Pourquoi les sites médias français misent, à leur tour, sur la vidéo verticale


  • C'est la nouvelle marotte d'une bonne partie des médias français : rappatrier, au sein de leurs sites et applications, les contenus vidéos verticaux qu'ils diffusent sur les plateformes sociales.
  • Un moyen de surfer sur un format qui est dans l'ère du temps et dont le déploiement peut booster l'engagement des audiences et les revenus des sites concernés. En ligne de mire : les budgets captés par Meta, Snap et cie. 

Comment récupérer une partie des budgets (monstrueux) qui sont alloués aux plateformes sociales ? C’est la question que se posent la majorité des patrons de régies médias, soucieux de remédier à un contexte difficile, tant du point de vue des audiences que de la monétisation. 

Le recours au social publishing (soit le fait de profiter du pouvoir de prescription de son média pour diffuser, via ses comptes sociaux, le message d’une marque) est une première réponse. La volonté de déployer le format vidéo vertical sur ses propres assets digitaux (sites Web desktop et mobile, application mobile) en est une autre.

Le raisonnement est simple. Chaque média produit quantité de contenus pour les plateformes sociales. Des contenus qui génèrent quantité de “vues” mais sur lesquels les médias captent peu ou pas de valeur (l’ad break, système qui voit les plateformes partager une partie de leurs revenus publicitaires avec les médias, est encore rare). 

Des contenus qui sont, chez Facebook, Instagram, TikTok, Youtube Shorts, pour la plupart au format vidéo vertical. Un format dans “l’ère du temps”, auquel les internautes se sont habitués, et qui, à force de “swipe up”, pourrait permettre aux médias de doper l’engagement de leurs sites Web et applications. Un format que Seenthis, adtech suédoise, veut aujourd’hui rapatrier sur l’Open Web.

 “Avec notre nouveau format Storylines, nous permettons aux médias de diffuser l’ensemble de leurs contenus réalisés pour les réseaux sociaux sur leurs propriétés digitales”, explique Pierre de Grandmaison, VP en charge des relations avec les éditeurs chez SeenThis. Et, bien évidemment, de les monétiser à raison d’une publicité tous les trois contenus consommés. 

Les plateformes sociales n’ayant pas d’API pour récupérer automatiquement les contenus que les éditeurs y postent, ces derniers ont deux options pour y arriver. “Utiliser notre bot Slack et y uploader le contenu concerné ou le faire directement depuis leur CMS, lorsque nous avons pu nous intégrer en API”, explique Pierre de Grandmaison.

Cet ancien cofondateur de Teads est chargé d’accompagner l’adtech suédoise dans son développement commercial en Europe. “La France est le premier marché que nous lançons après les pays nordiques, comme la Suède, le Danemark ou l’Allemagne”, précise Pierre de Grandmaison.

Le player devrait être ‘live’ dans les prochaines semaines sur les sites de Konbini, l'Équipe, Elle, Aufeminin, Marmiton et le Huffington Post

En France, SeenThis revendique avoir déjà convaincu plusieurs médias, parmi lesquels Prisma Media, qui vient de déployer le format sur son site Harper’s Bazaar. L’adtech a également signé un partenariat avec Mediasquare, qui doit l’aider à déployer le format auprès de son réseau d’éditeurs en échange de l’exclusivité sur la vente en network (les éditeurs restent libres de vendre ça eux-mêmes en one-to-one).

Le duo SeenThis / Mediasquare n’est pas un cas isolé puisque 366, la régie qui accompagne les éditeurs de la PQR, prévoit, elle aussi, de déployer le format via sa plateforme vidéo, Digiteka. “L’objectif, c’est que tous les éditeurs l’aient déployé sur leurs assets digitaux d’ici la fin du second semestre”, nous expliquait le directeur du digital de 366, Thibaut Chevalier, dans le dernier épisode de Territoires digitaux. Le format est déjà présent sur les versions in-app de 20 Minutes et le site mobile de l’Union.

Chez 366, l'objectif c’est que tous les éditeurs aient déployé le format vidéo verticale sur leurs assets digitaux d’ici la fin du second semestre

“Le but, c’est évidemment de proposer un mode de consommation des contenus auxquels les plus jeunes sont habitués, via les réseaux sociaux”, complète Thibaud Chevalier. Pas un luxe pour un Web dont l’expérience utilisateur a, il est vrai, très peu évolué au cours de ces quinze dernières années, alors que l’in-app se réinventait à mesure que de nouveaux acteurs, comme Tinder et son swipe, Snap et sa story éphémère, arrivaient. “Ce n’est pas qu’un nouveau format publicitaire, c’est aussi, et surtout, une nouvelle manière de consommer du contenu”, explique le dirigeant.

