6 March 2025

Temps de lecture : 6 min

Les médias peuvent-ils tirer parti du chaos géopolitique qui s’amorce ? (Et mieux servir l’intérêt public)

La nouvelle administration Trump plonge le monde dans une incertitude et une angoisse inédites. Les médias peuvent tirer leur épingle du jeu, tout en servant l'intérêt public.
Chaos géopolitique quelles stratégies des médias

Bienvenue au chaos - Cyrille Frank via Midjourney

L’entretien totalement surréaliste entre Trump et Zelensky dans le bureau ovale et le renversement d’alliance entre les USA/la Russie et l’Europe annoncent des temps très difficiles pour la démocratie et le droit international.

Cet épisode médiatique va peut-être signer un réveil de l’Europe de la défense, qui réalise sa vulnérabilité sans le parapluie américain. Ou nous faire basculer dans une période de chaos sans précédent depuis 1945.

En tout cas, l’inquiétude et l’incertitude géopolitique pour l’avenir montent encore d’un cran.  On n’avait pas besoin de ça. Pour les médias, c’est à la fois une période propice et une difficulté.

Le danger augmente le besoin d’informations et d’expertises

Le New York Times ne s’est jamais aussi bien porté qu’après l’élection de Donald Trump en 2016. Ses abonnements ont vraiment commencé à décoller à partir de ce moment.

Le mois suivant la victoire du candidat républicain, le quotidien américain a enregistré environ 132.000 souscriptions payantes, soit dix fois plus que le chiffre habituel. Et cela s’est confirmé dans les années suivantes comme le confirme ce graphique.

Une part des opposants à Trump ont tout naturellement voulu savoir à quelle sauce ils allaient être mangés.

Mais, un des ressorts du succès du NYT en cette période, fut l’accent porté sur la partie opinion, avec l’embauche d’éditorialistes chevronnés. Cette partie éditoriale est venue renforcer l’opinion de cette moitié de l’Amérique anti-Trump, en exploitant son biais de confirmation. Et en lui fournissant aussi du carburant conversationnel, à destination d’un environnement favorable ou défavorable. On sait combien le Trumpisme et les Maga divisent, au sein même des familles américaines.

Cette stratégie de la “résistance” éditoriale au pouvoir en place a fait les beaux jours de Marianne et de Médiapart du temps de Nicolas Sarkozy, ou aujourd’hui de l’Humanité face à Emmanuel Macron (+250% d’abonnements en deux ans, en grande partie liés à cette pugnacité plus forte, en plus d’une refonte édito et de formats vidéo innovants).

Le risque sur le plan médiatique : la tentation de la polarisation des points de vue, de la simplification et de l’outrance pour aller fédérer des chapelles de lecteurs. On le voit avec l’explosion de médias “alternatifs” comme Blast, clairement pro russe et complotiste ou de Reporterre qui verse quelquefois dans l’anti-science (promotion de l’anthroposophie, de l’homéopathie, des énergies cosmiques etc.)

👉 C’est le risque que je soulevais déjà dans cet article de 2022.

L’excès d’angoisse pousse la population à l’évitement informationnel

L’anxiété associée au sentiment d’impuissance conduit aussi une part croissante de la population, à l’effet exactement inverse : la politique de l’autruche.

Le Reuters Institute et la fondation Jean Jaurès alertent depuis quelques années sur cette tendance en hausse à se mettre en retrait de l’actualité. C’est la “fatigue informationnelle”.

  • Selon le dernier rapport Reuters, jusqu’à 39%, disent éviter parfois ou souvent les nouvelles, une hausse de 3 points par rapport à la moyenne de l’année dernière.

Comment lutter contre cette puissante tendance au repli ?

Les solutions sont plurielles face à cette tendance de fond, très inquiétante pour les médias et la démocratie. 

1. Tirer parti de cette tendance, comme le New York Times dont les contenus de divertissement participent activement à la croissance de ses abonnés.

Environ un tiers de ses nouveaux abonnements numériques proviennent de ses applications de cuisine et de mots croisés selon les chiffres divulgués par Meredith Kopit Levien, la patronne du quotidien.

On voit que Le Monde est en train de suivre la même stratégie avec sa rubrique Jeux et recettes de cuisine. Et ce n’est pas le seul, à l’image de L’Equipe, de Ouest France ou même de LinkedIn qui exploitent ce besoin de se divertir.

👉 Cela fait écho à mon article de 2012 : le salut de l’information viendra du divertissement

2. Proposer des news plus constructives

Ce, via le journalisme de solutions qui n’est pas une édulcoration du réel, mais un engagement à aller plus loin, en tâchant d’ajouter une dimension : “et maintenant on fait quoi ?”. On ajoute le 6e w de “and now ?” aux 5 w classiques du journalisme (who, what, when, how, why).

3. Monter en gamme sur l’info et l’analyse

Le flux d’informations redondantes, le déballage d’avis non étayés sur les chaînes d’information en continu ou sur les réseaux sociaux contribuent à la saturation du public.

Celui-ci veut plus d’infos, moins de débats. Gloser sans fin sur le déclin de nos sociétés et l’inexorable montée en puissance des régimes autoritaires n’a pas grand intérêt. Ce qui intéresse surtout le public, c’est l’analyse, encore une fois, constructive et argumentée.

Aider davantage l’Ukraine ? Oui, mais à quel coût, avec quelles conséquences pour le portefeuille des citoyens, dans quels délais, avec quelle organisation ?…

4. Organiser la conversation

Les plateformes sociales contribuent beaucoup au sentiment d’anxiété, par le flux sans fin de mauvaises nouvelles, par la mise en valeur des contenus émotionnels (polémiques, dramatiques, inquiétantes), par la déstabilisation cognitive liée à la prolifération des fausses nouvelles et des trolls…

Ces outils, qui devaient nous rapprocher, nous divisent plus que jamais. Ils accentuent et exploitent la fragmentation sociale. Et pourtant, nous avons plus que jamais besoin de nous parler pour échanger nos avis, nos inquiétudes, nos hypothèses. Sans être assaillis et désinformés par de multiples agents de propagande, encouragés par le chef lui-même.

Les médias doivent rapidement recréer des espaces de discussion sécurisés, modérés et enrichis d’expertises. C’est coûteux, mais désormais, une partie croissante de la société est prête à payer pour cela. Hélas, c’est aussi la partie la plus instruite et la plus favorisée socialement. Pour tous les autres “il y a Facebook et Hanouna”, comme je le déplorais déjà, il y a quelques temps. Un constat toujours valable sur le fond, même si TikTok et Musk seraient plus indiqués aujourd’hui.

En résumé

Face à l’augmentation de l’angoisse géopolitique et à la fatigue informationnelle, le journalisme doit innover pour rester attractif et pertinent. Le New York Times ou Le Monde réussissent en diversifiant leurs contenus, notamment avec des applications de cuisine et de jeux, captivant ainsi un public plus large. Le journalisme de solutions peut aussi ajouter une dimension constructive aux débats en répondant à la question “Et maintenant, on fait quoi ?”. Mais, il est surtout crucial que les médias investissent dans des espaces de discussion sécurisés et modérés, enrichis d’expertises pour réduire la désinformation et promouvoir une interaction saine, même si cela représente un coût. Ce dans l’intérêt de leur modèle d’affaires, mais surtout, de la démocratie.

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