- Mediamath vient d'officialiser sa faillite. L'adtech américaine a coupé toutes les campagnes qui transitaient par son DSP alors qu'elle doit près de 75 millions de dollars d'impayés auprès de ses principaux partenaires SSP et fournisseurs de data.
- Minted fait le point sur la situation.
Fondé en 2007 par Erich Wasserman, Greg Williams et Joe Zawadzki, Mediamath n’est plus. L’adtech américaine, qui fût, à sa plus belle époque, dans le top 3 des acheteurs programmatiques, vient de se déclarer en faillite. La fin d’un feuilleton qui aura duré plusieurs années et aura vu l’adtech échouer à refinancer une dette qui ne faisait que s’accroître, tout en essayant de trouver (sans succès) une porte de sortie. Et l'occasion de faire un premier bilan.
Magnite et Pubmatic sont les plus exposés, Google relativement épargné
Ce n’est pas une surprise, Mediamath est criblé de dettes. L’adtech doit près de 75 millions de dollars à ses 30 plus gros fournisseurs, selon un document accessible en ligne. Dans le lot, des SSP, des vendeurs de data… et le World Trade Center, auprès duquel Mediamath louait (très cher) ses locaux new-yorkais. L’Américain en a pour près de 2,5 millions de dollars de loyers impayés.
Créancier | Montant dû au 30 juin (en millions de dollars) |
---|---|
Magnite | 12.6 |
Pubmatic | 10.5 |
Sonobi | 5.3 |
Xandr | 4 |
Adswizz | 3.4 |
Equativ | 3.4 |
Triplelift | 2.8 |
Azerion | 2.6 |
Liveramp | 2.5 |
2.5 | |
Index Exchange | 2.2 |
OpenX | 1.9 |
Côté SSP, ses principaux créanciers sont les poids lourds du secteur : Magnite (12,6 millions de dollars), Pubmatic (10,5), Xandr (4), Equativ (3,5) et un acteur peu connu de l’Hexagone, Sonobi (5). A noter que Google était, au regard de sa part de marché, très peu exposé à Mediamath puisque ce dernier lui doit “seulement” 2,5 millions de dollars.
Plusieurs explications à cela. Les conditions de paiement de Google, qui se fait généralement payer à 30 jours, y sont sans doute pour beaucoup. Google n’a donc qu’un mois de dette, contre deux, voire trois mois pour ses concurrents. Et puis, Google étant Google, il a sans doute moins de problèmes que certains à se faire payer. Ce qui vaut à l’un de ses concurrents ce trait d’humour : “Mediamath a préféré payer Google plutôt que ses loyers, cela montre bien l'empreinte de ce dernier sur le marché.”
Une empreinte qui aura néanmoins peu d'incidence au moment de venir réclamer son dû, puisque Google, comme les autres SSP, a très peu de chances de voir un jour la couleur de son argent. C'est la banque Goldman Sachs, qui avait prêté près de 175 millions de dollars à Mediamath en 2017, qui est en effet prioritaire et qui devrait laisser peu de place aux autres.
La situation des SSP est d’autant plus dommageable que l’addition devrait être, en réalité, un peu plus salée que celle présentée ci-dessus. Le mois de juin n’ayant pas encore été facturé, il faudra donc augmenter le montant dû par Mediamath à chaque SSP de 30 à 60% (selon que la créance mentionnée plus haut concerne un ou deux mois). Pour Google, ce pourrait être même le double, si la créance affichée correspond uniquement à celle du mois de mai.
Il faudra peut-être même que certains de ces SSP remboursent des sommes que Mediamath leur a versées. “Le liquidateur peut demander aux fournisseurs qui ont été payés au cours des 90 derniers jours de restituer cet argent, si ces paiements sont considérés comme ne faisant pas partie de l'Ordinary Course of Business. C'est pour que tout le monde soit traité de la même manière dans le cadre de cette faillite”, prévient Quentin Michon, CFO d’Equativ. Forcément rageant pour les SSP qui, anticipant la chute de l’Américain, avaient fait le nécessaire pour limiter les impayés. C’est ce qui avait été demandé dans le cadre de la faillite de Sizmek en juin 2019.
Ce sont surtout les éditeurs qui doivent s’inquiéter
Si les SSP sont en première ligne, les principales victimes de cette défaillance seront, en réalité, les éditeurs. La faute à une clause nommée “sequential liability”, qui figure dans la plupart des contrats noués entre les SSP et leurs partenaires éditeurs. Une clause qui affranchit le SSP de sa dette envers l’éditeur, s’il n’a lui-même pas été payé. Dit autrement par Quentin Michon, “chacun assume l’impact de l’impayé à hauteur de son rev share, ce qui n'est que justice.”
