Marketing mix modeling ou, dans le jargon, MMM. C’est, dans un marché de la publicité digitale qui craint, avec la disparition annoncée des cookies tiers, de perdre sa boussole, un terme qui revient de plus en plus souvent.
Au programme : des modèles algorithmiques qui traitent des volumes importants de données, plus ou moins granulaires, pour permettre aux marketeurs d’optimiser leurs investissements médias. C’est ce fameux MMM, que ce dossier vous propose d’explorer dans sa version 2.0.
“Le marketing mix modeling, ce n’est plus cet outil qui a été créé dans les années 70 par les FMCG pour modéliser l’impact de leurs campagnes TV sur les ventes à défaut d’avoir des retours de consommateurs”, prévient Guilhem Bodin, partner chez Converteo.
L’époque où votre partenaire vous conviait, une à deux fois par an (dans le meilleur des cas) à des sessions de restitution de plusieurs heures et centaines de slides est révolue. L’heure est plutôt à l’industrialisation des process, pour rendre le MMM plus actionnable (passer de l’insight à la prise de décision) et plus exhaustif, pour sortir de la vision efficacité media only.
Après notre “Guide de survie pour les marketeurs qui veulent faire du MMM”, nous vous proposons un tour d’horizon des enjeux qui se posent à la pratique
Industrialiser la collecte de donnée
“La réussite d’un MMM repose sur sa capacité à s’appuyer sur des larges volumes de données granulaires dans un temps court”, rappelle Arnaud Parent, directeur marketing science chez fifty-five. Presqu’une évidence, me direz-vous, mais une évidence qu’il fait bon rappeler au moment d’évoquer le premier enjeu du MMM : l’industrialisation de la collecte de la donnée pour pouvoir 1) aller plus vite 2) diminuer les coûts de collecte 3) s’assurer de la qualité de la donnée analysée.
D’abord, standardiser. “L’annonceur doit imposer des normes à ses partenaires agences et, surtout, il doit bien leur faire comprendre l’importance de respecter ses normes dans les reportings”, prévient Guilhem Bodin. Sont particulièrement concernés : la taxonomie des campagnes et la nomenclature de la donnée. “C’est particulièrement important de respecter celà, pour s’assurer que l’on maintient un certain standard, à chaque fois que l’on rafraichit les modèles”, rappelait Florian Combres, head of media performance d’Axa à l’occasion de Future of cookieless.
Ensuite, automatiser. Pas trop compliqué à faire pour la partie média, qui s’est bien plateformisée. Les grandes plateformes comme Meta ou Google ont mis en place les connexions API nécessaires, tout comme les principaux ad-servers du marché, qui permettent de remonter la donnée à un niveau de granularité plus que satisfaisant.
Moins évident à faire pour la partie commerciale. “Dès qu’on touche à la promotion, au benchmark de la concurrence et au pricing, c’est plus compliqué d’avoir la documentation nécessaire”, reconnaît Guilhem Bodin. Idem pour toutes les données exogènes à l’entreprise et pourtant indispensables à la mise en place d’un MMM abouti.
Parce qu’en plus de vos actions marketing, d’autres facteurs peuvent venir expliquer une augmentation ou une baisse de performance, ils sont de plus en plus nombreux à venir piocher dans des jeux de données externes à l’entreprise. Un vendeur de boissons rafraîchissantes qui va forcément regarder l’évolution de la météo ou un assureur auto qui sera lui tributaire des ventes automobiles, voire de certaines composantes bien spécifiques, tels les semi-conducteurs. Autant de bases de données qu’il n’est pas toujours possible d’aller interroger par API.
L’automatisation est un des grands enjeux du MMM “next gen”. C’est notamment essentiel pour abaisser la durée de la phase de collecte, étape la plus chronophage de la mise en place d’un plan MMM, qui peut avoisiner quatre à six mois. Et s’assurer que les modèles s’appuient sur des données mises à jour et de qualité. Chez fifty-five, on a ainsi développé un outil qui audite la donnée remontée. “On crée un ticket pour demander à l’expéditeur de nous renvoyer tout ça si la qualité n’est pas au rendez-vous”, précise Nicolas Vaudran, head of retail et services chez fifty-five.
