ID publicitaires : beaucoup de bruit et d'acteurs, peu de résultats


  • Le nombre de solutions d'ID publicitaires disponibles a doublé en l'espace d'un an, selon une étude exclusive réalisée par Pubstack. 
  • Mais les résultats sont plus que discutables, alors que les leaders du secteur ne dépassent pas les 30% de part de voix du trafic analysé et que les tests font, le plus souvent, chou blanc. On vous explique pourquoi.

“Il y a un gouffre entre la part de voix des ID, qu’ils soient universels ou partagés, appelez-les comme vous voulez, et la réalité du business que ces solutions nous apportent.” Ce patron de régie, qui préfère rester anonyme, n’en démordait pas lors de notre dernier échange. Alors que l’on parle souvent de l’ID comme d’un substitut tout trouvé à cette clé de voûte du marché digital qu’est (encore) le cookie tiers, Minted et bien d’autres de ses confrères auraient un peu trop tendance à embellir la mariée. Et d’enfoncer le clou : “Leurs lacunes sont trop nombreuses pour espérer en faire le pilier de notre stratégie de monétisation de demain.”

Il se pourrait bien que notre Cassandre publicitaire ait raison, si l’on s’en réfère à une étude réalisée en exclusivité pour Minted par Pubstack, plateforme spécialisée dans l’optimisation des revenus des éditeurs. En analysant près de 2,6 milliards d’enchères effectuées au cours de ces deux dernières années, la plateforme a pu réaliser un bon état des lieux du marché français. Le premier constat, c’est qu’effectivement les solutions d'identifications ont essaimé. On comptait 9 types de solutions installées chez l’ensemble des clients de Pubstack (130 éditeurs pour 25 000 sites) en janvier 2021. Elles étaient au nombre de 19 en janvier 2022. “70% de nos clients ont augmenté le nombre de fournisseurs d'identité qu'ils appellent chez eux et parmi eux, 20% n'avaient pas de fournisseur d'identité en janvier 2021”, constate Lucas De Sola, data analyst chez Pubstack. 

De 9 à 19 solutions installées chez l'ensemble des clients Pubstack en l'espace d'un an

Les éditeurs ont donc joué le jeu, en installant les principaux acteurs du marché. Reste une question : est-ce que ça valait le coup ? Pour y répondre, regardons d’abord la part de voix de chaque solution d’ID, c'est-à-dire le pourcentage d’enchères (bid requests) au sein desquelles elle est présente. Les résultats sont, sur ce point, plus que mitigés. Seules trois solutions ont un taux de présence dans les bid requests supérieur à 20% : ID5, Criteo ID et Shared ID. Et seul ID5 est, dans ce trio, un ID universel, c'est-à-dire qu’il a vocation à être partagé au plus grand nombre. Criteo ID est un identifiant propre à Criteo (acheté uniquement par son DSP) alors que Shared ID (anciennement baptisé Publisher Common ID) est accessible à tous mais c’est un ID 1st party, c’est à dire qu’il est propre à chaque éditeur. Il ne permet donc pas de faire de tracking cross-sites. 

Que retrouve-t-on dans le reste du top 10? Un ID lié à un acheteur (Trade Desk ID) qui a une part de voix de près de 8% et d’autres, qui sont tous en dessous des 4% : deux ID génériques mais propres à chaque éditeur (PPID, Amx ID), un ID custom lié à un seul éditeur client de Pubstack (YL ID), et trois ID partagés à la part de voix dérisoire (Quantcast ID, Net ID et ID Liveramp). 

Part de voix des solutions d'ID publicitaires dans les bid requests analysées par Pubstack

Comment expliquer de tels résultats ? D’abord, en rappelant que cette part de voix est dépendante de deux choses : la capacité de la solution à “reconnaître” l’internaute, et donc lui associer un identifiant, et sa bonne interopérabilité avec les acteurs de la demande. Sur le premier point, les solutions déterministes, qui ont besoin d’un identifiant existant, le plus souvent l’email de l’utilisateur, ne sont pas logées à la même enseigne que les solutions probabilistes. Elles sont très précises mais ont peu de reach (le trafic logué des éditeurs dépasse rarement les 10-20% hors chaînes de TV, retailers et telcos). D’où la difficulté de l’ID Liveramp, malgré son très bon footprint côté annonceurs, à dépasser 1% de part de voix. Alors qu’ID 5, qui couple approche déterministe (quand il a accès à la donnée loguée) et probabiliste (quand ce n’est pas le cas), n’a pas ce problème. 

Sur le second point, il convient de rappeler, comme le fait le fondateur d’ID 5, Mathieu Roche, que “ce n’est pas parce qu’un ID est installé dans la page des éditeurs qu’il est forcément transmis via l’enchère.” La multiplication des identifiants (on en compte aujourd’hui une centaine dans le monde) a en effet conduit les acheteurs à faire des choix. “Ils ne privilégient plus que ceux qu’ils estiment utiles pour leur business”, poursuit Mathieu Roche. Pas vraiment étonnant dans la mesure où l’intégration des solutions d’identification impose aux DSP, dont les algos d’enchères sont historiquement adossés aux cookies tiers et à leur propre ID propriétaire, de repenser toute leur architecture.

