Antoine Ripoche (Azerion) : “La fin des cookies tiers, c’est un peu comme le sujet de l’impact carbone. Tant qu’il n’y a pas de menace réelle, comme une amende, ou, a minima, une incentive, le marché a dû mal à avancer”


  • Les acteurs de la pub digitale doivent oublier les cookies tiers et, surtout, ils doivent se rapprocher, s’ils veulent espérer peser dans un marché ultra-dominé par les GAFA, nous explique le GM France d’Azerion, Antoine Ripoche. Entretien salutaire.

Minted. Vous nous disiez, il y a deux ans, alors que Google repoussait à nouveau la disparition des cookies tiers qu’il ne fallait “pas laisser Google dicter le tempo et passer dès que possible au cookie3dless”. Un discours qui semble plus que jamais d’actualité...

Antoine Ripoche. Bien sûr, le train est lancé. Les cookies tiers ont déjà disparu de certains environnements comme Safari et Firefox et ils vont disparaître de Chrome, que ce soit à l’initiative de Google ou des internautes. Aujourd’hui, près de 60% des inventaires Web sont cookie3dless.

Et pourtant les choses n’ont pas bougé depuis cette interview que vous nous aviez donnée…

La réalité, c’est que, quand Google a annoncé la fin des cookies tiers en 2020, avec une échéance de deux ans, tout le marché s’est mis en ébullition. Les agences médias, comme les adtech et les régies, ont multiplié les tests. Et la recherche d’une alternative aux cookies tiers est vite devenue une priorité. 

Le problème, c’est que toutes ces belles intentions ont volé en éclat lorsque Google a repoussé l’échéance une première fois, puis une deuxième… et une troisième. Le marché n’y croyait plus vraiment, préférant attendre une deadline ferme et, dans le laps de temps, se cantonnant à quelques rares tests ici et là.

C’est un peu comme le sujet de l’impact carbone des campagnes publicitaires, tant qu’il n’y a pas de menace réelle, comme une amende, ou, a minima, une incentive, le marché a dû mal à avancer.

C’est ce qui explique le relatif désintérêt du marché vis à vis de l’annonce de Google ?

Je pense, en effet, qu’une grande partie du secteur était persuadé que Google n’allait pas tenir cette nouvelle deadline. 

Si on ajoute à cela le fait que la plupart des agences médias ont des problématiques de bande passante et qu’il n’existe pas une technologie cookie3dless qui gère toutes leurs problématiques de A à Z, on comprend mieux l’inertie du marché.

Un marché qui, dites-vous, gagnerait par ailleurs à se concentrer un peu plus. Pourquoi ? 

L’écosystème publicitaire est beaucoup trop morcelé, cela vaut plus particulièrement pour l’Open Web. C’est compliqué, dans ces conditions, de rivaliser avec ces géants que sont Meta, Google ou Amazon. L’un des clés du succès dans un écosystème comme le nôtre, c’est la taille critique.

Notre ambition, c’est de proposer aux agences médias et aux annonceurs un dispositif intégré de A à Z. Un dispositif qui doit être, par ailleurs, innovant et sur-mesure. L’objectif, c’est d’être autant capable de répondre au brief de cet annonceur qui veut dépenser 1 500 euros en drive-to-store sur un supermarché de Bordeaux qu’à celui d’un autre qui veut dépenser 100 fois plus dans une campagne de notoriété.

Comment comptez-vous y arriver ?

Nous avons racheté 70 entreprises en 9 ans et ne comptons pas nous arrêter là. 

Azerion, c’est un écosystème ouvert qui a vocation à grandir, pour devenir un géant publicitaire européen, que ce soit via des rachats ou des partenariats parce que nous avons une conviction : ensemble, on est plus fort.

Même avec des concurrents ?

Plus que des concurrents, nous avons surtout des partenaires avec lesquels nous voulons travailler l'interopérabilité. Qu’ils s’appellent Dailymotion, Equativ ou même Xandr. 

Xandr, c’est quand même un concurrent direct !

Sur certains aspects oui. Mais nous sommes aussi son fournisseur et client puisque Xandr achète de l’inventaire publicitaire chez Azerion via son DSP et lui en vend via son SSP. 

Quels sont les obstacles à cette concentration ?

