- Comment se rémunèrent les principaux fournisseurs d'ID partagés ? Qui paie - les adtech ou les éditeurs - et comment ? C'est pour répondre à ces questions que vous vous posez peut-être que Minted s'est penché sur le modèle économique des principaux acteurs du secteur : ID 5, First ID, Utiq, EUID, Ramp ID et Panorama ID.
Possible cheville ouvrière de l’après cookie tiers, l’ID partagé commence, peu à peu, à faire son trou dans l’univers de la publicité programmatique. Si le pionnier du secteur, ID 5, a pu longtemps avoir le sentiment de prêcher dans le désert, les choses ont changé, à mesure que la deadline donnée par Chrome pour la disparition des cookies tiers, le début du troisième trimestre 2024, approchait. Et que deux acteurs aux ambitions fortes, l’européen Utiq et le français First ID, se sont, à leur tour, lancés en 2022 et 2023. La récente cartographie du cookieless, réalisée par NPA Conseil, témoigne bien de ce regain de vitalité.
Dans cette quête du reach que chacun se livre à distance, il est évidemment une variable importante : le modèle économique choisi. Un point que Minted a voulu éclaircir, en échangeant directement avec les acteurs concernés. Pour un constat implacable, c’est qu’il y a quasiment autant de modèles économiques que d’ID partagés. Tour d’horizon des pratiques commerciales d’ID 5, First ID, Utiq, EUID, Ramp ID et Panorama ID.
Celui qui fait surtout payer les adtech : ID5
Pionnier des ID partagés - il a lancé le sien dès 2019 - ID5 a opté, dès ses débuts, pour un modèle freemium. “Vous ne payez pas si votre rôle se résume à passer cet identifiant dans la chaîne de valeur programmatique. Mais vous devez, en revanche, payer si vous désirez utiliser cet identifiant à votre bénéfice”, résume son fondateur, Mathieu Roche.
Historiquement, ce sont les adtech, SSP et DSP - citons The Trade Desk, Adform, ActiveAgent ou Deepintent - qui s’acquittent d’une licence mensuelle pour utiliser l’identifiant. Licence mensuelle de quelques milliers d’euros par mois, dont le montant varie en fonction de la taille et des géographies dans lesquelles sont présents les acteurs concernés.
L’éditeur, qui fait office de simple passe-plat, ne paie rien. Un modèle économique qui a permis à ID5 de devenir incontournable, puisque sa solution annonce être intégrée chez près de 120 000 éditeurs dans le monde et présente dans près de 60% des bid requests. Leader incontesté de son secteur.
“L’éditeur ne récupère, dans cette configuration, absolument aucune data, précise Paul Ripart, directeur commercial programmatique de Prisma Media Solutions. Il ne peut, par exemple, pas remonter l’identifiant dans sa DMP pour l’intégrer à un segment d’audience ou l’enrichir.” Il se donne, en revanche, les moyens d’optimiser les CPM obtenus en open auction puisque les adtech qui auront, elles, payé le fournisseur d’identifiant, pourront le décrypter et seront donc susceptibles de formuler une enchère plus importante.
“95% des éditeurs sont dans cette logique de gratuité”, explique Paul Ripart. Mais les choses changent petit à petit, selon Mathieu Roche. Ils sont désormais un certain nombre, côté éditeurs, à décider de payer pour créer des segments d’audience communs à plusieurs de leurs sites ou s’appuyer sur ID5 pour faire de l’extension d’audience. Citons le Daily Mail au Royaume-Uni alors que Prisma Media y réfléchit en France.
“L’ID partagé se rapproche, dans cette configuration, de ce que vous pouviez faire avec un cookie tiers”, estime Paul Ripart. Vous pouvez l’enrichir, qu’il s’agisse de savoir si c’est un homme ou une femme (si vous avez un login utilisateur associé) ou de le lier des à des habitudes de navigations (en analysant les pages consultées). “Vous pouvez aussi le mettre à disposition d’acheteurs programmatiques, via un deal ID”, ajoute Paul Ripart. Tout comme un cookie tiers donc.
Celui qui fait payer publishers et annonceurs (après voir pas mal itéré) : First ID
Révélé au grand public par Minted en août 2022, le projet de cookie 1st party de First ID a, lui, pas mal itéré sur la question de sa rémunération. Alors qu’ils s’étaient lancés avec l’intention d’offrir un service gratuit pour les éditeurs de l’Open Web (dont ils sont issus), David Folgueira et Gaël Demessant, se sont vite heurtés à la difficulté de faire payer le buy-side.
