- L'achat via des ordres d'insertion, à l'ancienne, fait un retour en force à en croire la dizaine d’acteurs avec lesquels Minted a échangé, en on ou en off.
- De manière “explicite”, lorsqu’il s’agit pour une agence média d’acheter de l’inventaire à une régie média classique, type média.Figaro ou Prisma Media Solution, via un OI. De manière moins “lisible”, lorsqu’il s’agit pour cette même agence média de placer un OI auprès d’un partenaire, type Azerion, Qwarry ou Teads, qui ira, lui, ensuite opérer la campagne en programmatique. On vous explique pourquoi.
Après des années à nous seriner que l’avenir était au programmatique, le marché de la publicité digitale est-il en train de retourner sa veste ? Il y a d’abord les chiffres. Ceux de l’Observatoire de l’ePub en l’occurrence, qui attestaient en juillet dernier que le poids du programmatique se stabilisait à 65% de part de marché du display (hors OPS). Surtout, la croissance du programmatique a été, pour la toute première fois, inférieure à celle du gré à gré, soit les investissements réalisés via des ordres d’insertion (OI). Plus 21% pour le premier, entre les 1er semestre 2021 et 2022, contre plus 26% pour le second. Si l’on ramène ces pourcentages à des montants, la hausse du programmatique reste évidemment plus forte mais tout de même, c’est étonnant, après des années de croissance folle.
Il y a donc les chiffres… Et puis, il y a les retours du marché, ceux que l’on obtient en échangeant au détour d’un visio ou d’un café. Et ceux-là, ne laissent guère place au doute. Oui, le gré à gré fait un retour en force, à en croire la dizaine d’acteurs avec lesquels Minted a échangé, en on ou en off. De manière “explicite”, lorsqu’il s’agit pour une agence média d’acheter de l’inventaire à une régie média classique, type média.Figaro ou Prisma Media Solution, via un OI. Pour X raisons que nous allons évoquer plus bas. De manière moins “lisible”, lorsqu’il s’agit pour cette même agence média de placer un OI auprès d’un partenaire, type Azerion, Qwarry ou Teads, qui ira, lui, ensuite opérer la campagne en programmatique.
“Un gré à gré déguisé par intermédiaire”, comme l’appelle Jérémy Parola, directeur des activités numériques de Reworld Media, que l’Observatoire de l’ePub peut difficilement quantifier, puisqu’il lui faut pouvoir bien réconcilier des achats en gré à gré, côté agences médias, avec des ventes programmatiques, côté régies. Mais un phénomène qui est en plein essor, de l’avis de Fatima Manar, programmatic director chez Group M, qui parle d'“externalisation du programmatique”. Une externalisation qui a, elle aussi, plusieurs raisons.
Pourquoi les acheteurs médias s’en remettent-ils de plus en plus au gré à gré ? D’abord un élément conjoncturel : les difficultés éprouvées par les agences médias du Big 6 pour recruter des talents. C’est devenu très compliqué pour ces dernières de trouver des profils qui mêlent datas et médias parce que 1) leurs besoins explosent 2) la concurrence vient désormais d’un peu partout. “Ce n’est pas un secret que beaucoup d’agences médias peinent à satisfaire leurs besoins de recrutement”, reconnaît Fatima Manar. GroupM est la seule agence, parmi celles que nous avons contactées, à avoir accepté de répondre en “on”. Le sujet est évidemment tabou. Difficile pour des agences médias engagées actuellement dans des pitchs à enjeux, de reconnaître qu’elles ont déjà dû mal à se structurer pour le business existant. C’est pourtant une réalité que l’explosion des primes de cooptation et grilles de salaires des Publicis Media et consorts vient attester.
“Quand une agence média est sous-staffée et en plein rush, c’est beaucoup plus simple pour elle de sous-traiter à un Azerion ou un Teads”
Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un œil aux pages LinkedIn et Welcome to the jungle des concernés. Elles fourmillent d’offres d’emploi qui ne trouvent pas preneur. Un gouffre RH qui affecte, sans surprise, le “day-to-day” de la plupart des agences médias. “Quand on est sous-staffé et en plein rush, c’est beaucoup plus simple de sous-traiter à un Azerion ou un Teads”, reconnaît le patron du digital de l’une d’entre elles. On assigne une feuille de route à ce partenaire - début et fin de campagne, budget à dépenser et KPI cible - qui a toute latitude pour y arriver au sein de son réseau de publishers. On récupère les éléments en fin de campagne et on n’a plus qu’à consolider le tout, avant de présenter au client.
