- Intégrer en post-production une affiche pub ou le produit d'une marque c'est, à en croire, Amazon et NBCU, l'avenir de la publicité sur les TV connectées. Le duo a communiqué, à quelques jours d’intervalles, sur le déploiement de leur offre de placement de produit virtuel (VPP).
- On vous explique pourquoi les chaînes TV françaises sont, elles, beaucoup moins enthousiastes là dessus.
Le placement de produit, nouveau levier de croissance de la TV connectée ? C’est en tout cas la conviction de deux géants américains des médias, Amazon et NBCU qui ont, à quelques jours d’intervalles, communiqué sur le déploiement de leur offre de placement de produit virtuel (VPP). De quoi parle-t-on ? D’une technique de post-production permettant d’insérer une affiche publicitaire, ou carrément le produit d’une marque, au cœur d’une scène de film, série ou show télé diffusé depuis l’écran d’une Smart TV, d’une console de jeux-vidéo ou d’un boîtier type Fire TV d’Amazon.
Amazon, qui a annoncé le déploiement de la technologie au sein des catalogues Prime Video et Freevee (anciennement Imdb.tv), a ainsi donné l’exemple d’un bol de M&M’s intégré en post-production à la scène de l’une de ses séries phares, “Bosch : Legacy”. Le rendu est aussi bluffant que porteur de promesses pour des studios qui devaient jusque-là convenir, bien en amont du tournage, des opérations de placement de produit à tourner et les réaliser en même temps qu’est shooté le programme. Un processus fastidieux qui limitait forcément les possibilités de partenariats de ce genre, assure Amazon.
“Le placement de produit virtuel est un bon moyen pour les marques d’investir le territoire des plateformes vidéos payantes, où la publicité est quasiment inexistante”
Les annonces d’Amazon et de NBC ont largement été relayées aux Etats-Unis, un marché où la consommation de plateformes vidéo est très forte (65% des consommateurs sont abonnés à trois services de SVOD ou plus selon une étude Activate). “Le placement de produit virtuel est un bon moyen pour les marques d’investir le territoire des plateformes vidéos payantes, où la publicité est quasiment inexistante”, estime Michael Shields.
Ce dirigeant a rejoint le géant de la publicité native, Triplelift, en 2019 pour l’aider à construire une offre de CTV. Triplelift propose aujourd’hui aux marques d’acheter des emplacements publicitaires natifs en 2D ou 3D au sein des plus de 48 000 épisodes des 20 studios avec lesquels il collabore. On y retrouve les formats de placement de produit virtuels évoqués plus haut, mais aussi des emplacements display plus “classiques” (split-screen, habillage publicitaire…). Le tout vendu en programmatique.
“Notre technologie de machine learning analyse chaque flux vidéo et identifie les emplacements les plus opportuns pour faire du placement de produit virtuel”, explique Michael Shields. L’IA élimine de facto les contextes jugés non brand safe (une scène de crime, un accident de voiture, un drame…) et ceux où l’intégration en post-production présente trop de difficultés (problème de lumière par exemple). Un appel publicitaire est généré quelques secondes avant que le spectateur n’arrive au point de visionnage identifié par Triplelift. Les DSP partenaires de l’adtech enchérissent alors et la création du gagnant est affichée. L’acheteur accède ensuite à des reportings au sein desquels sont recensés le nombre d’impressions achetées, le CPM moyen, la typologie d’audience touchée…
C’est toute la “magie” du programmatique. On diffuse, en quelques minutes, une campagne “at scale” et avec de la donnée 1st party, pour afficher la bonne publicité au bon consommateur. Rappelons que Triplelift a mis la main sur 1plusX, spécialiste de la 1st party data, fin mars. Ce qui devrait lui permettre d’amener le marché de la publicité CTV à un tout autre niveau, placement de produit virtuel y compris.
"TF1 Pub a vendu quelques opérations sur le linéaire et le replay mais cela reste modeste"
“Nous recevons des demandes en provenance de tous les pays du monde mais nous nous concentrons en 2022 sur les Etats-Unis”, prévient Michael Shields. Et difficile d’imaginer Triplelift proposer son offre de placement de produit virtuel en Europe de sitôt. “Il y a autant de législations que de pays, ce n’est pas évident”, concède Michael Shield. Celle de la France est particulièrement restrictive. TF1, France Télévisions et M6 en savent quelque chose, eux qui testent le placement de produit virtuel depuis quelques années déjà, en s’appuyant sur la technologie de l’anglais Mirriad. “Nous avons vendu quelques opérations sur le linéaire et le replay mais cela reste modeste”, résume Philippe Boscher, directeur marketing adjoint chez TF1 Pub. Techniquement, rien à redire, “c’est bluffant de réalisme”, mais ces dispositifs restent difficiles à industrialiser.