C’est la raison pour laquelle le succès du déploiement de la vidéo verticale passe aussi par un alignement avec les équipes éditos, à en croire nos interlocuteurs. Un peu à l’image de ce que fait le site suédois, Expressen, qui a créé sur son site Web un “JT du jour”, qui s’appuie sur les contenus verticaux relayés sur les réseaux sociaux et qui sont rapatriés via Storylines. Ou du Bazaar TV d'Harper's Bazaar.

“C’est important de créer un véritable usage éditorial, sans quoi l’internaute aura l’impression d’avoir affaire à un n-ième player”, estime Baptiste Berger. Et de s’attendre à ce que chaque média initie ses propres expérimentations. “D’un point de vue éditorial, c’est tout bénéfice, puisque celà permet d’augmenter sensiblement le nombre de vidéos vues et le temps passé sur le site”, complète Pierre de Grandmaison. 

Côté pub aussi, puisque l’intégration de publicités vidéos (la recommandation est d’en mettre toutes les 3 vidéos éditos) permet de retranscrire cette hausse en euros sonnants et trébuchants. Storylines est vendu en direct ou via des places de marché privées (PMP), en programmatique. “Ce n’est à date pas possible de le vendre sur les open exchanges car nous devons héberger la création”, précise Pierre de Grandmaison. Lequel justifie cette nécessité par la spécificité de la technologie de SeenThis, suffisamment “light” pour être capable de streamer une publicité vidéo au sein d’une bannière display.

Compter 10 euros CPM (prix recommandé). Avec la possibilité, également, d’acheter celà au CPCV. 

Que ce soit en direct avec les éditeurs ou via les bundles d’inventaire de Mediasquare, le prix ne devrait pas trop varier. Compter 10 euros CPM (prix recommandé). Avec la possibilité, également, d’acheter celà au CPCV. L’acheteur ne paie, dans ce cas, que pour les pubs vues plus de 6 secondes avec 100% de la créa affichée. “On sera, dans cette configuration, 30 à 40% moins cher que Meta selon les datas de SeenThis”, pointe Baptiste Berger. Ils sont déjà une vingtaine d’annonceurs, parmi lesquels Renault et LVMH, à vouloir acheter du Storylines.

A noter que même les éditeurs qui sont chiche en contenus sociaux pourront surfer sur la vague, puisque Storylines leur propose d’afficher un format pub 9-16e (371*660) qui leur permettra de proposer de l’inventaire aux annonceurs.. “C’est l’équivalent d’un outstream et ce sera vendu moins cher, à 6 euros du CPM, contre 10 euros pour le format classique”, précise Baptiste Berger.

On est, ici, sur le genre de formats que Teads, champion de la publicité in-read, propose depuis plusieurs années. “Cela fait 7-8 ans que nous proposons de l’in-read vertical, rappelle d’ailleurs Vincent Legros, head of studio de l’adtech française.” Un format qui semble regagner en hype, alors que les acheteurs basculent d’une recherche de visibilité à une recherche d’attention. “Ce nouveau KPI a clairement redonné ses lettres de noblesse au format”, estime Vincent Legros. Teads a relancé un nouveau format vertical, le “parallax interscroller full bleed”;

Une agence média allemande a réalloué 20% de ses investissements en social ads au format

“Aujourd’hui, toutes les marques développent des assets verticaux au moment de produire leurs campagnes digitales. On a voulu capitaliser là-dessus”, explique Vincent Legros. Même son de cloche chez 366. “C’est évident qu’on sera plutôt sur un format pub de 6 secondes comme on le voit sur les réseaux sociaux que le 20 secondes de la catch-up”, prévient Thibaud Chevalier. 

Un choix facile à comprendre si on regarde du côté des prévisions du marché. “La vidéo sociale pèsera plus que la CTV d’ici la fin de l’année selon les estimations de l’IAB”, rappelle Pierre de Grandmaison. On parle de 23,4 milliards de dollars, contre 22,7 pour le second.” Forcément de quoi faire saliver pas mal d’éditeurs… Notamment quand SeenThis cite l’exemple d’une agence média allemande qui a réalloué 20% de ses investissements en social ads au format. 

