Uber veut devenir un géant pub... mais la route est longue


  • Uber a généré près de 141 millions de dollars de revenus publicitaires en 2021 et vise le milliard d'ici 2024.
  • Le géant de la mobilité et de la livraison a beaucoup recruté et innové, en lançant de nouveaux formats, pour y arriver.
  • Ecrans sur et au sein des véhicules, search ads chez Uber Eats... On fait le point sur l'inventaire publicitaire d'Uber.

Uber veut passer la seconde sur le marché français de la publicité en ligne. Le géant de la mobilité et de la livraison de repas recherche le nouveau patron France de sa division publicitaire, à en croire une annonce LinkedIn. Un patron qu’il veut également entourer de plusieurs account managers pour booster une activité qui se cantonne, dans l’Hexagone, à des emplacements publicitaires display affichés au sein de son application de livraison, Uber Eats, et des adhésifs publicitaires collés sur la carrosserie de sa flotte de VTC.

Mark Grether derrière le volant

Cette vague de recrutement s’inscrit dans une démarche plus globale, qui a vu Uber mettre sur pied une division Uber Advertising il y a près d’un an et en confier les rênes à un personnage bien connu du monde de l’adtech, Mark Grether. Ce dernier n’est autre que le cofondateur du trading desk Xaxis (vendu à WPP) et l’ancien président du DSP Sizmek (vendu à Amazon). Il aura pour mission de faire de Uber Ads un business à 1 milliard de dollars de revenus d’ici 2024, comme il l’a annoncé à un parterre d’investisseurs le 10 février dernier. 

Uber a généré près de 141 millions de dollars de revenus publicitaires en 2021 (contre 11 millions de dollars un an plus tôt)

Il s’agit pour Uber, comme Amazon ou Instacart avant lui, de profiter des millions de données amassées via son cœur de business, la mobilité et la livraison, pour ouvrir une nouvelle ligne de revenus aux marges bien plus intéressantes : la publicité. Et s’approcher, ce faisant, de la rentabilité. En 2021, Uber a réalisé 17,5 milliards de dollars de recettes pour 496 millions de dollars de pertes. La publicité pourrait l’aider à se mettre dans le vert mais la route est encore longue.

Uber a généré près de 141 millions de dollars de revenus publicitaires en 2021 (contre 11 millions de dollars un an plus tôt). Une belle progression mais qui le situe encore très loin d’une autre plateforme concurrente, Instacart. Ce spécialiste de la livraison a réalisé 550 millions de dollars de revenus publicitaires en 2021 en se concentrant sur son marché domestique, les Etats-Unis. Le trio, Facebook, Google et Amazon, dont les revenus se comptent en dizaines de milliards de dollars, est, lui, carrément hors de portée. 

Uber a néanmoins lancé toute une série de produits publicitaires pour essayer de combler une partie de ce retard. Le groupe teste depuis l’été dernier l’affichage de publicités display au sein de son application de VTC aux Etats-Unis. Les hôtels Marriott ont été parmi les premiers à acheter ce format qui ne s’affiche qu’auprès des utilisateurs qui ont booké un trajet. Uber assure que les taux d’engagement sont supérieurs à la moyenne.

Le groupe a également installé des écrans display sur le toit des VTC qui acceptent de se prêter au jeu, moyennant un complément de rémunération. Baptisée car-top advertising, l’offre n’est pour l’instant proposée que dans certaines grandes villes américaines sans qu’aucun déploiement à l’international n’ait été communiqué. Mark Grether a toutefois assuré que le réseau publicitaire physique d'Uber était désormais constitué de plus de 3 000 voitures aux États-Unis, entraînant "100 millions d'impressions quotidiennes". Les conducteurs qui ont installé les affichages publicitaires ont augmenté leurs revenus d'environ 20%, a-t-il ajouté.

Uber a également déployé des tablettes au dos de l’appuie-tête des sièges de ses VTC, pour cibler les voyageurs le temps de leur trajet. L’inventaire est accessible en programmatique aux Etats-Unis et dans quelques pays d’Europe (dont l'Allemagne) via le SSP BroadSign à un tarif de 10 à 20 euros du CPM, en ligne avec ce qui se fait dans le DOOH. “Il s’agit de formats vidéos 16-9e, de 10 à 30 secondes, qui peuvent intégrer des QR codes comme call-to-action”, détaille Mehdi Aroussi, directeur publisher et customer success chez Hawk qui a pu tester l’offre en Allemagne.

Uber promet environ 17 vues par contact aux annonceurs. Ces derniers peuvent cibler plusieurs segments d’audience via des deals ID : les actifs (le matin et le soir sur des trajets domicile - travail), les touristes (sur des parcours gare - hôtel - aéroport) et les CSP+ (en fonction des véhicules de la flotte). “Ce sont des profils très intéressants pour les annonceurs du voyage ou du BtoB, en complément de campagnes de plus larges envergures”, estime Mehdi Aroussi. 

