- Minted a pu s'entretenir avec le fondateur du géant de la recommandation de contenus, publicitaires ou non, à l'occasion de son passage à Paris fin septembre.
- L'occasion de s'entretenir sur la nouvelle plateforme qu'il vient de lancer, Keystone, mais aussi de revenir sur le parcours chaotique de son cours de bourse depuis l'IPO réalisée il y a plus d'un an.
Minted. Vous venez d’annoncer le déploiement d’une nouvelle plateforme baptisée Keystone. Pourquoi ?
Yaron Galai. C’est une offre que nous avons mis près de deux ans à construire et qui a une ambition plutôt simple : aider les éditeurs à diversifier leur business model. Si l’on regarde dans le rétroviseur, on se rend compte que la plupart d’entre eux ont opté pour un modèle économique adossé à la publicité, consistant à afficher des pubs à des utilisateurs dont ils ne savent pas grand-chose, pas même quand ils reviendront.
Cela marchait plutôt bien jusqu’à il y a un certain temps, jusqu’à ce que le RGPD entre en vigueur en Europe, que des équivalences apparaissent aux Etats-Unis et que, plus globalement, les exigences en matière de privacy changent, du côté des régulateurs, des navigateurs et des utilisateurs. La mort annoncée du cookie tiers ne fait que renforcer ce constat : il va être de plus en plus compliqué d’être dépendant de la publicité. D’où le fait que les publishers commencent à se diversifier, en multipliant les sources de revenus (abonnement, paywall, content commerce) et les formats (newsletter, podcast…).
Et c’est là-dessus qu’ils ont besoin d’aide ?
"Les éditeurs sont restés bloqués aux débuts d’Internet en ce qui concerne l'édito. C’est exactement le même contenu qui est proposé à l’ensemble des visiteurs"
Si vous regardez la homepage d’un éditeur, vous verrez qu’il n’y a pas un pixel de publicité qui ne soit pas optimisé et personnalisé. On est entré, depuis un moment, dans l’ère du ciblage one-to-one. Mais si vous jetez un œil au reste, à commencer par l’édito, on est resté bloqué aux débuts d’Internet. C’est exactement le même contenu qui est proposé à l’ensemble des visiteurs, la même expérience. Qu’il s’agisse d’un onglet pour s'abonner, d’un espace avec des vidéos… C’est là qu’intervient Keystone en adaptant chaque page affichée au profil du visiteur, pour ne garder que le plus pertinent.
Vous avez un exemple de personnalisation de l’expérience utilisateur ?
Prenons le cas d’un éditeur qui se met au content commerce. Aujourd’hui s’il veut pousser son top 10 des trottinettes électriques, par exemple, il est obligé de le faire auprès de 100% de son audience, qu’elle soit intéressée ou non. C’est évidemment un problème parce que tous ne sont pas intéressés par cette offre et que, par exemple, il est plus pertinent, si l’on a un metered paywall, de proposer un nouveau contenu à un internaute qui s’approche de son quota d’articles gratuits… et qui est donc plus que jamais susceptible de passer à l’abonnement payant.
La personnalisation de la homepage ou du contenu affiché par les éditeurs est un serpent de mer. Qu’est ce qui fait de vous le partenaire idéal pour y arriver, toute la donnée que vous collectez via vos emplacements publicitaires ?
La data, c’est important mais vous savez, cette data, l’éditeur l’a déjà. Ce qui fait de nous le partenaire idéal, c’est une combinaison de deux choses. D’abord, le fait que nous opérons à la fois le volet publicitaire de l’éditeur et le volet recommandation organique. Et que nous sommes capables de le faire “at scale”. Ensuite, le fait que nous travaillons avec des dizaines de milliers d’annonceurs, car nous sommes une marketplace présente des deux côtés de la chaîne de valeur.
Nous connaissons leurs objectifs de KPI et comment y arriver de la meilleure des manières. En réunissant le meilleur de ces deux mondes, éditeurs et annonceurs, nous sommes capables de proposer la meilleure expérience personnalisée.
Quel est le coût de la plateforme ? S’adresse-t-elle exclusivement aux utilisateurs de l’offre publicitaire d’Outbrain ?
"Keystone s'adresse à tous les éditeurs, même ceux qui utilisent la solution publicitaire d'un concurrent"
C’est un modèle SaaS, avec une licence dont le tarif dépend du nombre de pages optimisées chaque mois. Et cela s’adresse à tous. Nous venons de la déployer auprès de quatre éditeurs dont l’un est un des principaux groupes de presse papier aux Etats-Unis, qui utilise la solution publicitaire d’un concurrent.
Où en êtes-vous en France ?
On a annoncé Keystone il y a quelques semaines. Nous n’en sommes qu’aux débuts mais c’est la raison de ma venue en France, vous vous en doutez !
Vous avez officialisé en début d’année, le rachat de la plateforme de ciblage contextuel vidéo, vi. Que vous a apporté cette acquisition ?
