- A cause d’un contexte économique compliqué, les annonceurs font devoir faire preuve de frugalité et d’agilité cette année. Minted vous a répertorié tout ce qu’ils ont intérêt à faire ET ne pas faire pour tirer leur épingle du jeu.
- Un dossier réalisé avec l'appui d’experts de chez 3qtz, Converteo, Ekimetrics et fifty-five.
Faire plus avec moins…
Guilhem Bodin, partner de Converteo, résume le challenge de la plupart des annonceurs en 2024. “il va leur falloir faire plus avec moins.” Plus de chiffre d’affaires, plus de trafic, plus de notoriété… Quels que soient vos KPI, ils seront sans doute revus à la hausse alors que vos budgets marketing (communication, média, CRM, influence…), eux, ne le seront probablement pas.
Il faut dire que les indicateurs clés ne sont pas bons : entre un PIB qui devrait continuer à faire du surplace, un secteur de l’immobilier qui tire la langue, une inflation qui ne vas pas disparaître du jour au lendemain et un contexte géopolitique qui reste difficile (guerre en Ukraine, conflit israélo-palestinien…).
La consommation stagne et, avec elle, les revenus d’une bonne partie des entreprises. Les budgets marketing étant, en période d’incertitude, les premiers challengés, les annonceurs vont donc devoir apprendre à faire dans la frugalité. “Soit on vous demande de faire mieux, avec autant. Soit on vous imposera de faire aussi bien… mais avec moins”, confirme le CMO d’un groupe de services.
Moins de budgets, moins de temps et “même moins de ressources humaines” à en croire cette directrice marketing d’une grosse scale up dont l’équipe n’a pas bougé depuis trois ans. Sans compter qu’il faut, en plus, composer avec l’explosion des coûts d’acquisition sur Meta et Google et la disparition des cookies tiers sur l’Open Web. Et qu’il faut désormais aussi faire attention à l’empreinte carbone de vos dispositifs. “Ça n’a sans doute jamais été aussi compliqué d’être un annonceur”, s’amuse l’un d’entre eux.
Des objectifs qui, de l’avis de beaucoup, paraissent difficilement tenables et qui annoncent des “échanges pas toujours plaisants avec la division financière”
Erwan Lohezic, cofondateur de 3qtz, ne compte lui plus ses clients à qui “on demande 20, 30% de performance supplémentaire, avec des moyens qui eux ne bougent pas.” Des objectifs qui, de l’avis de beaucoup, paraissent difficilement tenables et qui annoncent des “échanges pas toujours plaisants avec la division financière”, à en croire cette VP marketing en scale-up.
“Je pense qu’ils vont être nombreux à faire un point sur leurs campagnes et prestataires à la fin du premier trimestre, pour voir où ils en sont”, prédit Erwan Lohezic.
Etre agile… sans céder à la pression du court terme
C’est d’ailleurs l’un des corollaires de ce climat d’incertitude galopant. Il y a désormais plusieurs années dans l’année pour des marketeurs qui navigue plus que jamais à vue. A l’image de cet annonceur qui confiait à Guilhem Bodin réviser désormais son budget média 10 fois par an.
Une stratégie du “stop and go” qu’ils seront, de l’avis de Guilhem Bodin, nombreux à réaliser en 2024. “Le maître-mot, c’est l’agilité, estime l’expert. On voit comment se passent les rendez-vous marquants de l’année - soldes, vacances, rentrée de septembre - et on avise en conséquence.”
Une exigence d’agilité qui aura un impact sur l’organisation des divisions marketing (essor du recours au freelance, externalisation de certaines tâches…) et sur le pilotage des campagnes. “Même si votre marge de manoeuvre est parfois limitée sur des médias qui, comme l’affichage ou la TV, se bookent des semaines, voire des mois à l’avance… sans possibilité d’annulation de dernière minute”, prévient Thibault Labarre, partner chez Ekimetrics.
Les algorithmes d’enchères n’aiment pas l’instabilité
Parfois plus facile à dire qu’à faire donc… et parfois même dangereux, à en croire Erwan Lohezic, qui rappelle que les algorithmes d’enchères des grandes plateformes n’aiment pas l’instabilité. Qu’il s’agisse de Performance Max de Google ou Advantage+ de Meta.