Les éditeurs français tiennent-ils leur nouvelle martingale ? Si le format est déjà déployé chez certains de ses sites, dont Melty, Jérémy Parola, n’en est pas totalement convaincu. “Le produit est top mais le vrai sujet, c’est l’accès à l’endroit où se passe la prise de commande”, prévient le directeur des activités digitale de Reworld Media.

 Tant que les éditeurs de l’Open Web ne seront pas branchés à Meta Ads Manager ou TikTok Ads Manager, ils pourront difficilement récupérer une partie de ces budgets. 

Comprendre que, tant que les éditeurs de l’Open Web ne seront pas branchés à Meta Ads Manager ou TikTok Ads Manager, ils pourront difficilement récupérer une partie de ces budgets. Pour permettre aux acheteurs d’avoir des bilans de campagnes unifiés et pour accéder à une demande, la longue traîne, qui représente les deux-tiers des revenus de Meta mais qui n’utilise pas (ou très peu) les outils d’achat programmatiques type DSP.

“Sans celà, ce sera difficile d’être autre chose qu’un beau format OPS”, craint Jérémy Parola. C’est, de fait, un peu ce qui s’est passé pour l’InRead Social, un format inspiré du social que Teads avait lancé en 2020. L’ambition était alors de proposer une typologie d’inventaire susceptible d’intéresser les pôles social ads des agences médias. 

Quatre ans plus tard, “Teads n’a pas complètement craqué le sujet, reconnaît Vincent Legros. Parce que c’est compliqué de convaincre les spécialistes des social ads de travailler avec d’autres acteurs que ces grandes plateformes.” C’est ce que l’on peut craindre pour le format vertical, au regard, notamment, des premiers retours côté agences médias. 

Chez Publicis Media, Thomas Mesnier explique que les offres de Mediasquare, Teads ou 366 seront plutôt du ressort de ses homologues de l’Open Web. “Nous nous concentrons sur les inventaires des plateformes sociales”, justifie-t-il. “Même si le format reprend certains codes du social, on ne retrouve pas les autres marqueurs du social, comme les modes de ciblage ou la possibilité d’intéragir avec la publicité (like, commentaire, partage). Pas plus qu’on ne peut l’acheter depuis les interfaces que nous utilisons”, ajoute l’expert.

Difficile, dans ces conditions, de venir challenger les budgets des réseaux sociaux, puisque les arbitrages (X% du budget d’une campagne pour l’équipe social ads et x% pour l’équipe Open Web) seront déjà faits. “Ca pourrait, en revanche, permettre aux éditeurs de venir piquer certains budgets aux plateformes de streaming des broadcasters, suppose Thomas Mesnier.  Si toutefois le format trouve son public et si l’usage se développe aussi bien que sur les plateformes de vidéos verticales comme TikTok ou Youtube Shorts.”

Autre piste : brancher ces inventaires à des outils comme Advantage + de Meta ou Pmax de Google. Histoire de se connecter directement à la source. Après tout, Facebook et Google proposent bien aux éditeurs de l’Open Web de faire partie de réseaux publicitaires comme Facebook Audience Network ou Google AdSense. 

Baptiste Berger ne croit pas que ce soit une option raisonnable pour les éditeurs, vu que le but “c’est aussi de s’affranchir de ces plateformes”. Et de rappeler que c’est précisément le rôle de Mediasquare que de jouer le guichet unique pour les acheteurs qui ne veulent pas avoir à dealer avec autant d’interlocuteurs qu’il y a d’éditeurs. “Si on voit que ça décolle, il sera toujours de mettre en place une plateforme automatisée à l’UX pas trop compliquée pour les petits et moyens annonceurs”, estime-t-il.

Thibaud Chevalier semble aller dans le même sens : “Si on réussit à créer un usage et donc des audiences, je ne doute pas qu’on trouvera un moyen de monétiser tout celà correctement.” Après tout, un réseau comme 366 revendique 35 millions de VU par mois, dont 9 millions par jour, (contre 50 millions mensuels pour Facebook). “Nous avons une capacité à créer des audiences volumiques de qualité.” “Si on veut que ça marche, il faut garder un effet réseau”, acquiesce Baptiste Berger, qui ouvre d’ailleurs la porte à un deal Mediasquare + 366 pour peser encore plus…