Il y a ceux qui veulent garder une maîtrise complète de leurs canaux de vente, pour éviter de multiplier les chemins d’accès à leur inventaire. Ce qui n’est pas sans occasionner, côté acheteurs, des problèmes de maîtrise du reach. 

Il y a ceux qui ont peur d’être noyés dans un écosystème et d’être, in fine, mal représentés. Est-ce que je ne vais pas me faire happer par un écosystème dont je vais avoir toutes les peines du monde à sortir ? Autant de craintes qui sont, pour partie, légitimes. 

Comment les rassurer ?

En leur assurant qu’Azerion est le garant d’un écosystème ouvert et transparent. Et que ça  fait toute la différence avec certains grands réseaux publicitaires qui ont pu faire mauvaise presse au secteur.  Et en rappelant aux éditeurs que plus ils nous rejoignent, plus ils pourront travailler ensemble. Plus on les aide, plus on est fort tous ensemble.

Quel discours tiendrez-vous aux autres adtech lorsqu’il s’agira de nouer des alliances ?

Il s’agit simplement de leur rappeler que c’est compliqué de réussir, sur le long terme, dans un marché aussi concurrentiel que l’adtech, lorsqu’on reste seul dans son coin. Beaucoup d’adtech ont du mal à dépasser le plafond de verre des 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en France. 

"Beaucoup d’adtech ont du mal à dépasser le plafond de verre des 10 millions d’euros de chiffre d’affaires en France"

Le problème, c’est qu’avec ce montant, elles se cantonnent au ventre mou. Et c’est compliqué, dans ces conditions, d’avoir la masse critique nécessaire au financement de son développement commercial, marketing et R&D. Tout ce qui est nécessaire pour rester visible auprès des acheteurs médias.

C’est-à-dire ?

Il faut bien comprendre que les agences médias et les annonceurs n’ont pas des ressources illimitées. C’est même le contraire puisqu’on voit que les traders deviennent denrées rares. Dans ces conditions, ils sont nombreux à rationaliser le nombre de leurs partenaires parce que c’est mécaniquement impossible de maintenir le niveau d’expertise nécessaire à l’utilisation d’un DSP, par exemple, quand vous devez en opérer une dizaine. 

Pensez-vous réellement qu’Azerion - 513 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023 - puis rivaliser avec des géants comme Meta et Google, dont les revenus publicitaires se chiffrent en dizaines de milliards d’euros ?

Bien sûr que les ordres de grandeur ne sont pas les mêmes. Mais nous avons quelques arguments en notre faveur. A commencer par la dimension servicielle ! Azerion, ce sont des équipes qui sont basées à Paris et qui sont joignables, par mail ou par téléphone, pour répondre aux interrogations des clients. 

"Nous offrons beaucoup plus de capacités de support et de personnalisation produit que les géants américains"

Ce n’est tout de même pas la même chose que ces géants américains qui n’ont, la plupart du temps, pas de support en France et vous contraignent à ouvrir un ticket client dans le système d’information, sans garantie de réponses. L’annonce de Google sur les cookies tiers, qui a pris de court tout le marché, à commencer par les clients de l’Américain, en est une bonne illustration. 

J’ajouterais que nous sommes capables d’ajuster certaines fonctionnalités de notre plateforme aux besoins de nos clients, qu’il s’agisse des éditeurs et des agences médias. C’est quelque chose qu’elles pourront difficilement obtenir chez nos concurrents américains qui ont des roadmaps produit globales et en dévient rarement.

OK mais concrètement, comment négocier, comme le font Google et Meta, des accords cadres globaux avec les annonceurs et les agences médias. C’est ça le vrai “game changer”...

Nous n’y sommes pas encore en tant qu’Azerion mais c’est tout l’enjeu. Plus on sera gros, mieux on pourra représenter les éditeurs à la table des discussions.

Vous avez annoncé, cet été, l’acquisition de la technologie de search intelligence de Captify en France et en Italie. Pourquoi ?

Comme pour chacune de nos acquisitions, l’idée, c’est de mettre la main sur une technologie ou un business complémentaire de notre offre existante.

C’est, par exemple, être capable d’irriguer la donnée search collectée par Captity dans les canaux DOOH que nous activons. Être capable de savoir qu’à tel endroit géographique il y a une surpondération de gens qui veulent acheter une climatisation en été, par exemple. Cela permet de scénariser des activations omnicanales, en commençant par le DOOH, puis le mobile et la CTV.