- Et si pour gagner de nouveaux clients, il n’y avait pas mieux que de prendre soin de ses fidèles ? C'est la question que pose dans cet chronique, Jérémy Lacoste, head of acquisition, analytics et CRM de Meilleurstaux. Un moyen de rappeler à toutes ces entreprises qui crament beaucoup d'argent en acquisition... mais qui font, derrière, peu d'efforts pour fidéliser les nouveaux clients, que les enjeux sont sans doute ailleurs.
Même Tesla y succombe. Après des années sans investir 1€ en publicité, le constructeur automobile a annoncé récemment sa volonté de mettre en place des plans marketing de manière à augmenter sa capacité à capter de nouveaux clients. L’acquisition marketing, un élément indépassable pour toutes les boîtes ?
Récemment, c’est Temu (apps e-commerce chinoise) qui fait fort en investissements marketing avec une présence de marque visant quasiment à la saturation pour s’implanter sur le marché français, un peu à la manière de ce qu’avait fait Wish il y a quelques années. Je rappelle que Temu perd aujourd’hui 30€ $ sur chaque commande, mais tant pis a priori. La conquête avant tout.
On verra plus tard pour fidéliser. Même si on perd de l’argent ; même si on créé de la friction ; même si l’expérience client ou les produits ne sont pas toujours au niveau ; même si le support client n’est pas réactif… ? Faisant de l’acquisition depuis quasiment 10 ans, je vais essayer de penser contre moi-même pour justifier pourquoi les organisations devraient accorder au moins autant d’importance à la lutte contre l’attrition qu’au recrutement de nouveaux clients.
D’abord comprendre pourquoi l’acquisition est perçue comme plus stratégique que la fidélisation.
Le biais d’image : Lorsque l’on est une start-up et que l’on veut impressionner, il faut communiquer sur son AMR (revenue annuel) et sa croissance auprès des nouveaux clients. Pour beaucoup d’acteurs d’ailleurs, le pilotage des investissements marketing se fait d’ailleurs sur la base du recrutement de nouveaux clients, signe finalement de la vitalité de la marque et de son renouvellement. C’est le retour aux fondamentaux du commerce avec le primat de la logique de chasseur. Mais quid du repeat business ? Quid de la valeur moyenne du parc de clients ? Bien souvent ces chiffres sont absents. Les boites et les investisseurs préfèrent parler taux de pénétration marché que fidélisation. L’un est un 100 mètres, l’autre une course de fond.
Que penser de ce tropisme autour de l’acquisition de nouveaux clients ? Je n’irai pas à dire évidemment qu’il s’agit d’une Vanity Metric, mais à mon sens, elle est parfois légèrement surévaluée dans les prises de décisions et orientations stratégiques. C’est évidemment primordial de convertir de nouveaux utilisateurs à sa produit et d’étendre son assise sur le marché, mais si derrière l’expérience cliente est décevante ou qu’il n’y a pas de réflexion pour penser le réachat réflexe, ce n’est que la moitié du boulot qui est fait. Un bel exemple de pivot est le cas Weber qui d’un produit d’achat one shoot (le barbecue) en a fait un formidable terrain de récurrence avec un univers foisonnant d’accessoires générant de l’upsell.
Le biais organisationnel : Dès le départ le ver est dans le fruit si j’ose dire. Bien souvent dans les organisations marketing, l’équilibre des talents est en faveur de l’acquisition représentée par des traffic manager, experts SEO/SEA, CRO managers. Là où les équipes sont généralement plus réduites côté CRM marketing/programme loyalty. Mieux, étant en début de chaîne et converties en espèces sonnantes et trébuchantes, les actions d’acquisition sont souvent les plus exposées.
Le bon cas d’usage reste l’étude du tunnel de conversion en lead generation. Si on observe une baisse du taux de transformation, généralement l’analyse se concentrera sur le sourcing afin d’identifier pourquoi il y a une baisse de la qualité des leads générés. Alors que fondamentalement, le décrochage peut aussi s’opérer sur les actions de nursing ou de call, entre le moment où le lead est généré et son animation pour en faire un client.
Comment expliquer alors ce réflexe ?
- L’impact du budget investi : on va avoir tendance à être plus vigilant là où on investit beaucoup
- L’impact de réactivité : il est plus facile/rapide de changer le sourcing que de modifier l’organisation commerciale
Le biais de mesure : La règle est connue : ce qui ne se mesure pas ne s’améliore pas. Autant les organisations possèdent une bonne vision sur le CPL ou le coût d’acquisition (nouveaux) clients ; autant cela commence à coincer dès qu’il s’agit de modéliser la life time value. Tout le monde en parle, mais assez peu d’acteurs en ont une vision précise. Combien me rapporte un client sur tout son cycle de vie ? Quel est le volume moyen de réachat ? Quel est le taux de churn ? Quel est son niveau d’engagement avec la marque ? Quel est le préjudice estimé pour tout client insatisfait ?
Résultat, les organisations vont plutôt avoir tendance à se concentrer sur ce qui ressort dans les reportings et déprioriser des sujets tout aussi stratégiques mais potentiellement moins visibles. Cela explique la course à l’acquisition clients. Au risque de ne pas mettre l’effort là où il devrait être. Lisons Jeff Bezos : "Si vous rendez les clients mécontents dans le monde physique, ils peuvent chacun en parler à six amis. Si vous rendez les clients mécontents sur internet, ils peuvent chacun en parler à six mille amis."
