L’edge computing : le pari d’Edgee pour révolutionner la collecte de données


  • Fondée par Sacha Morard et Gilles Raymond, la plateforme utilise l'edge computing pour permettre aux éditeurs de sites de traiter les données au niveau du réseau de diffusion de contenu (CDN), contournant ainsi les restrictions imposées par les navigateurs Web et adblockers.
  • Avec un financement de 2,9 millions d'euros, la plateforme ambitionne de révolutionner la gestion des données en ligne tout en respectant les cadres réglementaires.

Et si l’edge computing était une réponse aux difficultés croissantes que les sites Web rencontrent en matière de collecte de données ? C’est le pari fait par Edgee, une plateforme lancée par Sacha Morard (ancien CTO du Monde) et Gilles Raymond (ancien fondateur de News Republic). 

Le duo, qui vient de lever 2,9 millions auprès des fonds Serena Capital et VentureFriends, fait le même constat que nombre d’entre nous : la collecte de données “client-side”, via la dépose de cookies sur le navigateur du visiteur, est fortement amoindrie par la popularité croissante des adblockers et un contexte règlementaire qui, à l’initiative de la Cnil et des navigateurs Web, est de plus en plus dur.

Ce qui le distingue du reste du marché, en revanche, c’est l’alternative qu’il propose aux éditeurs de site et développeurs. Plutôt que de déporter le traitement des données au niveau de la couche serveur, soit “server-side”, comme le font aujourd’hui la plupart des grandes plateformes publicitaires (comme Meta avec son CAPI), il propose de le faire à l’étape précédente, au niveau du CDN, grâce à l’edge computing. 

Avant d’aller plus loin, un petit rappel de l’architecture du Web est utile. Le chemin entre votre ordinateur et le site Web que vous visitez se découpe en trois étapes : une requête formulée depuis le navigateur (la couche client) qui est la plupart du temps envoyée vers un réseau de diffusion de contenu, le CDN. Lequel va la redispatcher vers le serveur au sein duquel l’éditeur du site stocke ses données. 

C’est là qu’entre en piste l’edge computing, une technologie qui permet, à l'initiative des principaux CDN du marché, de mettre de l’intelligence dans cette couche intermédiaire. “Un éditeur de site peut y avoir recours pour des opérations où ça lui serait trop coûteux d’aller jusqu’au serveur”, explique un connaisseur de la pratique.

Par exemple, afficher une version locale de son site selon le pays du visiteur. Une manipulation qui lui permettra, par ailleurs, de gagner en latence. “Quand vous êtes sur l’edge, vous êtes plus proche de l’utilisateur que si vous alliez jusqu’au serveur”, rappelle notre expert.

Ce que propose Edgee, c’est d’y effectuer les opérations de traitement de données qui s’opèrent, pour le moment, client-side ou server-side. Notamment les analytics du site, les AB tests ou encore la gestion du consentement. “Toutes les opérations qui étaient déclenchées par un script javascript qui s’exécute dans le navigateur peuvent l’être désormais via le proxy d’Edgee”, résume Sacha Morard. 

Au-delà des avantages évoqués plus haut, cela permet surtout de s’affranchir des restrictions imposées par certains navigateurs, Safari et Firefox en tête, et la plupart des adblockers en matière de tracking. Dans cette configuration, le navigateur et l’adblocker ne voient plus qu’une seule requête partir vers le CDN, sans savoir ce qu’elle permettra d’exécuter en edge. Là où, client-side, ils pouvaient voir la destination de chaque requête javascript… et la bloquer si elle était en lien avec du tracking effectué par un tiers. 

Recourir à Edgee permettrait aux éditeurs de site de recouvrer la vue sur une bonne partie de leurs audiences, assure Sacha Morard. “Selon les premiers tests que nous avons menés, 27% des utilisateurs d’un site disparaissent de ses radars sur une période de 48 heures”, chiffre l’expert. 

