- Depuis l’annonce du lancement de son offre publicitaire, Netflix accapare l’attention du marché et c'est logique puisqu'il s’agit d’un acteur qui revendique plus de 10 millions de foyers abonnés en France (donc du reach), des contenus exclusifs reconnus (donc brand safe et qualitatifs) et des capacités (potentielles) de ciblage très puissantes.
- Sur le papier, c’est le meilleur des 2 mondes : la puissance de la TV linéaire (donc sa capacité à toucher un large public au même moment) associée aux capacités de ciblage du digital.
Voilà pour la théorie. Car tout cela reste bien évidemment à confirmer et les interrogations sont d’ailleurs encore nombreuses. Quelle sera l’adoption du public français ? Netflix va-t-il revenir à des niveaux de CPM plus cohérents rapidement ? Quid d’un ciblage plus granulaire qu’au lancement ? Autant de questions en suspens, qui font qu’il faudra sûrement patienter au moins 12 mois avant de se prononcer sur le succès (ou non) de ce lancement en pub.
Il sera tout aussi intéressant de suivre le manque à gagner en termes d’audience pour les chaînes de TV, si Netflix développe davantage son parc d’abonnés avec cette offre. Car même si son offre pub fait ses premiers pas, Netflix pique du “temps de cerveau disponible” aux chaînes de TV… depuis des années. L’enjeu de la mesure de son audience n’est donc pas nouveau.
Comment classer cette offre : est-ce de la TV ? de la vidéo ? Et donc dans quelle poche budgétaire les annonceurs qui souhaitent investir sur Netflix vont-ils piocher ? On peut penser que c’est bien de la TV : la consommation pour l’abonné de Netflix étant le fruit d’un choix entre TV linéaire et non linéaire, dans les mêmes conditions de qualité qu’offre le “device” TV, sur des contenus longs et professionnels et potentiellement une écoute conjointe (plusieurs membres du même foyer devant l’écran). Une fois les premières semaines du lancement passées, Netflix va donc être confronté aux mêmes problématiques que les acteurs historiques TV.
Un besoin de mesure d’audience commune
Médiamétrie est actif sur le sujet et a raison : les annonceurs vont avoir besoin de mesurer l’impact de Netflix dans leurs plans en termes d’apport de couverture et surtout de couverture utile (% de la cible touchée avec le niveau de répétition le plus optimum), denrée qui se raréfie avec la baisse des audiences de TV linéaire.
D’autant que l’on peut penser que cette offre apportera des téléspectateurs moins assidus à la TV linéaire, donc de la couverture incrémentale potentielle. Netflix sera en capacité de maîtriser le frequency capping (donc optimiser l’exposition et par extension la couverture utile), un outil dont ne dispose pas la TV linéaire non segmentée.
Avant de parler de ROI, revenons aux fondamentaux du mediaplanning TV. En basculant une partie de leur budget de TV linéaire vers Netflix (l’exercice vaut pour toute offre alternative au final), les annonceurs sont en droit de se demander quel est l’apport de couverture et (surtout) de couverture utile sur une cible donnée. Le sujet du CPM, jugé trop élevé, pourrait alors être secondaire si l’apport de couverture utile est économique. Mais encore faut-il avoir la mesure pour le prouver…
Aussi, il est bon de rappeler que la mesure de la TV linéaire se fait actuellement à l’individu, sur la base du panel Médiamétrie. Netflix disposera, quant à lui, de données d’audience du compte utilisé (parfois individuel, parfois familial) pour accéder à ses contenus. Qui est réellement derrière l’écran ? Netflix ne le sait pas vraiment. Cela ne posera pas de soucis majeurs pour bon nombre d’annonceurs (bien d’équipements, auto, banque/assurance…) car la décision est souvent commune au sein du foyer mais dans un souci de KPI commun avec la TV linéaire, il faudra y remédier. De préférence par l’intermédiaire d’un mesureur impartial. Vous l’aurez compris, il y a du travail.