Passer du Powerpoint aux dashboards en libre-service….
“Les MMM, historiquement assez figés, doivent gagner en souplesse”, estime Arnaud Parent. Cela concerne évidemment toute la partie restitution qui ne peut plus, comme ça a longtemps été le cas, être opérée une à deux fois par an (dans le meilleur des cas) sous la forme de sessions de plusieurs heures et centaines de slides est révolue.
“Il faut changer cela”, prévient Arnaud Parent. C’est indispensable pour rester pertinent dans ce monde VUCA, où incertitudes et retournements de marché sont devenus le quotidien des marketeurs et où le paysage média s’est hyper fragmenté.. “Avant, on traitait la TV comme un seul bloc. Aujourd’hui, avec l’avènement de la CTV, de la TV segmentée, on ne peut plus le faire”, illustre Arnaud Parent.
Résultat : le MMM se met au SaaS, que ce soit chez Converteo, fifty-five ou Ekimetrics, qui ont tous sorti une plateforme en libre accès pour leurs clients. “Ca leur permet d’intégrer eux-mêmes la donnée, de la catégoriser et d’accéder à l’ensemble des résultats des outils de forecasting”, précise Guilhem Bodin. En donnée de sortie, il est même possible d’aboutir à un plan média (que l’humain devra évidemment challenger).
“Cela permettra aux marketeurs d’optimiser la fréquence de mise à jour des modèles de MMM, tout en se réappropriant la donnée”, estime Thibault Labarre, partner chez Ekimetrics. C’est important pour être en phase avec le tempo des opérationnels. “Par exemple, se caler sur les plans trimestriels de l’équipe commerciale”, illustre Thibault Labarre. Ou coller à la fréquence des arbitrages budgétaires, qui peuvent s’opérer deux à trois fois par an.
… et de “c’est bon à savoir” à “OK, on en prend en compte”
“Le MMM ne doit pas se limiter au ‘nice to know’. L’enjeu, c’est de l’intégrer au processus de décision”, poursuit Thibault Labarre. Ce que la plateformisation évoquée juste au-dessus doit permettre. Exemple chez Heineken où “au début, on était plutôt dans le diagnostic. Moins dans le ‘je me projette sur le futur’”, se souvient Loic Bezin, responsable pôle étude e-business.
C’est lorsque le groupe a souscrit à un outil ad hoc fin 2022, qu’il a commencé à faire des simulations d’investissements médias. “On n’exécute évidemment pas 100% de ce qui est recommandé, puisqu’il est aussi important de confronter les rendus avec nos partenaires, à commencer par l’agence média”, précise Loic Bezin. Tester, corriger et itérer dont devenu compatibles avec le MMM.
“L’accessibilité grandissante des données, couplée à la puissance de calcul des machines, rend le MMM plus actionnable”, observe Guilhem Bodin qui se rappelle lorsqu’il y a quelques années, les modèles étaient limités à des confrontations search versus display alors qu’aujourd’hui, ils sont beaucoup plus granulaires grâce aux connexions API des principaux outils d’achats. “On est enfin capable de mettre en place des simulations qui nous disent, au regard de notre passsé, ce que ça devrait donner”, poursuit l’expert.
C’est, concrètement, simuler la réaction de certains personnas à tel niveau de promotion, ou à un couplage TV - search. Et prendre en compte les résultats du modèle au moment de mettre en place son plan média. Pas toujours évident à mettre en place, surtout si on n'a pas trouvé la “data gouvernance” adéquate.