“Oui, c’est facile de brancher / débrancher une campagne sur ce genre de plateformes… mais c’est souvent contre-productif”, estime l’expert. Et de rappeler qu’un algorithme a besoin de temps, “a minima quelques jours, pour trouver son rythme de croisière.” Une mise en route qui paraît difficilement compatible avec les exigences d’un acheteur qui change de ROAS cible toutes les semaines.
Vous en doutez ? Prenez le temps de mettre sur pied un protocole de test sur Google ou Meta (c’est enfantin), avec d’un côté un ROAS cible fixe sur 10 jours, de l’autre, une campagne où vous révisez ce ROAS quotidiennement. “Il y a de fortes chances que les résultats soient meilleurs pour la campagne où vous ne touchez à rien”, prévient Erwan Lohezic.
Négliger l’upper funnel est dangereux pour votre marque
“J’en vois qui sont le nez rivé sur leur Analytics et Ad Manager, à s’émouvoir à la moindre journée moins performante qu’il y a un an”, s’amuse Erwan Lohezic. Suivre ses indicateurs clés régulièrement, c’est sain. Le faire constamment, ça l’est moins. Prenez un peu de recul et sortez de la pression du quotidien. “Une marque, ça se construit dans le temps”, rappelle l’expert.
Oui, privilégier des environnements bas de funnel comme le search ou le retargeting, qui vous permettent de toucher des internautes affinitaires, voire même intentionnistes, vous permettra de vous attirer les bonnes grâces de votre hiérarchie et de votre direction financière avec des coûts d’acquisition très compétitifs.
Le problème c’est que, si vous ne prenez pas le temps d’alimenter ce bassin d’audience, upper funnel, en travaillant la notoriété, la considération et la préférence de votre marque, il va vite se tarir. Vous allez cibler de plus en plus souvent (et de plus en plus cher) les mêmes personnes.
“Ça va peut-être marcher sur 2023 mais vous allez forcément vous planter en 2025, si ce n’est avant”, prévient un VP marketing de scale-up. Erwan Lohezic estime ainsi que “les retailers qui se hasarderaient à négliger le haut de funnel risquent d’avoir une mauvaise surprise au dernier trimestre, période où se joue une bonne partie de l’année côté ventes.”
“La tâche n’est, avec la fragmentation des audiences et la complexité croissance d’accès à la donnée, pas évidente, reconnaît Thibault Labarre. Mais c’est aujourd’hui indispensable d’opérer sa stratégie en gardant en tête deux échéances : le court et le long terme.”
Ce n’est pas Antoine Genot de Pernod Ricad qui le contredira, lui qui expliquait à Minted s’échiner à intégrer la notion de brand equity dans les algorithmes parfois un peu court-termistes de Matrix, l’outil de marketing mix modeling (MMM) de Pernod Ricard. Un exemple à suivre selon Thibault Labarre, qui recommande aux annonceurs qui font du MMM d’y intégrer “un indicateur de marque qui varie suffisamment pour être suivi dans le temps au sein de leur modèle.”
Surveiller l’incrémentalité et l’élasticité de chaque campagne
Pour arriver à naviguer dans ces eaux troubles, trois conseils que vous pourrez découvrir en détail dans notre Guide de survie des annonceurs en période de crise” :
réduire le média s’il le faut… mais sans aller au plus simple (ou au moins cher)
“Les annonceurs doivent garder en tête qu’aller là où les GRP ou les CPC sont les moins chers n’est pas forcément une bonne idée”, prévient Guilhem Bodin. A vous de trouver le bon KPI, idéalement proche de votre business, pour faire vos arbitrages. Et de vous interroger, comme le faisait sur LinkedIn Mickael Delinotte, senior media manager chez KFC France, sur la pertinence d’aller “siphonner votre budget media pour 3 semaines d'émulation des audiences”, à l’occasion des JO de 2024.
Erwan Lohezic vous conseille lui de vous intéresser à ce qui sera, selon lui, les deux dimensions clés du média en 2024 : l’incrémentalité et l’élasticité.
