Exclu : The Trade Desk coupe tout l’inventaire publicitaire de Reworld Media… et fait grincer quelques dents


  • Ça chauffe entre le DSP américain, The Trade Desk, et l’un des plus grands groupes médias en France, Reworld Media. Les équipes du premier ont décidé de couper tout accès à l’inventaire programmatique du second, soit une cinquantaine de sites et pas des moindres (Marmiton, Grazia, Auto Plus, Doctissimo…).

  • Une décision qui fait grincer quelques dents. Parce qu’elle n’a pas forcément été communiquée à toutes les parties prenantes et qu’elle pose question d’un dépassement de fonctions par le DSP.

[Mise à jour du 14 septembre 2023 à 17h48] The Trade Desk va rouvrir l'accès aux 10 plus gros sites de Reworld Media à partir du 15 septembre. "Nous avons pu rencontrer les équipes de The Trade Desk dans l'après-midi", témoigne Romain Colosimo, directeur général adjoint de la régie du groupe média. Le DSP américain a reconnu une défaillance, notamment liée à un problème de sous-effectifs durant la période estivale, nous explique-t-il.

L’inventaire publicitaire de Reworld Media n’est plus accessible aux utilisateurs de The Trade Desk. La faute à un durcissement des guidelines du DSP américain qui a décidé, cet été, de faire la chasse aux sites qui abusent de la publicité. “On nous a expliqué que tout groupe média qui serait propriétaire d’un site avec un template publicitaire très optimisé serait coupé pour 100% de ses sites”, déplore Jérémy Parola, directeur des activités numériques de Reworld Media. 

Vous avez bien lu. Pas seulement le site coupable d’un abus d’affichage de publicités, mais aussi tous les autres. Ce qui, dans le cas de Reworld Media, dont deux sites ont été épinglés par les équipes de The Trade Desk, nous donne une cinquantaine de sites coupés pour un total de 33 millions de visiteurs uniques en juin 2023, selon Mediamétrie//Netratings. 

S’il relativise la portée du préjudice financier, au regard de la part de marché de The Trade Desk (5,2% des investissements médias programmatiques en 2022 selon Alliance Digitale), Jérémy Parola regrette l’intransigeance du DSP américain, qui ne veut pas entendre parler d’une approche différente d’un site à l’autre. “Nous leur avons proposé de retirer nos sites les plus vertueux de leur blocklist. Refus de leur part.”

Un refus que le dirigeant a d’autant plus de mal à comprendre qu’il n’est pas accompagné de beaucoup d’explications. “Nous leur avons également demandé un listing exhaustif des URL concernées, avec des explications ligne par ligne, pour arranger les choses”, poursuit un Jérémy Parola qui aimerait trouver une porte de sortie. Mais qui attend toujours la fameuse liste...

A noter que l’éviction se fait pour tous ses sites donc… mais aussi pour tous les modes d’achat. D’abord, l’open auction. Tous les chemins d’accès à l’inventaire de Reworld Media, qu’ils soient en direct avec The Trade Desk ou qu’ils transitent par d’autres SSP, sont coupés. Mais aussi le deal ID. Ce qui veut dire qu’une agence média qui voudrait dealer avec Reworld Media ne peut plus le faire depuis The Trade Desk.

C’est précisément ce qui s’est passé chez Havas Media qui, en observant qu’un deal ID noué avec la régie de Reworld Media ne se réalisait pas, a compris qu’il y avait un loup. “Nous avons pris contact avec The Trade Desk, lequel nous a confirmé que tous les sites du groupe étaient bloqués car une partie de ses inventaires avaient un ratio publicité / contenu trop élevé”, témoigne Florent Couton, head of business et marketing chez Havas Programmatic Hub (groupe Havas Media Network).