“L’ennemi du VTC, c’est la géolocalisation, on ne sait jamais où il se trouvera”

Tous ces nouveaux formats permettront-ils à Uber de s’ouvrir à d’autres annonceurs que les restaurateurs qui paient pour être promus sur Uber Eats ? Pas sûr. Dans cette entreprise de séduction des géants du divertissement, de la banque - assurance, du tourisme ou de l’automobile, les obstacles sont nombreux. “L’ennemi du VTC, c’est la géolocalisation, on ne sait jamais où il se trouvera”, prévient Mehdi Aroussi. Compliqué, dans ces conditions, de proposer aux annonceurs qui choisissent l’offre “car-top advertising” des ciblages géolocalisés fiables.

“On devra sans doute se cantonner à des ciblages par ville”, suppose Mehdi Aroussi. Forcément moins attractif. D’autant qu’au contraire du DOOH statique, il paraît impossible de communiquer sur un nombre de contacts touchés… Comment savoir qui a été exposé à la publicité sans installer des capteurs vidéos sur les véhicules (ce qui, sans consentement des riverains détectés par ces capteurs, reviendrait à enfreindre le RGPD) ?

Le fondateur d'Uber, Travis Kalanick, était contre l'insertion de publicité au sein de l'application de VTC

Tout aussi complexe de développer un inventaire publicitaire suffisamment riche, sans dénaturer l’expérience utilisateur. Un acteur comme Waze, qui propose aux annonceurs de communiquer au sein de son application de GPS, en sait quelque chose. Travis Kalanick aussi. Le fondateur d’Uber, parti vers de nouveaux horizons en 2017, s’était toujours opposé à l’intégration de publicités au sein de son application pour cette même raison. Mettre trop de pub sur les tablettes affichées au sein de ses VTC ou sur les applications de réservation, c’est prendre le risque de faire fuir les utilisateurs... et nuire au core business. 

Les forces et les faiblesses d'Uber Ads

Format publicitaire

Forces

Faiblesses

Car-top advertising

 

Permet à Uber d'afficher de la pub auprès des non utilisateurs.

Impact difficile à mesurer. Possibilités de ciblage restreintes.

Bannières display au sein de l'app Uber

Utilisateur hyper captif. Bon taux d'attention.Format intrusif, dangereux pour l'expérience utilisateur

Tablettes avec pubs vidéos au sein des VTC

Utilisateur hyper captif. Bon taux d'attention.Chauffeurs qui travaillent également pour les concurrents. Dur dans ces conditions de maîtriser le yield publicitaire.

Bannières display et search au sein d'Uber Eats

Annonceurs matures. Marché en pleine croissance.Format cantonné au secteur de la restauration

Un levier de croissance possible serait de faire grossir la base des utilisateurs mais cela semble, là aussi, compliqué à faire sans passer par des acquisitions. Certes Uber s’est bien relevé de la crise du covid, avec une fréquence de trajets qui repart à la hausse mais le groupe revendique “à peine” 180 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde. C’est évidemment significatif mais c’est très loin des audiences de Facebook, Google ou Amazon.

Même écart dans l’Hexagone, où Uber assurait que 5 millions de Français avaient réalisé au moins un trajet en 2021, là où les géants de la pub en touchent 30 millions tous les mois. Uber devra sans doute s’inspirer d’Instacart qui, avec “à peine” 10 millions d’utilisateurs par mois, réussit à générer 550 millions de revenus publicitaires par an. 

Dernier obstacle, et de taille celui-là, Uber ne maîtrise pas vraiment son réseau. Les chauffeurs sont, comme le groupe aime à le rappeler, des indépendants et non des salariés. Des indépendants qui sont, à ce titre, libre de faire ce qu'ils veulent. Notamment refuser d'installer les tablettes du groupe, s'ils estiment que les conditions proposées en sont pas intéressantes. Des indépendants que rien n'empêche, en outre, d'aller voir ailleurs. Chez DOOH IT par exemple. Cette régie française collabore avec des chauffeurs affiliés à  Bolt, Freenow, G7 ou Uber et leur propose d'installer les mêmes tablettes qu’Uber. “On fait tourner une boucle publicitaire d’une minute, avec généralement 5 annonceurs”, précise Patrice Ly, directeur de clientèle chez DOOH IT. La régie ne passe par Uber et traite en direct avec les chauffeurs. Pas sûr que ces derniers soient enclins à changer de crèmerie lorsqu'Uber, qui ne propose pas encore ce service en France, les approchera.

60 à 70% des chauffeurs Uber travaillent avec d’autres enseignes. Difficile dans ces conditions de maîtriser son réseau publicitaire

Il est d'autant plus compliqué pour Uber de déployer une stratégie publicitaire à grande échelle que "ses chauffeurs sont souvent multi-enseignes, afin d'optimiser leur nombre de courses", rappelle Patrice Ly. Parce qu’il est un gros apporteur d’affaires, Uber est moins exposé à ce phénomène que ses concurrents VTC (qui n’ont quasiment aucun conducteur en exclusivité) mais ce sont tout de même entre 60 et 70% de ses chauffeurs qui travaillent avec d’autres enseignes. Difficile, dans ces conditions, de poser les jalons d’un business publicitaire stable…