Identifier l’incrémentalité d’une campagne, c’est écarter la part des ventes apportées par cette campagne qui auraient été réalisées même sans elle (via l’organique). Guilhem Bodin cite l’exemple du retargeting, “qui permet certes de baisser le coût d’acquisition moyen, mais dont les annonceurs se demandent trop rarement s’il ne vient pas cannibaliser des ventes qui auraient été réalisées de manière organique. ”C’est possible de le déterminer via des tests dédiés, comme du géolift. Et c’est encore trop rarement fait.
Tester l’élasticité d’un levier, c’est identifier le moment où il commence à saturer. “Le moment ou, en d’autres termes, un euro investi en pub génère moins d’un euro de ventes”, résume Erwan Lohezic.
Important à l’heure où on vous demande de rendre des comptes côté rentabilité et beaucoup plus efficace que “de capper ses budgets de manière bête et méchante en décidant d’allouer X euros à tel environnement et en se refusant à dépasser ce plafond quoi qu’il arrive”, estime Pierre Harand, co-CEO de fifty-five.
Charge à tous ces annonceurs qui ont encore des modèles d’attribution au last click, et ils sont encore nombreux, d’investir dans la mesure de l’efficacité publicitaire, poursuit Pierre Harand. “Faire du server-side, tester des ID publicitaires partagés, investir dans de la data 1st party, via une CDP, et utiliser celle des autres, via des data clean rooms ou des acteurs du retail media” sont autant de pistes que Pierre Harand vous conseille d’explorer.
reprendre la main sur la data
“Ce contexte difficile est l’occasion pour le marketeur de sortir un peu de sa coquille”, estime Guilhem Bodin. Peser un peu plus dans la gouvernance de la data, à l’échelle de son entreprise ET de son écosystème de partenaires. “Reprendre la main pour maîtriser ce qui est dépensé, de quelle manière et le faire avec le moins de gâchis possible”, ajoute Guilhem Bodin.
Il s’agit de vous rappeler au bon souvenir de vos partenaires data et média pour qu’ils vous ouvrent les accès aux outils qu’ils pilotent peut-être dans leur coin. De vous rapprocher de votre CFO, pour qu’il vous donne les moyens de vous équiper des technologies (pas forcément les plus onéreuses) pour y arriver. Et de gagner en visibilité auprès de votre DSI, pour vous assurer qu’elle vous octroie un peu de ses ressources et de sa bande passante (le marketing est rarement prioritaire là-dessus) .
Tout cela vous permettra globalement de mieux mesurer. Parce que lier investissements marketing et performances de ventes, c’est bien. Mais le faire en intégrant la donnée de marge, c’est mieux. Surtout quand, comme l’observe Thibault Labarre, “de plus en plus d’entreprises imposent à leurs équipes de préserver l’Ebitda, plutôt que de faire de la croissance à tout prix.”
Or, pour y arriver, vous aurez évidemment besoin d’aller taper dans les fichiers Excel de vos équipes de contrôle de gestion et de mettre en place un tracking server-side, grâce aux développeurs internes, pour vous assurer que ladite donnée est traitée à l’abri des regards.
Un autre levier d’optimisation de vos budgets est la LTV (lifetime value), une estimation des revenus que chaque client vous rapportera dans le temps. “C’est une dimension que l’on peut facilement modéliser dans des secteurs comme la banque, l’assurance ou les telcos”, précise Thibault Labarre. Une approche qui vous permettra de faire le tri entre les campagnes qui génèrent beaucoup de clients (mais des clients qui ont tendance à churner ou dépenser peu) et celles qui en génèrent beaucoup moins… mais à plus fofte valeur.
S’adapter aux mutations du média… et revoir leur manière d’opérer
2024 préfigure un vrai “big bang organisationnel”, à en croire les experts interrogés par Minted. Parce que le média mute et que Thibault Labarre constate, comme bien d’autres, la “disparition du tunnel de conversion à l’ancienne, où il y avait d’un côté, des médias qui influençaient les items de marque comme l’awareness ou la préférence de marque, et de l’autre, des médias qui généraient de la conversion.”
Le tunnel de conversion à l'ancienne a disparu... Tout le monde fait de l'awareness ET de la performance
Les frontières sont devenues plus poreuses, estime l’expert. Un constat partagé par Guilhem Bodin qui prend l’exemple de Performance Max, cet outil qui permet aux annonceurs de confier la gestion de leur campagne SEA à l’algorithme de Google.