La bonne nouvelle, c’est que Netflix sera rapidement en capacité de faire des croisements avec des data tierces pour enrichir la connaissance de son parc d’abonnés et donc proposer des ciblages qui vont au-delà du socio-démo. C’est tout l’intérêt de la TV adressable : aller plus loin que ce que ne peut pas faire le linéaire non adressé.
Il n’empêche que le mètre étalon en TV, média de masse oblige, est encore le socio-démo (et le restera longtemps). Il faut donc une clé de réconciliation commune et on peut donc penser que les panels ont (encore) de beaux jours devant eux, sans pour autant se limiter à ces seuls critères de ciblage…
Rendre la data de ciblage liquide
Dans un monde où les capacités de croisement de données sont multiples (1st/3rd party) et plus uniquement basées sur des cibles “sur étagère” (socio-démo par exemple), l’annonceur doit être en mesure d’accéder en self-service à un minimum d’informations sur ses audiences. Cela lui permettra : 1) de construire des cibles custom et étudier son comportement TV et 2) s’affranchir de la négo imposée sur du socio-démo, comme en TV linéaire, en achetant ces cibles au CPM.
C’est tout ce qui freine aujourd’hui le développement de la TV segmentée : beaucoup d’aller-retour et de traitement manuel sur la constitution de cibles ad’hoc, aucune donnée pour prévoir les audiences et volumes côté buy-side de manière granulaire… Difficile, dans ces conditions, d’arbitrer et d’accélérer les investissements. A l’ère de la programmatisation des médias offline, cela paraît contradictoire.
Cependant on peut aisément penser que le choix de Netflix d’intégrer le full stack Xandr (sell et buy-side) facilitera grandement ce développement. Sera-t-il prêt, commercialement, à donner (un peu) plus d’informations sur ses audiences ? Pas si sûr…
Enfin, on peut rêver d’une data cross plateformes, mais cela restera illusoire pour un bon moment : la TV adressable, c’est finalement une somme de walled gardens, comme en digital… Difficile de trouver un consensus à plusieurs acteurs et chacun croit protéger sa valeur au détriment du volume de cette manière. Or ces marchés ont besoin de volume avant tout pour être pérennisés…
Quoi qu’il en soit, l’arrivée de ce nouvel acteur, en attendant d’autres comme Disney+, accélère l’approche « Total Vidéo » pour les annonceurs et leurs agences. Des campagnes TV qui ne s’envisagent plus uniquement en linéaire non adressée mais avec tous les autres leviers qualifiés par l’IAB comme appartenant à l’Advanced TV : TV segmentée, plateformes de replay des chaînes TV, galaxie des offres d’AVOD comme Molotov, Pluto, Rakuten pour les plus connues…, SVOD avec pub (Netflix, Disney), et aussi un acteur étonnamment discret pour le moment : Youtube, qui a aussi de quoi revendiquer une part de ces budgets TV.
Évidemment les offres de vidéo sur les autres devices ne sont pas en reste et représentent aujourd’hui l’alternative majeure à la TV linéaire, l’advanced TV n’étant qu’à ses balbutiements.
On voit donc un marché qui s’organise autour de 2 piliers : une offre historique, majoritaire en termes d’investissement, qu’est la TV linéaire, par définition non adressable, toujours puissante mais en déclin. De l’autre, plusieurs leviers, plus ou moins matures en termes d’usage et de datas, regroupés sous la notion d’advanced TV, qui ont un point commun : ils sont tous adressables.
La question n’est plus de se demander s’il faut investir en advanced TV mais combien et avec quelle priorité au sein de ces différents leviers. On en revient donc à la mesure et accès à la data… Ce qui est certain c’est que le média TV est loin d‘être mort, et va proposer à l’avenir de plus en plus de possibilités aux annonceurs. Ce qui est une vraie opportunité au moment où l’avenir se complique sur le ciblage en digital…