Pourquoi les fichiers ads.txt ne sont pas toujours fiables… et comment y remédier


  • Alors que les acheteurs sont de plus en plus nombreux à n'acheter que de l'inventaire programmatique labellisé comme "direct" par leur DSP, certains SSP resellers n'hésitent à prendre des libertés avec la réalité, en truquant les informations affichées au sein des fichiers ads.txt de leurs partenaires régies.
  • Lesquelles ne prennent pas toujours le temps de vérifier ce qui leur est remonté. Des solutions existent pourtant. 

Lancés en mai 2017 par l’IAB pour renforcer la transparence du marché programmatique et aider les éditeurs à lutter contre la fraude publicitaire, les fichiers ads.txt (acronyme de “authorized digital sellers”) occupent aujourd’hui une place de choix dans l’écosystème. 

Ces fichiers que chaque éditeur met en ligne pour y répertorier l’ensemble de ses vendeurs de publicité agréés sont devenus le meilleur ami des acheteurs. Historiquement, pour s’assurer qu’ils achètent de l’inventaire “propre” (si une adtech qui vous promet de l’inventaire du Monde.fr n’est pas répertoriée dans son fichier ads.txt, c’est qu’elle vous trompe). 

Mais depuis peu pour une autre raison : pour s’assurer qu’ils prennent le chemin le plus court vers un inventaire. La nature de la relation entre l’éditeur et chacun de ces partenaires est en effet spécifiée au sein du fichier. Les partenaires branchés à la source, via prebid.js, sont labellisés comme “Directs”. Ceux qui passent par un autre partenaire pour acheter l’inventaire de l’éditeur concerné sont eux labellisés comme “Resellers”. Cette distinction est devenue avec le temps très importante pour les acheteurs qui, dans une logique de “supply path optimization” (SPO), sont déterminés à supprimer les intermédiaires. D’abord pour récupérer la marge de ces derniers et (un peu) pour limiter l’empreinte carbone de la campagne. 

“La plupart des DSP ont intégré une fonctionnalité native qui permet à un acheteur, simplement en cochant une case, de n’avoir accès qu’à de l’inventaire en direct”

Il y a ceux qui, comme The Trade Desk, essaient carrément de désintermédier les SSP, via une route directe vers l’éditeur (Open Path). Et ceux qui, conscient du rôle de garde-fou que jouent les SSP, décident de ne garder que ceux qui ont une connexion directe. En faisant sauter tous les autres. “La plupart des DSP ont intégré une fonctionnalité qui permet à un acheteur, de cibler soit des inventaires déclarés Direct et Reseller ou bien même seulement des inventaires déclarés en Direct”, précise Alexandre Nderagakura.

L’ancien directeur technique de l’IAB Europe chiffre la bascule à courant 2021. Une fonctionnalité qui a, depuis cette date, droit de mort sur tous ceux qui se cantonnent à du “reselling” et n’accèdent, ce faisant, plus à certaines campagnes. “Ça porte préjudice à certains SSP, notamment les tiers 2 et tiers 3 qui, pour accéder à certains inventaires premiums, sont obligés de les acheter à d’autres SSP tiers 1”, explique un connaisseur. 

Ces mêmes SSP tiers 1 ont, eux aussi, intérêts à multiplier les resellers car la plupart des DSP obéissent à une logique “bête et méchante” de livrer les campagnes le plus rapidement possible. Plus vous les interrogez, plus vous êtes à même d’obtenir des CPM intéressants. Raison pour laquelle, si vous consultez le fichier ads.txt d’un éditeur vous verrez que ses plus gros SSP partenaires ont plusieurs connexions, “direct” ou “reseller”, ouvertes. “Les quatre plus gros SSP du marché - Index Exchange, Appnexus, Equativ et Magnite - cumulent, à eux seuls, plus de 3 000 routes pour accéder aux principales régies en ligne en France”, chiffre Paul Caucheteux, directeur commercial d’Hubvisor.