C’est moins chronophage et c’est aussi souvent plus efficace. “En managed services, on est vite capable de savoir combien on doit payer pour arriver aux objectifs de diffusion de l’annonceur”, assure Hugues Templier, head of data MENA chez Teads. L’adtech, qui fait plus de 50% de son business en gré à gré, reste néanmoins agnostique. “On s’adapte aux demandes du client”, précise Hugues Templier. Il s’avère simplement que ce dernier est de plus en plus enclin à se défausser sur ses partenaires. “Autant les laisser opérer directement des environnements qu’ils connaissent mieux que nos traders”, poursuit notre patron anonyme. Dit plus crûment par un connaisseur du secteur, “la plupart des adtech sont aujourd’hui beaucoup mieux armées que les équipes trading des agences médias, qui se sont fortement juniorisées.”
C’est une réalité qu’il faut, aussi, mettre en perspective avec l’évolution du rôle des SSP. Ces derniers ne sont plus de simples tuyaux technologiques. Ils ont, de plus en plus souvent, un rôle d'aiguillage des investissements qui transitent par leur plateforme, notamment parce qu'ils négocient de plus en plus souvent des deals côté demande, en même qu’ils se sont staffés en commerciaux. Jérémy Parola observe “la multiplication de ces partenaires qui s’appellent Seedtag, Invibes, BeOps ou Bliink et sont collés aux agences, auxquelles ils vendent en gré à gré”. Des acteurs qui ont en commun de s’être positionnés sur le secteur très porteur du “ciblage contextuel” et qui, à l’heure du cookieless, gagnent de plus en plus de parts de marché.
Ce n’est, évidemment, pas sans ajouter une certaine opacité. Dans une chaîne de valeur 100% programmatique, l’acheteur doit, certes, composer avec une adtech tax mais il est, en théorie, capable de tracer la répartition de la valeur d’une impression. Ce n’est pas le cas dans cette configuration où il achète en gré à gré à quelqu'un qui achètera, lui, en programmatique et peut, en profiter, pour marger comme il veut. Problématique ? Non, répond Fatima Manar. “Que la régie prenne X% de marge n’est pas un problème en soit, du moment qu’elle apporte une valeur ajoutée à nos clients, notament dans l'atteinte de leurs objectifs de coût média et qu'elle respecte notre cadre de diffusion”, estime la dirigeante. Pas plus d’inquiétude sur ce sujet chez Karine Rielland-Mardirossian, qui rappelle être “très exigeante vis-à-vis des partenaires” et ne pas hésiter à demander “des comptes si c’est nécessaire”. “Le marché est tout petit : si un acteur faisait n’importe quoi, cela se saurait vite”, assure Sébastien Noël.
Reste que, s’il est difficile pour les agences médias de dire qu’elles ont du mal à se staffer, il l’est sans doute encore plus d’admettre qu’elles “sous-traitent” désormais l’un des points clés de la gestion de la diffusion d’une campagne média : le fait de trouver la bonne personne au bon moment dans le bon contexte. “Alors que le modèle économique des agences médias est plus que jamais challengé et que c’est, en filigrane, leur valeur ajoutée qui est remise en question, c’est forcément un sujet épineux”, abonde un connaisseur du marché. Une remise en question d’autant plus légitime qu’avec le temps, de plus en plus de médias deviennent programmatiques : TV segmentée, audio digital ou DOOH
“Est-ce que c’est un épiphénomène, lié au contexte actuel ou une véritable lame de fond ? Difficile à dire”, s’interroge Julien Gardès, MD supply EMEA et APAC chez Triplelift. Un connaisseur du marché assure que c’est transitoire. “Je pense que c’est vraiment une situation propre à 2022, en lien avec les difficultés de recrutement des agences médias.” L’expert estime que cela va prendre un peu de temps… mais que les choses vont revenir à la normale. Constat partagé par notre patron anonyme qui donne encore “six mois, voire un an, à ses nouvelles promotions de collaborateurs pour être opérationnelles sur ce sujet”.
Edouard Letort, directeur général d’Alliance Gravity, acteur de la publicité digitale dont “la croissance de l’activité gré à gré a été supérieure aux prévisions en 2022”, en est, lui, moins convaincu. La faute à un programmatique qui est devenu “très compliqué à opérer”. La démocratisation du header bidding n’y est évidemment pas étrangère, qui s’est accompagnée d’une explosion des chemins d’accès à un même inventaire. Pour allier la promesse de reach et de finesse du ciblage du programmatique, il faut être capable, en vrac, d’opérer un deal ID, de passer par un curated marketplace pour dénicher un segment d’audience spécifique à plusieurs éditeurs ou encore de faire appel à une sous-régie. Autant d’étapes ou d’acteurs qui ajoutent, selon Edouard Letort, “du bruit et de la complexité”. Et qui peuvent souvent rebuter les agences médias, qu’elles aient les ressources humaines nécessaires ou non, estime-t-il.