Les 3,5 millions d’euros de créance d’Equativ affichés plus haut sont, en réalité, portées à 80% par les éditeurs dont il a vendu l’inventaire et 20% par Equativ (sa commission sur cette opération). Equativ n’est évidemment pas un cas isolé. “J’ai échangé avec deux autres directeurs administratifs et financiers de SSP, ils vont, eux aussi, mettre en jeu cette clause”, prévient Quentin Michon.
La plupart des SSP sont aujourd’hui affairés à faire le point, pour savoir lesquels de leurs éditeurs partenaires sont les plus impactés par la chute de Mediamath. “Au cours des 30 prochains jours, nous confirmerons tout montant de créances impayées qui vous est dû par MediaMath et comment il sera géré”, écrit Pubmatic à ses clients. Peu ou prou le même langage chez les autres.
Un impact anecdotique en France
Passé le choc de la chute d’un des pionniers du programmatique, un constat : Mediamath avait perdu de sa superbe. Ari Paparo, fondateur de Beeswax et Marketecture, estime dans un podcast dédié à la chute de l’Américain que Mediamath ne gérait plus que 500 millions de dollars d’investissements médias annuels (contre 1 milliard à son plus haut).
On situe, en comparaison, DV 360 autour des 10 milliards de dollars et The Trade Desk, 5 milliards de dollars. Mediamath n’était déjà plus le “top tier DSP” qu’il a, un temps, été et ce même si, Havas Media, dont les équipes ont dû passer un week-end animé, restait un gros utilisateur.
Les répercussions de cette chute sont d’autant plus faibles dans l’Hexagone que Mediamath était devenu, avec le temps, un DSP qui opérait essentiellement sur son marché domestique. Sa part de marché était devenue microscopique en France. 0,23% au second trimestre, selon des données communiquées à Minted par Adomik. Le DSP américain ne figurait plus, depuis l’année dernière, dans le top 15 des plus gros bidders programmatique du baromètre réalisé tous les 6 mois par Alliance Digitale.
Minted a pu échanger avec trois des plus grosses régies du marché français : media.figaro, Prisma Media et Reworld Media. Toutes nous ont fait le même retour : les revenus apportés par Mediamath étaient devenus anecdotiques. De quoi en faire un “non-sujet”, selon l’une d’entre elles. Mykim Chikli, CEO EMEA de Weborama, prévient que “les autres DSP ne doivent pas s’attendre à un gros appel d’air, côté business.”
Mediamath n’est pas (complètement) mort
La première surprise, c’est que Mediamath s’est placé sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites, ce qui lui permet (en théorie) de continuer à opérer et même d’espérer se remettre en ordre de marche, une fois la procédure terminée. Une procédure moins “extrême” qu’un dépôt de bilan au titre du chapitre 7, comme annoncé par Adexchanger dans un premier temps, qui aurait vu Mediamath liquider ses actifs pour permettre le remboursement de ses dettes. Difficile, pour autant, de lui imaginer un avenir.
D’abord, parce que le pionnier américain du programmatique a pris la décision de complètement stopper les machines. Plus aucune campagne média ne transite par le DSP depuis ce week-end et l’annonce de sa faillite. Ensuite, parce que la grande majorité de ses 300 collaborateurs a été licenciée et qu’il ne reste donc plus grand monde à bord. Peut-être un dernier espoir d’exit, si les négociations avec Viant et Verve reprennent ? “Ou un nouvel entrant du retail media qui pourrait en profiter pour mettre la main sur une technologie déjà prête à bas coût”, suggère Mykim Chikli. Comme Macy’s, client historique de Mediamath ou Uber, dont les ambitions en la matière ne sont plus à prouver.
La concurrence devrait, en tout cas, être moins vive qu’au moment du démantèlement de Sizmek, qui mettait, lui, en jeu une technologie d’adserving. “Il y a moins de 5 adservers dans le monde contre une cinquantaine de bidders dans le monde. La technologie de Mediamath est devenue une commodité”, analyse un patron de SSP. Le montant de l’opération serait néanmoins sensiblement moins élevé que les 60 millions de dollars évoqués jusque-là. Et resterait une paille, comparée aux 600 millions de dollars levés par Mediamath au cours de son existence…