C’est un peu le défi qui s’est posé à Antoine Genot, directeur performance marketing monde, qui après avoir scalé son outil de MMM interne, “Matrix”, à 12 marchés en moins de trois ans, s’est heurté à un challenge d’adoption en local. “Certains marchés ne suivaient pas toujours les recommandations de l’outil et de nos experts. Souvent pour des bonnes raisons, parfois pour des mauvaises.”, témoigne Antoine Genot.
Une des reproches adressés : le manque de granularité des recommandations. “Nous sommes donc allés plus loin dans la granularité, pour apporter des insights plus actionnables. Par exemple en distinguant le ROI par plateforme digitale, ou en démoyennisant le ROI par campagne vs un ROI moyen annuel”, illustre Antoine Genot.
L’expert a également dû recourir à un savant mix de carotte et de bâton pour favoriser l’adoption. Des formations à l’outil et au MMM en continu, indispensable car les équipes marketing tournent beaucoup. L’occasion de faire comprendre à tout un chacun que l’outil de MMM n’est qu’une aide à la décision et qu’il ne remplacera jamais l’intelligence humaine et surtout la créativité. De manière plus prescriptive, on demande maintenant aux équipes marketing locales de faire leurs arbitrage media en prenant en compte une large partie des insights de Matrix. Sans suivre nécessairement 100% des recos, mais en expliquant dans quel cas il est préférable d’aller à l’encontre de l’outil. “Même si Matrix mesure la performance de nos activités marketing de manière extrêmement fiable, l’outil reste basé sur les performances passées. Seuls les marchés savent dans quel cas de figure il faut aller à l’encontre des recos pour anticiper des opportunités/risques futurs: retournement économique, nouvelles tendances consommateurs, activité concurrentielle”, rappelle Antoine Genot.
Intégrer le coût carbone dans les modèles…
“L’étape 2 du MMM, c’est le modèle sous contrainte”, annonce Guilhem Bodin. Une étape qu’ils sont encore rares à avoir touchée du doigt, estime l’expert. “Les annonceurs qui en font se comptent aujourd’hui sur les doigts de la main.”
Il s’agit ici de dire au modèle : “dis-moi comment atteindre tel ROI en ayant telle contrainte.” Contrainte de temps, de prix et, de plus en plus souvent… de carbone. “C’est un paramètre qu’ils vont être de plus en plus nombreux à intégrer dans les modèles”, prédit Thibault Labarre qui a encore en tête, cet annonceur qui voulait arrêter tel levier média, il y a quelques années, l’estimant trop gourmand en carbone. Et qui aurait pu trouver la réponse à sa question dans le MMM.
Il s’agit, par exemple, de demander à l’outil de maintenir le ROI de la prochaine campagne média d’une marque, tout en abaissant de X% son coût carbone par rapport à celle de n-1. Un sujet majeur chez nombre de gros annonceurs. C’est d’ailleurs la volonté, à terme, d’Antoine Genot chez Pernod Ricard, qui aimerait que “Matrix lui permette de maximiser chiffre d’affaires et marge, tout en intégrant le critère de l’empreinte carbone.”
Comme souvent, lorsqu’on parle de MMM, cela implique d’associer de nombreuses parties prenantes. Le département IT, bien sûr, mais aussi le département CSR qui, il est vrai, ne connaît pas toujours bien le rôle du marketing. Et comme toujours, quand on parle de MMM, cela implique aussi de s’assurer que les données qui nourrissent le modèle sont les bonnes.
Pas évident à faire pour un sujet aussi peu normé que la consommation carbone. “On manque de standards sur le sujet”, déplore Antoine Genot. Les approches diffèrent d’un pays à l’autre et d’un média à l’autre, ce qui ne facilite pas la mise en place d’un modèle permettant d’arbitrer entre différents pays ou canaux… “Nous avons besoin d’un référentiel sur le sujet pour pouvoir aboutir à des reportings par pays et par touchpoint”, espère un Antoine Genot qui regarde, notamment, du côté de la WFA.