“Les sièges DSP des agences médias comportent plusieurs dizaines de lignes de deals qu’elles n’activent jamais”
Prenons le cas du deal ID, ce mode d’achat programmatique qui voit une agence et une régie s’entendre sur des conditions d’achat (prix, cible, format…), et qui, comme le rappelle le patron d’Azerion France, Mickael Ferreira, “fait souvent l’objet de problèmes de troubleshooting”. Un acheteur que nous avons interrogé sur le sujet nous a confirmé ne plus compter les deals ID dont la mise en place s’éternise, parce que ses équipes n’arrivent pas à identifier la source du problème et que l’équipe support de son outil d’achat, souvent basée aux Etats-Unis, propose des solutions au compte-gouttes. “Ma boîte mail est remplie de dizaines d’allers-retours avec le support en mode ‘vous avez essayé de paramétrer ça ?’ et, si ça ne marche pas, de paramétrer ça. C’est à n’en plus finir”, témoigne-t-il.
“Les sièges DSP des agences médias comportent plusieurs dizaines de lignes de deals qu’elles n’activent jamais”, reconnaît un acheteur. A tel point que c’est devenu une petite blague dans le milieu. “Dire ‘pas de soucis, envoie moi un deal’ en sachant pertinemment qu’on ne l’activera jamais, c’est aussi un moyen d’éconduire poliment une régie que l’on vient de rencontrer”, s’amuse un expert du marché.
“Quand on met tout ça bout à bout, on comprend pourquoi une agence préférera passer un OI. C’est plus simple et on évite les mauvaises surprises”, résume Edouard Letort. La tendance devrait s’accroître à mesure qu’approche la fin de l’année et avec elle, la nécessité d’atteindre ses objectifs. “Faire du gré à gré, ça permet à un acheteur d’avoir l’assurance de diffuser un volume minimum dans une période donnée”, rappelle la CDO de media.figaro, Karine Rielland-Mardirossian.
Vous me répondrez que c’est tout à fait faisable en programmatique, via du programmatique garanti (PG), sauf que c’est sans compter les difficultés des outils à communiquer entre eux. “C’est très compliqué de faire du PG entre DV 360, le DSP de Google, et des SSP comme Xandr ou Equativ”, illustre Edouard Letort. Comprendre que ça ne marche qu’au sein d’une suite fullstack, qu’il s’agisse de celle de Google ou de Xandr. “C’est vrai que faire du PG depuis DV 360 incite les annonceurs à acheter sur Google Ad Manager”, reconnaît Karine Rielland-Mardirossian.
La “bonne” nouvelle, c’est que la technologie équipe la grande majorité des éditeurs français. Le bémol, c’est que ces derniers n’ont pas toujours toutes les informations nécessaires. “On a du mal à connaître les critères de l’acheteur, confirme Sébastien Noel, patron du digital chez M Publicité. Je n’ai, par exemple, aucun moyen de savoir si ce dernier a mis en place un capping journalier qui explique qu’il n’achète pas toutes les impressions liées à un segment donné.” De sorte qu’il y a toujours “une incertitude vis-à-vis du reach en programmatique là où, en gré à gré, on travaille dans des environnements avec plus de certitudes”, confirme Hugues Templier.
“Aucun acteur ne veut avoir des problèmes de délivrabilité au 4e trimestre”, rappelle Julien Gardès. Qu’il s’agisse de l’acheteur… ou du vendeur. “Un sales qui est incentivé sur la livraison des campagnes privilégiera le gré à gré pour être sûr d’atteindre ses objectifs”, observe Hugues Templier. Ce mode d’achat lui garantit que ce qu’il a vendu sera bien réalisé. Il assure également à son employeur (la régie) que les investissements dans des créations pub spécifiques, seront bien amortis. “Si l’agence média vous coupe la campagne après avoir dépensé une centaine d’euros alors que vous avez mis sur pied plusieurs créations spécifiques, vous êtes mal”, illustre ce patron d’adtech qui estime qu’une règle implicite veut qu’un deal ID n’est rentable qu’au-dessus de 10 000 euros dépensés.
"Le développement du cookieless favorise temporairement l’essor de l’OI”
Dernière pierre dans le jardin du programmatique : son coût ! “Le marché prend conscience de l’importance de l’adtech tax”, résume Sébastien Noël. Une adtech tax qui a augmenté en même temps que le nombre d’intermédiaires associés à une vente et qui, avec les changements récents, devient de moins en moins légitime. C’est un autre effet de bord de la disparition progressive des cookies tiers. On passe de l’audience planning (ciblage selon des personnes) au média planning (ciblage selon des contextes). Une pratique pour laquelle la valeur ajoutée des outils programmatiques est, peut-être, un peu moins évidente. “C’est une évidence, le développement du cookieless favorise temporairement l’essor de l’OI”, déclare Julien Levy, patron des investissements chez GroupM. “C’est particulièrement visible sur tout l’inventaire lié à Firefox et Safari et c’est, pour les éditeurs premiums, plutôt une bonne nouvelle puisqu’il y a moins d’intermédiaires qui captent de la valeur”, ajoute Sébastien Noël. “Ça me coûte beaucoup moins cher de vendre en gré à gré qu’en programmatique”, conclut un patron de régie.