“On voit pas mal de resellers qui sont identifiés en direct dans le fichier ads.txt car c’est le meilleur moyen de continuer à faire du business”

Voir ses routes indirectes coupées par le DSP, c’est donc, pour ces SSP, l’assurance de perdre pas mal de business. Forcément dur à encaisser pour ces derniers qui ne peuvent se permettre un quelconque frein à leur croissance, qu’ils réfléchissent à une levée de fonds, une acquisition ou un rapprochement avec un autre acteur.  Et ça l’est tellement que certains n’hésitent plus à prendre des libertés avec la réalité. “On voit effectivement quelques resellers qui sont identifiés en direct dans le fichier ads.txt car c’est le meilleur moyen de continuer à faire du business”, observe Alexandre Nderagakura. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller sur le site sellers.guide qui, pour chaque URL renseignée, établit une correspondance entre le fichier ads.txt et les fichiers sellers.json des partenaires.

Cela nous donne une centaine de lignes labellisées en direct de manière erronée chez mariefrance.fr (sur un total de 2000), une vingtaine sur 555 chez allocine.fr, une trentaine sur 365 chez boursorama.com … Grosso modo : entre 5 et 10% de lignes mal renseignées. "Il n'y a pas que des tricheurs, nuance Alexandre Nderagakura. Certaines erreurs de correspondance s'explique aussi par le fait que le standard ads.txt ne couvre pas certains scenarios (par format, géographie...) et que toutes les entités n'ont pas forcément la même compréhension de ce standard, ce qui amène parfois à ces différences."

Difficile de savoir qui pêche par intention et qui le fait sans volonté de nuire. Et les tricheurs ont d’autant moins de scrupules à se priver qu’en réalité ils ont peu de chance de se faire pincer et que, même si c’était le cas, ils n'encourent pas grand-chose. “Oui, un DSP qui flagge une route mal renseignée est supposé la faire sauter mais c’est tout. Vous n’êtes pas blacklisté ou même pénalisé en tant que partenaire”, regrette Abderrahmane Yacoubi.

“Oui, un DSP qui flagge une route mal renseignée est supposé la faire sauter mais c’est tout. Vous n’êtes pas blacklisté ou même pénalisé en tant que partenaire”

“Ads.txt, c’est du déclaratif, rappelle un expert du programmatique. Le partenaire envoie à chaque régie avec laquelle il collabore tous les chemins d’accès vers son inventaire qu’il emprunte, direct ou reselling.” On pourrait penser que la régie profite de ce moment pour vérifier la véracité de ce qui lui est envoyé. Ce n’est généralement pas le cas. “On se contente souvent de transférer les informations aux équipes techniques, côté éditeur, sans y mettre notre nez”, reconnaît un collaborateur en régie.

Loin d’être un cas isolé, vu que la plupart du temps, le fichier est hébergé à la racine du site et que c’est donc l’équipe technique, côté éditeur, qui se charge de la mettre à jour… Une équipe qui est rarement au fait des relations de chacun et ne peut, dans la réalité, absolument pas challenger les informations qui lui sont transmises. “Ils sont très rares à avoir la connaissance et le temps pour vérifier la véracité des informations”, constate Paul Caucheteux. Pour beaucoup, un simple copier - coller fera l’affaire… et tant pis pour les implications. 

Abderrahmane Yacoubi a, lui, découvert qu’un partenaire trichait le jour où il a vu qu’un DSP préférait acheter l’inventaire d’Altice Media via un SSP reseller plutôt que via le siège de l'éditeur chez ce SSP. “Je ne comprenais pas comment c’était possible… Et j’ai compris la raison en regardant du côté de notre fichier ads.txt qui référencait ce partenaire comme direct alors qu’il ne l’était pas.” Le dirigeant a, suite à cet épisode, fait le point avec l’ensemble de ses partenaires. “Toutes les lignes affichées comme directes alors qu’elles ne l’étaient pas ont été corrigées.” Inutile de dire que pas un reseller n’a moufté. “Ils ne le disent jamais ouvertement mais c’est évident que certains essaient de tromper notre vigilance”, tance Abderrahmane Yacoubi.

C’est évidemment préjudiciable à plusieurs titres. D’abord, parce que ce sont, comme le rappelle Paul Caucheteux, “autant de concurrents que l’éditeur se crée vu que les acheteurs vont choisir ces routes qu’ils pensent directes mais qui ne le sont pas.” Mais aussi parce que ça ne peut qu’accentuer le sentiment de défiance que beaucoup d’annonceurs ont à l’égard de l’open auction. Un univers trop opaque, au sein duquel pullulent les intermédiaires à plus ou moins forte valeur ajoutée et où, surtout, tous les coups sont permis. “On truque une information utile pour le DSP qui veut acheter en circuit-court”, résume Paul Caucheteux. Des DSP qui pourraient, eux aussi, s’assurer de la véracité des informations remontées, en les confrontant avec celles que le seller renseigne dans son “sellers json”. Mais qui ne le font pas toujours. Notamment pour des raisons d’économie.