L’agence média, pourtant un des plus gros utilisateurs du DSP américain en France, n’avait tout simplement pas été informée de la coupure. Pas plus que 79, une agence média dont 10% des budgets vont à The Trade Desk. Le constat vaut également pour les quelques SSP que Minted a pu contacter et qui n’ont, eux non plus, pas été mis au courant d’une décision qui n’a évidemment pas été prise par l’équipe France de The Trade Desk. Une équipe qui est, à en croire certaines parties prenantes, un peu otages de la situation. 

“C’est une décision sur laquelle l’équipe française n’a pas du tout la main”, observe-t-on chez un SSP. En l’occurrence, c’est une équipe marketplace quality, basée à l’étranger, qui est à la manœuvre. Une équipe qui, de l’avis de Florent Couton, a manqué de subtilité “parce que Reworld Media, c’est tout de même des marques médias connues et reconnues de tous.” Citons Marmiton, Doctissimo, Auto Plus, Aufeminin, Grazia, Sciences et Vie… 

“Que l’inventaire de Reworld Media ne soit plus accessible depuis The Trade Desk peut poser problème à certains annonceurs automobile au regard de la puissance de frappe de Reworld Media sur ce secteur, avec ses sites Auto Plus, Auto Journal et Sports Auto”, prévient un observateur du marché. Rien n’empêchera évidemment ces annonceurs de passer par un autre DSP (DV 360, celui de Google notamment) pour y remédier. Ce qui fait dire à notre observateur que “The Trade Desk se tire une balle dans le pied en agissant de la sorte.”

“Est-ce le rôle d’un DSP de dire à ses clients où acheter ou non ?”

“Est-ce le rôle d’un DSP de dire à ses clients où acheter ou non ?”, s’interroge de son côté Jérémy Parola. Non, lui répond Florent Couton. “On attend d’un DSP qu’il mette en place les branchements vers nos partenaires technologiques, pas qu’il décide de ceux qu’il faut couper, sans même en informer les opérateurs.” “C’est plutôt à l’acheteur de prendre la main sur ce type d’initiative via ses propres blocklists”, abonde Camille Quiqueret, head of programmatic et social ads chez 79. C’est la raison d’être d’outils comme IAS, Moat, Adloox ou Double Verify qui sont d’ailleurs pour la plupart compatibles avec The Trade Desk. 

“Je comprends qu’un DSP comme The Trade Desk, qui s’est positionné comme le chevalier blanc du marché programmatique, essaie de se différencier de la sorte. Mais je pense qu’une frontière est franchie. C’est légitime de couper des sites frauduleux, ça l’est beaucoup moins de le faire pour des sites jugés non brand suitable”, analyse notre observateur anonyme. C’est d’autant plus juste que le sujet de la brand suitabily manque de standards, sur des items comme la pression publicitaire ou l’attention. “Chaque techno agit à sa main, ce qui, en l’absence de standards respectés par tous, rend cette opacité préjudiciable”, estime Florent Couton. 

The Trade Desk n'ayant pas répondu à notre sollicitation, il est difficile, à ce stade d'en savoir plus sur ses motivations. Une certitude, le durcissement du DSP amérocain s’explique en partie par la sortie d'un rapport de l’ANA qui a fait grand bruit outre-Atlantique. Le rapport, qui estime qu’une impression sur deux vendues en open auction programmatique est diffusée sur un site “Made for advertising”a mis en lumière la recrudescende de ces sites qui se sont calés sur les exigences de visibilité des acheteurs pour apparaître en bonne place dans les outils d'achat programmatique. 

Nous vous en avions parlé sur ce site, il y a un peu plus d’un an, vous partageant les estimations d’Edouard Brunet, directeur de la stratégie produits et plateformes de Publicis Media, selon lesquelles ce sont 5 à 6 milliards d’impressions publicitaires proposées en open auction chaque mois en France qui sont bonnes à jeter, car diffusée au sein de sites “arbitrageurs”, dont la grande majorité du trafic est obtenue de manière payante, via des réseaux comme Outbrain, Taboola ou Yahoo, et qui n’ont pas d’autre choix, pour rentabiliser cet investissement, que de bourrer leurs pages de publicités en tous genres.