Si on se concentre sur les ‘core users’, ceux qui viennent 4 fois dans la journée, le ratio est même de 40%. On pourrait les penser plus enclins à partager leurs données à un site qu’ils apprécient particulièrement. “Sauf que, plus ils le visitent, plus ils sont exposés à tous ses irritants publicitaires et donc enclins à mettre un adblocker”, confie Sacha Morard. 

Tous ces réfractaires pourront être réintégrés aux statistiques du site, Edgee étant en capacité de collecter de la donnée anonymisée. La plateforme ne permettra néanmoins pas à vos trackers publicitaires, comme CAPI, de redevenir omniscients. Le tracking à des fins publicitaires n'étant pas, contrairement aux analytics, exempt de consentement, si un utilisateur vous dit non, c'est non.

Vous pourrez en revanche permettre à ces trackers publicitaires d'opérer dans des environnements qui, comme Safari et Firefox, les bloquaient par défaut. Et ainsi mieux comprendre le comportement des visiteurs qui vous partagent leur consentement sur ces deux navigateurs. Et pourquoi pas, le jour où Edgee s’intéressera de plus près à des cas d’usage publicitaires, exposer ces audiences à des publicités personnalisées, voire même afficher des publicités non personnalisées à vos visiteurs qui utilisent un adblocker (et refusent sans doute aussi le partage de données personnelles). 

On est encore dans la fiction, d’autant que le secteur pub reste très orienté “client-side”, qu’il s’agisse des adservers ou du header bidding, mais ce serait une petite révolution, comme vous le diront sans doute la plupart des patrons de régies médias. “Basculer le marché publicitaire sur un affichage des pubs depuis l'edge imposerait, qu'à part l'affichage de la pub, tout devienne réellement asynchrone (le bidding, le ciblage...)”, précise Sacha Morard. 

Loin d’être une évidence pour un marché qui est biberonné aux enchères en temps réel. Et qui avait d’ailleurs vu d’un mauvais œil une proposition faite en ce sens par Google aux débuts de la Sandbox. Mais vous voyez le principe… A plus court terme, on peut aussi très bien imaginer la  plateforme intégrer des solutions d’identification comme First ID ou ID5, pour permettre aux éditeurs un meilleur tracking cross-site.  

Edgee, qui facture ses clients au volume (nombre de pages vues) opère sur les serveurs d’edge computing de Fastly. Un CDN prisé des sites ayant une affinité avec la tech mais qui reste loin de la part de marché des trois leaders du secteur : Akamai, Cloudfaire et Cloudfront (le CDN d’Amazon, par défaut celui qui est utilisé par les sites hébergé chez AWS). 

Si Edgee peut, via une édition Open Source, être déployé chez ce trio, la manipulation est plus lourde que l’intégration “managed” dont il dispose avec Fastly. “Surtout, elle implique qu’une DSI accepte de faire pointer tous ses DNS vers Edgee, ce qu’il sera difficilement enclin à faire pour un simple test”, note notre expert anonyme.

S’intégrer dans l’écosystème d’Akamai, Cloudfare et Cloudfront sera donc une priorité pour Edgee. De même qu’il lui faudra maximiser les partenariats avec les prestataires techniques de ses clients cibles. “Nous sommes d’ores et déjà capables de déployer les solutions de leaders du secteur, comme Google Analytics, Amplitude ou Segment, dans notre librairie”, révèle Sacha Morard. 

Edgee, qui a lancé sa plateforme en janvier dernier, a déjà convaincu ses deux premiers clients testeurs : un média et un e-commerçant. La plateforme, qui ne se cantonnera pas au sujet de la collecte de données, se voit à terme comme un “App Store du edge computing”. La levée de fonds va lui permettre de recruter les talents nécessaires à son développement.

“Nous n’étions jusque-là que deux cofondateurs, nous serons 10 d’ici la fin de l’année”, espère Sacha Morard, qui prévoit de recruter des tech et des sales. Des discussions ont déjà lieu avec des sites américains…