… et la notion de brand equity
“Les modèles MMM se cantonnent souvent à KPI très financiers”, reconnaît Loïc Bezin. Qu’il s’agisse de l’impact d’un plan média sur les ventes, sur le churn, sur le cross-sell… La plupart des indicateurs analysés sont liés au business.
C’est évidemment important mais c’est un peu réducteur puisque le marketing, c’est aussi travailler sa marque. Au-delà de la notion de notoriété, qui est facile à quantifier, il y a la notion de brand equity (positionnement de la marque) qui est, elle, plus difficilement tangible… et mal prise en compte par les modèles. Même si, comme le rappelle Antoine Genot, “il n’y a pas d’effet long terme sans un minimum d’effet court terme.”
Le Saint Graal, c’est de pouvoir mesurer précisément la contribution des plans marketing sur le brand equity à long terme, et pas seulement sur les ventes à court terme (ROI), de l’avis des experts interrogés par Minted. “Personne n’a vraiment craqué ce sujet, et c’est pour cette raison que nous avons monté un think tank avec des experts du MMM chez Ekimetrics et des annonceurs à la pointe du sujet comme Axa, précise Antoine Genot. En attendant, chez Pernod Ricard, nous avons pris le parti du pragmatisme, en appliquant simplement un coefficient multiplicateur d’effet long terme à chaque ROI court terme.”
Ces coefficients sont calculés sur la base d’études consommateurs, qui interrogent ces derniers, dans chaque marché, sur leurs habitudes de consommation média. De quoi permettre de mieux valoriser des médias qui ne performent pas toujours bien à court terme, mais construisent la marque à long terme, comme la TV traditionnelle par exemple.
Assouplir le MMM pour que tous les marchés y trouvent leur compte
Soyons lucides : le MMM reste aujourd’hui le privilège des plus gros annonceurs. Parce que ça un coût, qu’ils sont encore rares, à pouvoir absorber. Entre 50 000 et 70 000 euros de frais annuels tout de même. Et parce qu’il faut aussi avoir suffisamment de données pour pouvoir nourrir la machine. Ce que n’ont pas tous les annonceurs, que ce soit au global ou sur certains de leurs marchés.
C’est le problème qui s’est posé à Antoine Genot qui, après avoir déployé Matrix sur ses principaux marchés, ne pouvait plus justifier d’un déploiement coûteux en dessous d’un certain montant d’investissement marketing à optimiser. En plus de la taille, c’est l’accès aux datas de ventes “sell-out” (les ventes des distributeurs) qui fait souvent défaut.
“Nous cherchons à cracker un modèle de MMM Light pour des marchés soit trop petits pour Matrix, et/ou des gros marchés mais qui n’ont pas la donnée de vente suffisamment granulaire” précise Antoine Genot. L’Inde est un exemple de marché clé pour Pernod Ricard, pour lequel le groupe doit travailler sur un modèle spécifique avec d’autres données de ventes que les sell-out, données qui n’existent pas sur ses catégories en Inde. “Pour les petits marchés, nous investiguons plusieurs options de Matrix Light, mais ce ne sera probablement pas un vrai modèle MMM, car le MMM c’est généralement tout ou rien, on ne peut pas à ma connaissance faire un modèle dégradé pour calculer un ROI de manière fiable”, nuance Antoine Genot.
L’autre variable à intégrer, “c’est le degré de maturité des équipes en locale, rappelait également Florian Combres à l’occasion de Future of cookieless. Pour mettre en oeuvre un projet MMM, il faut mobiliser énormément de gens.” D’où l’importance, à nouveau de communiquer sur les enjeux business.
Dans tous les cas, il faudra procéder au cas par cas. D’où un modèle d’implémentation qui peut aller de :
On vous partage un guide de mise en route et on vous laisse faire les intégrations nécessaires
On achète des benchmarks à Nielsen et on branche le modèle d’un pays qui a une proximité géographique avec le marché, “même si c’est limité comme raisonnement et que chacun hurle à sa spécificité.”