“C’est un travail d’intégration qui est beaucoup plus lourd que celui qu’opère les SSP qui se contentent, eux, de transmettre les identifiants sans les utiliser”, précise Julien Delhommeau, staff system architect chez Xandr. Il faut être capable de mettre en place un système de clé qui permet de décoder chaque ID, de revoir son infrastructure pour gérer les segments et le frequency capping entre plusieurs ID. C’est titanesque au démarrage et ça a évidemment un coût au quotidien. Raison pour laquelle le DSP de Xandr n’utilise, pour l’instant, que trois ID. “On a priorisé les ID basés sur système de login, justifie Julien Delhommeau.” Qui sont-ils ? Ramp ID, Net ID et UID 2. 

EUID arrive d'ici le premier trimestre 2023

Vous aurez sans doute remarqué que ce dernier ne figure pas dans le classement partagé par Pubstack. Pour cause, l’initiative, qui a été lancée par The Trade Desk afin de fédérer l'industrie autour d'une solution d’identification, a longtemps été à l’arrêt en Europe, où elle se doit se décliner sous la forme de EUID. Aucun organisme n’acceptant en effet d’endosser le rôle de responsable de traitement imposé par le RGPD. Une responsabilité dont l’IAB Tech Lab ne veut pas et qui doit échoir à un tiers. Les choses se décantent néanmoins puisque, selon nos informations, The Trade Desk a finalement accepté d’endosser cette casquette. Des discussions ont déjà été entamées avec des annonceurs français dont Renault. Les premiers tests sont espérés d'ici le premier trimestre 2023.

Xandr n’attend évidemment pas l’arrivée de EUID pour avancer (c’est d’autant plus sage que EUID est un identifiant déterministe qui aura sans doute les mêmes problèmes de reach que l’ID de Liveramp). Une dizaine de nouveaux identifiants devraient être ajoutés prochainement au SSP de Xandr. L’horizon est plus flou pour la partie DSP. 

A l’heure des bilans, bien chanceux qui, côté éditeur, est capable de tirer un quelconque enseignement en matière d’ID. “On n’a, pour l’instant, pas vraiment de test qui fonctionne”, commente Cyril Genty. La régie de Prisma Media a pourtant installé plusieurs solutions - ID5, ID+ de Zeotap, Liveramp - mais sans que cela soit probant.” Même son de cloche chez Thomas Masereel, yield and programmatic manager chez Media.figaro, qui a intégré la solution d’ID 5 mais déplore “ne pas avoir trouvé l’annonceur prêt à faire un test avec ce dernier”. Ou encore de ce patron de régie qui a installé ID+ de Zeotap il y a un moment mais n’a jamais réussi à finir un seul test.

“Il y a aujourd’hui trop peu d’acheteurs qui enchérissent dessus”, regrette Thomas Masereel. Plusieurs explications à ce manque d’engouement du buy-side. D’abord, le fait que tous les DSP n’ont pas fait les branchements nécessaires pour les raisons évoquées plus haut. Pas compatible avec Xandr, ID5, le leader de notre classement, ne l’est pas plus avec DV 360, puisque le DSP de Google ne supporte pas les ID partagés et qu’à moins d’une scission entre Google et son activité publicitaire, il ne le fera sans doute jamais. 

Difficile pour la solution d’identification, qui ne peut pas s’intégrer aux deux DSP les plus puissants du marché français (près de 90% de PDM à eux deux), d’apporter du business aux éditeurs qui lui font confiance. C’est d’autant plus vrai que même ceux qui le peuvent - Adform, Mediamath ou Amobee dans le cas d’ID 5 - ne joignent pas toujours les actes à la parole. “La réalité, c’est que quand un DSP a le choix entre un cookie tiers et un ID, il choisit le cookie tiers”, rappelle Abderrahmane Yacoubi, head of adtech chez Altice Media.

 "Quand un DSP a le choix entre un cookie tiers et un ID, il choisit le cookie tiers”

“Oui, mais les DSP ont de moins en moins la possibilité de faire ce choix, puisque les cookies tiers ont déjà disparu de Safari et de Firefox, qui comptent à eux deux pour 40 à 50% du trafic des éditeurs”, rappelle Mathieu Roche. C’est d’ailleurs aujourd’hui le premier cas d’usage mis en avant par ID 5 : sa capacité à redonner la vue au marché publicitaire sur ces deux environnements. ID5, dont 60% du business est désormais réalisé outre-Atlantique, a pu mettre en place des case studies avec deux DSP, Mediamath et Amobee (qui sont néanmoins très peu présents sur le marché français). “IBM a pu toucher 1,5 million d’utilisateurs de Safari pour ses campagnes de retargeting via Mediamath, avec des CPM plus bas de 21% par rapport à Chrome, chiffre Mathieu Roche. Et le site Insticator a vu son fill rate augmenter de 58% et ses CPM de vente de 10% lorsqu'un ID ID5 était passé dans les bid requests.”