“On n’a pas vraiment senti les DSP prêts à payer pour une solution de ce genre”, témoigne, laconique, Gaël Demessant. Qu’à cela ne tienne le duo a alors eu l’idée de lancer son propre bidder et de proposer aux éditeurs le deal suivant : intégrer First ID au sein de leur wrapper header bidding et permettre à ce dernier de se rémunérer, comme le ferait un SSP, avec une commission sur chaque impression achetée par ce biais.
Un positionnement qui n’a pas vraiment plu à certains SSP du marché et qui a aussi contraint First ID à aller sur un terrain qu’il maîtrisait moins : la négociation de deals avec les agences médias. “Ce n’est pas ce que nous faisons le mieux et ce n’est pas même ce qui nous anime le plus”, explique un Gaël Demessant qui a eu peur de devenir une sous-régie.
D’où un récent changement de stratégie, avec la mise en place d’une licence mensuelle de quelques milliers d’euros par mois, proposée aux éditeurs et aux annonceurs. “C’est un modèle économique qui a l’avantage d’être plus sécurisant, puisque vous êtes dans une logique de revenus mensuels réguliers (MRR) et que vous n’avez pas à investir dans une force commerciale qui doit aller voir les agences médias”, observe Gaël Demessant.
C’est aussi un modèle économique qui s’affranchit du média. Les revenus de First ID ne sont, dans ces conditions là, pas dépendants du business qu’il apporte, comme c’était le cas dans le positionnement SSP ou ça aurait pu l’être s’il avait décidé de prélever un CPM fee. Et, vu le peu de budgets consacrés aux POC actuellement (voir l’article de Minted à ce sujet), c’est plutôt une bonne nouvelle, reconnaît Gaël Demessant.
Surtout que cela permet à First ID de valoriser toute une série de cas d’usage qui ne sont pas directement liés aux médias. “Nous en avons une vingtaine, qu’il s’agisse de récolter la data liée au SSO, de partager le consentement entre plusieurs sites d’un même éditeur ou d’optimiser les analytics”, révèle Gaël Demessant.
Contrairement à ID5, qui facture principalement des adtech, First ID se concentre lui sur les publishers et les annonceurs. La solution est en effet gratuite pour les adtech, même celles qui l’utilisent pour faire des curated marketplaces (comme c’est le cas d’Equativ). First ID revendique aujourd’hui une petite trentaine d’utilisateurs, annonceurs et publishers. La solution vient d’officialiser son premier client international, l’espagnol Prisa.
Celui qui deux modèles économiques et innove en allant sur du CPM fee : Utiq
Lancée en juin 2023, l’alliance européenne des telcos (dont Orange, Bouygues Telecom et SFR en France), Utiq, a longtemps entretenu le flou quant à son modèle économique, arguant que sa priorité était de tester la bonne circulation de son identifiant dans la chaîne de valeur programmatique et que la question de l’argent viendrait dans un second temps.
Flou qui n’a pas été sans inquiéter certains éditeurs, qui redoutaient que les telcos soient aussi gourmands avec leur ID publicitaire qu’ils ne l’ont été sur le sujet de la TV segmentée. Fin du suspens. Utiq n’a pas un… mais deux modèles économiques, puisqu’il ne vend pas son “martech pass” de la même manière que son “adtech pass”.
Le premier identifiant est exclusivement réservé aux annonceurs et aux éditeurs. Il leur permet de faire de la personnalisation de contenus, de la segmentation d’audience ou de la mesure d’audience entre les différents sites de leur portefeuille. Il est vendu, comme ID5 ou First ID, selon une logique de licence mensuelle.
“Nous proposons une première période de gratuité, pour permettre aux éditeurs et aux annonceurs de valider le ROI et continuer à proposer des tarifs intéressants jusqu’à la fin de la première année”, précise Beatrice Lhopitallier, chief revenu officer d’Utiq en France. Ce martech pass n’a pas, contrairement à l’adtech pass, vocation à être partagé à l’extérieur.
Pour éviter tout risque de data leakage, l’adtech pass a une durée de vie très limitée puisqu’il expire à la fin de chaque session d’un utilisateur. De sorte que l’acheteur devra solliciter les telcos à chaque nouvelle session d’un utilisateur pour connaître l’identifiant publicitaire qui lui est associé. Et payer à chaque fois une commission dont Les Echos nous apprend qu’elle s’élève à 10% du prix de l’impression publicitaire concernée.
