux succès divers, un trait d’union : un univers graphiquement très limité. 20 ans après Second Life et alors que la hype metaverse n’a jamais été aussi haute, un constat s’impose. Qu’il s’agisse des voxels de The Sandbox ou l’univers “legoesque” de Roblox, il est difficile de voir l’avancée technologique. La meilleure illustration de cette pauvreté visuelle, c’est sans doute le metaverse à la sauce Zuckerberg, dont un selfie pris au sein d’Horizon Worlds a fait l’objet de nombreux détournements sur Twitter et autres.
Ce n’est pourtant pas l’argent qui manque. Le metaverse a attiré près de 177 milliards de dollars d’investissements depuis 2021 selon une étude McKinsey. Et Meta y a investi, à lui seul, plus de 10 milliards de dollars. Comment expliquer, dans ces conditions, que les univers proposés soient, pour le dire crûment, moches ? D’abord parce que ce n’est pas le plus important à en croire Max Vedel, fondateur de l’agence Swipe Back. “C’est peut-être moche mais c’est mainstream et en cela, c’est aligné avec la mission de Meta, qui est de rendre le metaverse accessible à tous, quels que soient leur hardware ou la fiabilité de leur connexion”, résume notre expert du Web 3.
Proposer une expérience visuellement très aboutie, avec des graphiques très détaillés, c’est imposer une puissance de traitement et une vitesse de connexion que la plupart des internautes n’ont pas. “Tout fichier 3D est un ensemble de polygones, rappelle Alban Denoyel, fondateur de Sketchfab et spécialiste du sujet. Plus un fichier comprend de polygones, plus il requiert de ressources pour être affiché.” C’est, en fin de compte, un simple arbitrage entre la finesse du contenu affiché et le temps qu’il met à s’afficher. Un metaverse comme Decentraland ne peut pas se permettre d’aller trop loin dans le détail s’il veut être accessible depuis un navigateur en cloud gaming. Idem pour Robox et son application mobile ou The Sandbox, dont la simplicité graphique lui permet d’être accessible depuis quasiment n’importe quel PC. “D’où ce nivellement graphique vers le bas”, résume Alban Denoyel.
“Les cartes graphiques de la plupart des ordinateurs sont très limitées”, rappelle Amandine Claude, Web 3 project builder chez Renaissance. Les développeurs de metaverse ne doivent pas l’oublier. Et c’est d’autant plus vrai que, contrairement à un jeu vidéo, il ne s’agit pas pour leurs utilisateurs de suivre des scénarios programmés à l’avance et logés dans un énorme fichier qui est stocké au sein du PC. Ces utilisateurs interagissent en temps réel avec leur environnement et d’autres participants, ce qui impose au metaverse d’être capable, en l’espace de quelques millièmes de secondes, de proposer un nombre infini d’options et de restituer autant de situations. Impossible, dans ces conditions, de faire du pre-rendering, pratique consistant à “rendre” une partie des graphismes sur un équipement différent, généralement plus puissant que le matériel chargé de l'affichage final. “C’est compliqué de proposer quelque chose de visuellement abouti quand vous devez afficher 100 utilisateurs sur un même écran en temps réel”, résume Max Vedel.
Et puis faire du “cartoon”, c’est, comme le rappelle Alban Denoyel, éviter de tomber dans l’uncanny valley, ce concept que l’on pourrait résumer en disant que plus quelque chose nous semble réel, plus ses imperfections nous gênent (voici quelques exemples dans les jeux vidéos). C’est le cauchemar des développeurs et c’est pour des environnements comme le metaverse, où tout est rendu en temps réel, un obstacle insurmontable. “Il y a tout simplement trop de variables pour ne pas que ça arrive”, estime Alban Denoyel. Prenons le cas des jambes, généralement un casse-tête pour tous ceux qui font du motion capture. "C'est un des éléments graphiques les plus difficiles à restituer", a reconnu Mark Zuckerberg lors de sa conférence Meta Connect. Meta ne peut en effet pas compter sur le casque de réalité virtuelle que porte chaque utilisateur, ce dernier ne captant que les mouvements du haut du corps. Horizon Worlds compte pourtant s'y attaquer, sachant que le moindre couac peut nuire au réalisme de l'expérience utilisateur.
À ce facteur technologique s’ajoute une autre réalité : la dimension UGC du metaverse. “Le but d’un metaverse comme The Sandbox, c’est que tout le monde puisse créer sa propre expérience de jeu”, rappelle Charles Fauchet, CEO de HighCo Metaland. On peut voir The Sandbox comme une version Web 3 de Facebook. Du moins le Facebook des débuts, lorsque chaque utilisateur pouvait y développer des programmes en sur-couche (souvent des petits jeux). C’est le concept même de The Sandbox où, à côté d’expériences de marques plutôt abouties, coexistent des terrains et des jeux réalisés par les utilisateurs. “C’est plus intuitif de construire des objets ou des avatars en assemblant des petits blocs qui font penser aux légos, que de devoir designer des choses réalistes via un outil”, explique Charles Fauchet. Et c’est la raison pour laquelle The Sandbox va rester pendant un petit moment encore le royaume du Voxel, quand bien même il y aura des améliorations concernant la texture et la granularité graphique.
“Minecraft est un succès populaire depuis une bonne dizaine d’années sans que son esthétique à base de briques ne pose de problèmes”, rappelle Charles Fauchet. Peut-il en être de même pour le metaverse ? Peut-être. Mais les choses peuvent encore changer. Max Vedel donne l’exemple de la technologie du cloud rendering, qui voit le rôle de l’ordinateur de l’utilisateur se limiter à celui d’un émetteur / récepteur. “La puissance de calcul est déportée au sein de servers externes, l’utilisateur n’est donc plus limité par son hardware”, illustre Max Vedel. Une prouesse technologique sur laquelle planche la société Journee. Pas terrible d’un point de vue impact carbone, on vous l’accorde, mais diablement efficace. Autre exemple donné par Max Vedel, celui d’Improbable.io, qui a réussi “le tour de force d’afficher 5 000 personnes connectées en même temps au sein du metaverse des Bored Apes, Otherside”.
Amandine Claude donne, elle, l’exemple de Star Atlas, qui se présente comme un “nex gen gaming metaverse” et "dont les premières vidéos teasing sont très prometteuses”. Attention toutefois à bien distinguer ces vidéos, des cinématiques, de l’expérience de jeu, qui sera évidemment beaucoup moins aboutie, prévient Charles Fauchet. “Star Atlas restera un environnement fermé, ce qui lui permet d’aller plus loin graphiquement, mais vous n’aurez pas la dimension UGC d’un The Sandbox.” En résumé, pas de collaboration de Snoop Dog ou Eminem, ou même de vaisseau spatial designé par tout un chacun…