Un stack vidéo complet ainsi que des capacités de ciblage contextuel éprouvées. Le premier aspect est précieux parce qu’avant cette acquisition, c’était seulement 10% de notre business qui venait de la vidéo, un format qui explose sur le Web. Le second l’est tout autant, avec la disparition des cookies tiers.
Vi fait de la vidéo instream là où Outbrain faisait de l’oustream in-feed. Qu’est-ce que ça change ?
C’est évident que l'oustream est un format qui porte plus préjudice à l’expérience utilisateur, puisque le lancement de la publicité vidéo est plus intrusif. En allant puiser dans son large catalogue de contenus vidéos, vi est capable de proposer un contexte de diffusion qui est plus rémunérateur pour les éditeurs et plus performant pour les annonceurs. Preuve en est, ces derniers achètent beaucoup plus sur Youtube qu’au sein des plateformes d’outstream.
Le secteur de la recommandation de contenus et de publicités a une bonne quinzaine d’années derrière lui. Peut-il encore évoluer ?
Je vous rassure, nous avons des idées d’amélioration pour les 10 années à venir. L’un des enjeux, c’est d’engager avec des audiences plus jeunes et ce pourrait être, pour se faire, de passer par des vidéos plus courtes, verticales, comme on en voit sur TikTok. On peut toujours faire mieux lorsqu’on travaille sur le sujet de la personnalisation.
Pourriez-vous être tenté d’aller voir du côté des retailers, qui sont de plus en plus nombreux à devenir des régies publicitaires, et pourraient peut-être tirer profit d’une technologie comme la vôtre ?
Ce n’est pas prévu. Nous préférons nous concentrer sur les éditeurs et les annonceurs.
Votre capitalisation boursière a été divisée par 5 depuis votre IPO. Vous ne pouviez, à l’époque, évidemment pas prévoir ce qui allait suivre, notamment en matière de contexte économique. Mais on peut quand même se demander si cette opération, qui vous a permis de lever 160 millions de dollars, était la bonne solution. Est-ce votre cas ?
Je vous garantis que c’était la bonne décision. Cela nous a permis d’obtenir la surface financière nécessaire au développement de nouveaux produits, comme c’est le cas de Keystone, et à l’acquisition de technologies, comme c’est le cas de vi. C’était l’objectif de l’IPO et la chute du cours de bourse n’y change rien. Il y a cette citation de Warren Buffet, difficilement traduisible en français, qui dit que “in the short run, the market is a voting machine but in the long run it is a weighing machine.” L’évolution d’un cours de bourse, c’est le résultat de négociations entre deux personnes : celle qui vend et celle qui achète. Mais cela ne préjuge en rien de ce que pensent tous les autres actionnaires, et ils sont nombreux, qui ne vendent pas.
C’est vrai mais cette capitalisation boursière d’à peine 200 millions de dollars, alors même que vous avez réalisé un chiffre d’affaires d’un milliard de dollars en 2021, fait de vous une cible de choix non ? Et ce même si vous avez perdu de l’argent au cours des deux derniers exercices…
D’abord, je tiens à préciser que nous avons un Ebitda positif sur les deux exercices que vous mentionnez et que notre résultat net a été impacté par des charges financières extraordinaires, notamment à cause de l’IPO. Et pour répondre à votre “crainte”, sachez que je ne la partage pas. Les principaux actionnaires sont, depuis l’IPO, restés les mêmes. Moi-même, qui suis l’un d’entre eux, je n’ai pas vendu une seule action depuis cette date. L’hypothèse d’OPA que vous évoquez n’est possible que si les actionnaires sont tous très dilués. Ce n’est pas notre cas et les fonds qui sont à notre capital, pour certains depuis des dizaines d’années, ont confiance en l’avenir.
On a beaucoup parlé cet été d’un rapprochement avec Teads, une adtech qui n’a, elle, pas réussi à aller jusqu’à l’IPO. Est-ce qu’un rapprochement avec un autre acteur majeur de l’industrie est toujours envisageable ?
C’est l’un des objectifs de l’IPO. Nous donner les moyens de grandir dans un environnement qui ne fait que se consolider. C’est ce que nous avons fait, à une petite échelle, avec le rachat de vi. C’est ce que nous allons continuer à faire car je pense que le contexte économique à venir va nous offrir de nombreuses opportunités de ce genre.
Il y a une société qui, dans cette phase de consolidation, pourrait être amenée à faire l’inverse : Google. Les appels à la séparation de certaines de ses activités, voire au démantèlement, sont de plus en plus nombreux. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est une question qu’il faut poser aux gouvernements et aux régulateurs, chose que je ne suis pas ! C’est un sujet très complexe que de vouloir démanteler une entreprise. Ceci étant rappelé, je pense évidemment que certains des comportements de Google, qui ont été dénoncés par l’Etat du Texas, sont problématiques.