La faute, d’abord, au contexte réglementaire évoqué plus haut. “La règlementation française nous interdit de faire du placement de produit ailleurs que sur des fictions audiovisuelles ”, rappelle Philippe Boscher. Pour une chaîne comme M6, plus connue pour ses programmes de flux (Top Chef, l’Amour est dans le pré, Pékin Express…) que pour ses fictions, c’est presque rédhibitoire. “Le seul test que nous avons pu faire, c’était pour Scènes de ménages”, se souvient son directeur marketing BtoB et innovation, Maxime André.
Pour une chaîne comme TF1, qui a de nombreuses fictions maison au catalogue, ça l’est un peu moins, mais ça limite tout de même considérablement la marge de manœuvre. “On ne peut rien faire sur des programmes à forte audience comme The Voice ou Masked Singer”, illustre Philippe Boscher. Alors que rien n’empêche NBC, diffuseur de The Voice US, d’intégrer le programme à son offre de placement de produit virtuel. “Sur The Voice US, ils ont pu déjà aller assez loin dans l’intégration de marques avec, par exemple, une après-émission qui était tournée dans un Starbucks”, se souvient Philippe Boscher.
“La loi nous interdit de faire du placement de produit sur des programmes à forte audience comme The Voice ou Masked Singer"
Cantonnées à la fiction, les opérations de placement de produit font face à plusieurs obstacles. D’abord, celui du producteur avec lequel la chaîne s’est associée. “Kabo, le studio de production derrière Scènes de ménages, nous impose de passer par lui à chaque proposition de placement de produit”, reconnaît Maxime André. Une contrainte légitime… mais qui annule l’intérêt de passer par une technologie qui automatise tout le processus. “Le danger, c’est de porter préjudice à la crédibilité de l’histoire avec un placement de produit raté”, prévient Philippe Boscher.
Sous réserve que le producteur accepte, il faut donc ensuite trouver le bon “fit”. Ce qui n’arrive pas si souvent, à en croire le dirigeant. “Oui, on peut faire apparaître un panneau d’affichage, voire une voiture, à l’occasion mais les opportunités ne sont pas aussi nombreuses qu’on peut le penser.”
Si tous ces écueils n’avaient pas suffi à rebuter les marques, il en reste un dernier : celui de la mesure. “On a développé des post tests ponctuels très positifs sur des campagnes de placement produit virtuel Résultats Etude post test SEAT mais les KPI restent difficiles là aussi à industrialiser”, reconnaît Philippe Boscher. Les annonceurs derniers devaient se contenter de comptes rendus de diffusion qui se résumaient à un extrait du programme et son audience… Loin de la granularité d’un média comme le DOOH, désormais capable de passer d’un CPM play à un CPM contact grâce à la logique d’impression multiplier.
On est donc, en France, loin de l’automatisation promise par les technologies américaines. “On ne vend pas du placement de produit seul, prévient d’ailleurs Maxime André. On vend des opérations spéciales intégrées.” Le partenariat avec Mirriad était ainsi poussé par les cellules OPS des régies TV. Les récentes annonces outre-Atlantique peuvent-elles y changer quoi que ce soit ? “On voit qu’Amazon et NBC en parlent beaucoup en ce moment, ça va peut-être nous pousser à nous y replonger… même si les freins n’ont pas changé”, explique Philippe Boscher.
“On voit qu’Amazon et NBC en parlent beaucoup en ce moment, ça va peut-être nous pousser à nous y replonger… même si les freins n’ont pas changé”
Chez M6, on explique avoir initié des discussions avec Ryff, autre spécialiste américain du placement de produit virtuel. Sans toutefois se projeter plus que ça. “On parle tout de même de gros développements, il faut que le volume soit au rendez-vous pour que le jeu en vaille la chandelle”, prévient Maxime André. Le dirigeant est en revanche beaucoup plus enthousiaste au moment d’évoquer une autre piste… Celle des technologies capables de détecter les vêtements et produits portés par les participants d’une émission ou d’une série. Un mix entre IA et reconnaissance visuelle qui peut aboutir, en même temps que la diffusion, à l’affichage d’une publicité pour les produits repérés. “On échange avec des technologies américaines situées sur ce créneau”, précise Maxime André.
Il faut dire qu’il y a urgence. “Avec des écrans publicitaires déjà bien remplis et une audience qui décélère, toute opportunité de revenus supplémentaires est évidemment la bienvenue”, conclut Maxime André. Le placement de produit, qui pèse plus de 23,3 milliards de dollars d’investissements dans le monde en 2021 selon une étude de PQ Media, en est clairement une…