De quoi remettre en cause l’intérêt des fichiers ads.txt ? “Ads.txt, c’est une rustine sur un pneu crevé”, déplore un expert sur secteur. Un autre opte pour une analogie avec le monde du sport, pour démontrer les limites du système. “C’est un peu comme si l’UEFA se contentait de donner les règles du jeu aux participants à la Ligue de Champions, sans qu’elle ne paie pour mettre un arbitre à chaque match.” 

A défaut d’arbitre, certaines régies ont décidé de reprendre la main. Chez Altice Media Connect, on est devenu beaucoup plus vigilant sur le sujet puisque depuis février, c’est désormais la régie qui se charge de mettre à jour le document. Cette reprise en main fait suite à un gros travail de nettoyage opéré au deuxième semestre 2022. “Notre fichier est désormais bien rangé, avec des sections par partenaire. Ça nous a pris un temps fou mais ça nous permet de bien voir qui fait quoi”, révèle Abderrahmane Yacoubi.  Même travail de fourmi chez Media.figaro où on a isolé des blocs partenaire par partenaire et où “on demande régulièrement à ces derniers de réduire le nombre de lignes pour y voir plus clair”, précise Thomas Masereel, yield and programmatic manager chez Media.figaro. Le fichier de la régie du Figaro a subi une sérieuse cure d’amaigrissement, passant de plus de 750 à 250 lignes en l'espace de quelques mois.

L'IAB Tech Lab propose pourtant des outils pour identifier les incohérences

Internaliser le sujet permet de mettre fin aux allers-retours chronophages avec la cellule éditeur. “On avait un jour de prod dédié et c’est sûr qu’un partenaire qui se manifestait tardivement pouvait parfois devoir patienter une semaine”, illustre Abderrahmane Yacoubi. Un laps de temps durant lequel le SSP à l’origine du changement pouvait perdre pas mal d’argent. “La ligne ads.txt fait référence à l’identifiant de connexion du SSP avec le siège DSP, rappelle Abderrahmane Yacoubi. Si cet ID n’est plus le bon et que le DSP s’en rend compte, il peut être amené à baisser le volume d'enchères retournées.”

Des outils existent pourtant, pour permettre à chaque acteur de la chaîne de valeur de se prémunir contre tout risque de triche ou d’erreur. L’IAB Tech Lab a en effet lancé un outil qui crawle les ads.txt et les sellers.json pour faire une confrontation. Le résultat est accessible gratuitement depuis leur site (il suffit de s’inscrire pour y accéder) mais l’API qui permet à un acheteur d’industrialiser la remontée de ces informations vers ses outils d’achat est, elle, payante. “L'acheteur peut, en théorie, avec l'API injecter les ID de sièges correspondant au statuts ads.txt qu'il souhaiterait cibler (ou blacklister) vers le DSP si celui-ci propose des ciblages par SeatID”, précise un expert. Coût de l’accès : 2 500 euros par an pour les membres, 4 500 euros pour les non-membres. Combien sont-ils à y accéder ? “Plusieurs dizaines”, chiffre Shailley Singh, COO du Tech Lab. Mais pas d’agences médias françaises à notre connaissance.

L’IAB Tech Lab a également lancé en juin 2021 un service baptisé “supply chain validation” qui est lui adressé aux régies éditeurs. Facturé 99 dollars par an, il leur permet d’être alertés par mail lorsque le Tech Lab identifie des incohérences entre les ads.txt d’un éditeur et les sellers.json de ses partenaires. Ce travail de matching est effectué chaque semaine. Combien sont-ils à y avoir adhéré ? Très peu. “L’outil n’est pas encore assez connu”, reconnaît Shailley Singh qui ne nous donnera pas plus de précisions mais espère que “cet article donnera un peu plus de visibilité à un outil qui ne coûte pas grand-chose mais rend de précieux services.”

“Ads.txt reste une belle avancée, il faut se rappeler que les éditeurs n’avaient, jusqu’à sa mise en place, aucun moyen de savoir qui revendait leur inventaire ou non”, rappelle Paul Caucheteux. Une belle avancée qui gagnerait peut-être à évoluer (un petit) peu…