Le biais de complexité : Pour le dire de façon caricaturale et un peu brute, il est souvent plus facile d’augmenter ses investissements pour aller chercher des nouveaux clients, plutôt que d’aller mettre de l’intelligence relationnelle dans ses parcours clients et améliorer sa life time value. Et surtout beaucoup plus rapide. Dans le premier cas, il suffit finalement d’accélérer sur vos canaux de collecte, Google en premier pour voir dès le lendemain votre couverture commerciale s’étendre et les leads pleuvoir. Un peu comme au Casino où vous êtes sûrs de pouvoir jouer à chaque jeton.
Dans le second cas, l’effet est moins immédiat, plus difficilement traçable et sûrement plus complexe puisque modifier ses campagnes relationnelles, son programme de parrainage ou sa stratégie de call revient bien souvent aussi à devoir gérer des effets de bords sur plusieurs départements de l’organisation et à faire évoluer le modèle de données. Parfois une tannée que l’on peut préférer s’éviter !
Une fois ces biais connus et appréhendés, comment et pourquoi faire de la fidélisation un axe stratégique ?
Car c’est économique plus viable : Les chiffres ont parlé : retenir un client coûte 5 fois moins cher que d’acquérir un prospect d’après l’étude de Dawkins et Reichheld. Mieux, j’enfonce évidemment une porte ouverte, mais un client satisfait est naturellement plus enclin au réachat multiple ; à promouvoir la marque ; à passer par des canaux directs ; moins sensible à l’approche promophile… C’est donc in fine du budget publicitaire mieux alloué qui permet ainsi de maximiser la valeur unitaire généré.
Et puis d’un point de vue marketing, est-ce pertinent de réacheter sans cesse ses clients auprès des régies publicitaires ? Car c’est un peu ce qu’il se passe avec les campagnes retargeting ou les campagnes Google. En choisissant le canal acquisition pour animer ses audiences clients, les marques deviennent « locataires » de ces données, obligées de repayer pour les travailler. Une hérésie. Alors même qu’elles devraient tout faire pour les nurser via des leviers directs comme l’email, le call, le sms ou autre…
Car c’est plus juste : Pour attirer des nouveaux clients à soi, les marques ont pour habitude de proposer des conditions plus avantageuses aux nouveaux entrants qu’aux anciens clients. Avec son lot de déception : les abonnés aux bouquets TV ou aux opérateurs téléphoniques peuvent en témoigner lorsqu’après plusieurs années de fidélité, ils voient que leur abonnement leur coûte 2 fois plus cher que l’offre de bienvenue du moment.
A l’inverse, un modèle plus vertueux serait de faire exactement l’inverse, un peu comme le proposent finalement les assureurs auto avec des tarifs dégressifs en fonction de l’historique du conducteur. Mieux certaines compagnies comme la MAIF adosse le variable de leurs conseillers, non pas sur le CA généré, mas sur la satisfaction client. Manière de dire que l’intérêt du client passe avant tout. Des choix qui peuvent interroger sur l’efficacité commerciale à court terme, mais qui à coups sûrs porteront leurs fruits sur le moyen terme.
Car c’est une mine d’information : L’avantage en s’adressant à ses clients est évidemment de pouvoir capitaliser sur un certain nombre d’informations collectées tout au long du parcours. Là où sur des prospects purs, l’identification s’arrête bien souvent à un ID cookie ou un log anonyme ; les clients jouissent de logins pérennes favorisant leur authentification. Tout l’enjeu réside finalement dans la captation de ces points de contact afin de construire le profil client le plus riche qui soit pour ensuite l’activer.
La problématique ici n’est pas tant outils - il en existe pléthore types CDP, RCU, Datalake - que liée au modèle de données. Quelles règles de gestion ? Qui est propriétaire de la donnée ? Où la stocker ? Quelles règles de traitement ? Une fois ces arbitrages effectués, on peut arriver à la sacro-saint communication 1 to 1. Un bon cas d’usage est le rayonnement de l’information opérée par Accor à l’ensemble de ses entités présenté lors du Salesforce World Tour de 2022. A chaque visite du client dans une des 40 chaînes hôtelières du groupe, son profil client est enrichi de ses habitudes (heure de repas ; préférence sur la température de la chambre ; nombre de serviettes ; services additionnels..) de telle façon que lors de ces visites suivantes, tout est déjà en place. De quoi fidéliser à grande échelle.
Car c’est un bon moyen d’en faire des ambassadeurs : Apple, Tesla, Nike… Ces marques ont réussi à générer énormément de repeat business en capitalisant sur leur communauté. Les clients s’identifient aux valeurs de la marque et en deviennent les meilleurs ambassadeurs. Plus besoin finalement de code promos ou de campagnes d’acquisition, tout le budget ainsi économisé peut être consacré à l’enrichissement du produit et à l’expérience client. Mieux vaut chouchouter ses clients que Google, non ?
Modèle du genre, on a tous en tête le programme de parrainage Boursorama Banque qui représente une part importante du flux acquisition de la marque et a le mérite de faire 3 heureux : le filleul, le parrain et la marque. Et ça même Brad Pitt est resté sans voix
Plus proche de nous, intéressons-nous aussi à l’essor des chaînes Youtube tenues par des client(e)s fidèles de magasins discounters types Action, Noz, Stokomani se filmant en train de faire l’inventaire de leurs achats. Autant de publicité gratuite pour les marques. Et si pour gagner de nouveaux clients, il n’y avait pas mieux que de prendre soin de ses fidèles ?