“Performance Max va contribuer à afficher des campagnes historiquement pensées pour du bas de funnel, en réponse à une requête, dans des environnements upper-funnel, comme Youtube ou Adsense.” Il ira, ce faisant, marcher sur les plates-bandes des campagnes que ces mêmes annonceurs diffusent en programmatique open-auction.“
La démocratisation de ce genre d’outils va considérablement dérégler le pilotage des campagnes côté annonceurs, estime Guilhem Bodin. Et ces derniers vont avoir bien du mal à savoir ce qui sature et ce qui cannibalise s’ils n’ont pas “remis à plat la gestion de leurs campagnes médias.” C’est, par exemple, rapprocher des équipes growth / performance qui sont parfois un peu cloisonnées des équipes branding. C’est faire de même avec ses agences pour s’assurer que tout le monde tire dans le même sens.
Autre exemple avec la vidéo, sans doute le format star de 2024, avec l’avènement des grandes plateformes d’AVOD (TF1+, Netflix, Disney+, Youtube et, surtout, Prime Video Ads) qui mêle créas impactantes et data intentionnistes, via le retail media.
La TV se digitalise et les grandes plateformes vidéos vont vers la TV. Ça n’a plus de sens de cloisonner vos achats TV et vidéos digitales (certaines agences médias ne l’ont toujours pas bien compris) alors que “la TV est, après le mobile, le deuxième canal de diffusion de Youtube”, rappelle Guilhem Bodin
Un changement de paradigme qui impose aux acheteurs de passer d’une stratégie très silotée, par grands canaux (TV, radio, cinéma, display, search) à une approche beaucoup plus homogène, parce qu’il y a de la vidéo et de la performance partout”, estime Guilhem Bodin. Thibault Labarre y voit aussi un enjeu de taxonomie commune, “pour s’assurer que l’on parle de la même chose et que l’on compare ce qui est comparable selon les marchés.”
“Peut-on comparer une impression vidéo chez Teads avec une impression chez TF1+ ?, s’interroge Guilhem Bodin. Est-ce qu’une campagne TV vaut une campagne AVOD ?” Les acheteurs auront les premiers éléments de réponse avec le déploiement d’une unité de mesure unifiée (le CPM ?) prévu pour la fin de l’année.
"La gestion des budgets digitaux devient, disparition des cookies tiers et fragmentation des audiences oblige, de plus en plus chronophage”
Une certitude : “la gestion des budgets digitaux devient, disparition des cookies tiers et fragmentation des audiences oblige, de plus en plus chronophage”, pointe Guilhem Bodin. Et les métiers évoluent en conséquence. “Un expert search, ce n’est plus un acheteur qui bidde sur des mots-clés”, rappelle Erwan Lohezic.
Google, Amazon et Meta s’appuient de plus en plus souvent sur l’IA pour défausser l’acheteur de “la gestion opérationnelle des campagnes.” Ce dernier est moins la tête dans le guidon, à gérer le trading. “Il peut, en conséquence, se concentrer sur les tâches à plus forte valeur ajoutée : l’amont, avec la gestion des créas, l’aval, avec l’analyse de la performance des campagnes”, estime Guilhem Bodin.
“Les compétences à avoir ne sont plus les mêmes, prévient Erwan Lohezic. Les acheteurs n’ont plus forcément besoin d’ultra-spécialistes mais de généralistes qui savent faire preuve de sens critique.”
Aux annonceurs de former leurs équipes en conséquence et de s’appuyer sur l’IA générative pour gagner en productivité sur certaines tâches. Pierre Harand prévoit qu’en 2024, les entreprises vont déployer à l’échelle les premiers cas d’usages de Gen AI appliquée au marketing. “Les agents conversationnels sont désormais multi-modaux, c’est un vrai game changer”, estime celui qui observe la multiplication des packs cloud + Gen AI chez les Microsoft, Google et Amazon pour proposer aux marques des environnements sécurisés qu’un ChatGPT n’offre pas, même s’il est bien plus connu du grand public.
Guilhem Bodin est, lui, convaincu que les annonceurs vont en profiter pour reprendre la main sur la création de certains assets. “Certains dépensent des sommes faramineuses auprès de leurs agences pour qu’elles leur déclinent certains assets alors que les outils d’IA vous permettent de faire ça en un temps record et pour beaucoup moins cher.” Dont acte.