Mathieu Roche assure que dès lors qu’il a été en mesure d’apporter les preuves de son efficacité, les dernières réserves du marché se sont levées. C’est peut-être vrai outre-Atlantique, cela s’est doute un peu moins en France où les trois éditeurs interrogés, Altice Media, Le Figaro et Prisma Media, sont quand même sacrément sceptiques. “Mis à part Criteo, qui maîtrise l’ensemble de la chaîne, aucune solution n’est capable de justifier d’un incrément de revenus grâce à ses ID”, assure ainsi Cyril Genty. Prebid analytics commence à s’outiller en ce sens… mais on n'y est pas encore.

C’est pourtant une vraie demande des éditeurs. “Je peux citer au moins 15 éditeurs qui nous ont approchés pour mettre en place un AB test leur permettant d’isoler l’impact d’une solution d’identité sur leur RPM, revenu pour mille impressions”, assure Loïc Sfiligoi. Pubstack y est arrivé… une fois et c’était pour le compte de Webedia (sur quatre de ses sites et sur une période de trois semaines). “On avait pu voir que le recours à ID 5 permettait d’augmenter d’au moins 5% les revenus pour 1 000 bids, parce que les acheteurs enchérissaient sur des requêtes qu’ils laissaient jusque-là de côté”, précise Loïc Sfiligoi. Pubstack, qui estime par ailleurs qu’il y avait sans doute certains biais dans ce test, n’a jamais réussi à reproduire l’expérience. “C’est AB tests sont très compliqués à opérer : il y a énormément de dimensions à analyser - le navigateur, le device, le SSP, le DSP - et une granularité compliquée à atteindre puisqu’on le fait par URL ad unit et qu’il faudrait le faire au niveau de la session utilisateur pour éviter tout biais”, pointe Loïc Sfiligoi.

On comprend mieux le désarroi des publishers français. Désarroi d’autant plus légitime quand on regarde le coût opérationnel qui est associé à toutes ces expérimentations. Si les solutions sont gratuites pour les éditeurs (SSP et DSP s’acquittent de la facture), la débauche d’énergie et de ressources est bien réelle. “Il faut installer ça, vérifier que ça circule bien dans les tuyaux, trouver des partenaires de chaque côté de la chaîne (SSP, agences média, annonceurs)...”, énumère Loïc Sfiligoi. Une mission particulièrement chronophage lorsqu’il s’agit d’un ID déterministe, comme c’est le cas de celui de Liveramp. "Ça fait 18 mois qu’on est sur l’intégration et ce n’est toujours pas terminé”, reconnaît Thomas Masereel. Une charge mentale… mais aussi une charge légale. “On se porte garant au niveau de la Cnil des providers d’ID que l’on partage”, rappelle  Abderrahmane Yacoubi. Et à défaut de source de revenu, ces derniers peuvent vite devenir des sources d’ennuis juridiques. 

“L’ID est une fable, racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur.” On serait presque tenté d’invoquer McBeth au moment de clore cette enquête sur les ID. Abderrahmane Yacoubi semble valider l’analogie lorsqu’il rappelle que “cette multiplication des solutions est une cacophonie assourdissante pour les éditeurs qui voient les prestataires se multiplier et les résultats rester nuls.” Loïc Sfiligoi dénonce, lui, ce qui s’apparente de plus en plus à un “business de la peur”. “Cette frénésie me fait beaucoup penser à l’arrivée du header bidding, il y a quelques années, observe l’expert. Une époque où il ne passait pas une semaine sans que l’on encourage nos éditeurs à ajouter un nouveau partenaire.” Sauf que ces partenaires permettaient d'apporter du business eux...

En matière d’ID, le dernier partenaire en date, c’est First ID, un identifiant adossé au cookie 1st party de chaque éditeur mais qui, via un système de redirection, réussit à créer des passerelles entre plusieurs sites. Webedia et Unify ont annoncé son intégration, Xandr et Le Figaro y réfléchissent. “La promesse est belle sur le papier”, estime Thomas Masereel. Abderrahmane Yacoubi est lui plus pragmatique. L’expert de chez Altice Media attend que la marée remonte, pour voir “les deux ou trois solutions qui fonctionnent correctement et les installer”.

La méthodologie 

L'analyse porte sur près de 2,6 milliards d’enchères effectuées au cours de ces deux dernières années, auprès de 130 éditeurs et 25 000 sites. Il convient de préciser que l'analyse ne cible que les ID présents dans les modules de l’outil Prebid. Pubstack n’accède pas aux infos présentes au sein de Google Ad Manager (adserver de la plupart des éditeurs français) qui permet aux éditeurs de passer un ID 1st party, le PPID, et un ID partagé, via la fonctionnalité Secure Signal (anciennement encrypted signals), qui est encore en beta.