On parle, dans le langage adtech, de “CPM fee”. Un modèle économique popularisé par les mesureurs et apporteurs de data. Mais jusque-là délaissé par les spécialistes de l’identification. Le client d’Utiq dans cette configuration ? Les DSP, qui font de l’achat en open auction ou deal ID, et les SSP, qui peuvent intégrer Utiq à leur curated marketplace.
“Plus l’Open Web utilisera l’ID Utiq, plus nous serons rémunérés”, résume Beatrice Lhopitallier. Et plus Utiq contribuera à créer de la valeur, c’est-à-dire une hausse des CPM, plus il en tirera des bénéfices financiers. Un modèle économique qui a les avantages de ses inconvénients.
Pas de risque financier pour l’adtech client d’Utiq, puisqu’elle ne paiera rien (ou peu) si l’ID ne décolle pas (contrairement au modèle de la licence mensuelle qui lui impose une charge fixe). Mais qui peut vite voir son ardoise gonfler, à mesure que les campagnes qui utilisent l’ID augmenteront. Une ardoise qui pourra vite dépasser les quelques milliers d’euros mensuels du modèle de licence.
D’où l’importance, pour Utiq, de très vite convaincre les annonceurs d’utiliser son identifiant et faire ainsi bouger, par effet domino, agences médias et DSP.
Ces derniers peuvent-ils accepter de payer pour Utiq alors qu’ils ont refusé de le faire pour First ID ? Oui, à en croire Julien Delhommeau, le COO d’Utiq en France. “Les DSP sont des acteurs globaux qui peuvent avoir du mal à faire bouger leur roadmap pour des acteurs locaux”, explique celui qui sait de quoi il parle, puisqu’il a contribué à intégrer une dizaine d’ID au sein de l’infrastructure de Xandr, son ancien employeur.
La présence d’Utiq sur 5 marchés, “et bientôt d’autres”, précise Béatrice Lhopitallier, lui permet de faire bouger plus facilement les discussions. Ce que First ID, pour l’instant uniquement présent en France, peut plus difficilement faire. Pour rappel, Utiq revendique aujourd’hui un reach de près de 9 millions d’utilisateurs. La solution est utilisée par 55 éditeurs, dont 11 en France. Parmi lesquels, les sites d'Altice Medias Ads&Connect, Prisma Media Solution et Reworld Media Connecte.
Reste une interrogation : quelles sont les conséquences de ce modèle économique pour les annonceurs ? “Cette notion de frais pour utilisation d’un ID est quelque chose de nouveau pour les DSP”, reconnaît Julien Delhommeau. Et il ne fait pas de doute que ces derniers ne tarderont pas à répercuter la somme prélevée par les fournisseurs d’ID auprès de leurs clients.
On peut imaginer voir apparaître, à terme, des ID marketplaces au sein de chaque DSP. L’acheteur pourra choisir l’ID qui souhaite et le DSP se chargera de lui refacturer les frais associés. C’est un peu ce que fait déjà Adform avec son ID Fusion (sauf que vous payez pour avoir accès à tous les ID connectés, sans granularité). Julien Delhommeau confirme discuter du sujet avec les DSP “mais aussi des SSP qui ont des fonctionnalités de curated marketplace.”
Ceux qui sont gratuits (en apparence) : EUID, Ramp ID et Panorama ID
Ils sont plusieurs à avoir fait le choix de la gratuité. Citons les deux historiques, Ramp ID et Panorama ID, qui sont fournis gratuitement par Liveramp et Lotame mais dont l’utilisation impose que vous ayez recours aux outils (payants eux) de ces deux fournisseurs de solutions de DMP, data clean room et CRM onboarding.
EUID est lui aussi gratuit. Il s’agit, pour rappel, de la déclinaison européenne de Unified ID 2.0, une initiative lancée par The Trade Desk outre Atlantique, pour fédérer l’industrie (Xandr, Liveramp, Magnite ou Index Exchange…) autour d’un identifiant universel et open source. L’identifiant est, côté buyside, uniquement accessible depuis le DSP de Trade Desk dont l’utilisation est, bien évidemment, payante.
On peut donc voir Ramp ID, Panorama ID et EUID comme des produits d’appels gratuits, qui permettent à leur fournisseur de dégager du chiffre d’affaires indirectement.