Le social publishing est-il la planche de salut des sites médias ?


  • Spoiler : non. Mais cette pratique, qui permet aux marques de profiter du pouvoir de prescription d’un média pour diffuser, depuis ses comptes sociaux, une campagne publicitaire, a le vent en poupe.

  • Elle pourrait permettre aux médias d’aller grignoter une (petite) partie des plus de 3 milliards d’euros qui sont consacrés aux plateformes sociales. Des régies comme Reworld MediaConnect, TheBonCollectif ou Brands to Media l’ont bien compris.

C’est la nouvelle marotte des régies médias de l’Open Web pour remédier à un contexte difficile tant du point de vue des audiences que des revenus qu’elles réalisent via le display classique. Je vous parle de cette pratique qui les voient monétiser les audiences qu’elles attirent sur les plateformes sociales.  

Des audiences qui se comptent en millions (de followers, like et vues) mais sur lesquelles elles captent, pour l’instant, peu de valeur. Rares sont encore les plateformes sociales qui acceptent de mettre en place des programmes de partage de revenus publicitaires avec les régies concernées, via les mécaniques d’ad break. Et rares sont les régie médias qui ont, à date, réussi à industrialiser leurs OPS sur ces nouveaux environnements.

L’alternative ? Profiter du pouvoir de prescription de son média pour diffuser, via ses comptes sociaux, le message d’une marque. Aujourd’hui, via Facebook et Instagram. Demain, via TikTok et Snap.

C'est, par exemple, la page Instagram d’Auto Plus qui met en avant, via un post dédié, le dernier modèle d’un nouveau modèle automobile. L'internaute qui clique atterrit sur le site du fabricant.

C’est, typiquement, la page Instagram d’Auto Plus qui met en avant, via un post dédié, le dernier modèle d’un fabricant automobile. Ou celle des Numériques qui fait la promo du dernier Samsung. Dans les deux cas, l’internaute qui clique sur le post atterrit sur le site de la marque. 

Tous les formats sont compatibles : display, carrousel, vidéo, stories… Le message est clairement labellisé comme étant publicitaire. Il est, le plus souvent, exclusivement mis en avant via un budget paid media et n'apparaît donc pas sur la page d’accueil du média concerné (on parle de dark posts).

Les assets créatifs sont, eux, fournis par la marque et correspondent, le plus souvent, à ceux qu’elle utilise pour ses campagnes sociales en propre. “Il suffit que le média délègue l’accès à certaines fonctionnalités de son business manager pour faire transiter la créa pub”, précise Jérémy Parola, directeur des activités digitales de Reworld Media..

La marque peut alors décider de cibler uniquement les fans de la page du média ou, a contrario, ceux qui ne le sont pas mais appartiennent à un segment intentionniste. Elle peut également accéder à un bilan unifié, entre ses campagnes en propre et celles qui transitent via le média. “C’est important pour gérer le capping entre ces deux”, explique Jérémy Parola. 

ZBO Media opère ce genre de campagnes pour le compte de Media.figaro depuis fin 2020 et Mediads, un réseau de "social marketing amplification" qui revendique 180 éditeurs partenaires, existe lui depuis près d'un an. Reworld Media et Publicis Media, qui en font depuis un an, parlent de social publishing. Antoine Constantin, le fondateur de TheBonCollectif, une régie qui s’occupe des intérêts de 80 sites premiums plutôt niches (Antidote, Nylon, View ou Daze), parle, lui, de social display. Quant à Hocine Sadki, il lui ajoute une dimension de confiance, à travers la notion de “trusted social ads”. 

Brands to Medias veut industrialiser la pratique en l'ouvrant à la longue traîne des annonceurs qui représentent le gros des revenus pubs de Meta

L’ancien fondateur de BeOp  consacre carrément sa nouvelle aventure entrepreneuriale à la pratique, puisque Brands to Medias, société qu’il a lancée avec Alexis Chalal (qui est également fondateur de Medias France), propose à des marques médias comme Forbes, Konbini ou Beaboss de rejoindre sa plateforme pour gagner en visibilité auprès des TPE et PME. 

“On essaie d’industrialiser la pratique et notamment de s’attaquer à une des principales frictions rencontrées dans ce genre de dispositif : les nombreux allers-retours nécessaires pour valider les assets créatifs”, explique Hocine Sadki. Plus besoin de passer par le mail, tout se fait au sein de la plateforme. “L’éditeur valide les rendus directement au sein de cette dernière.” Un gain de temps précieux dans cette étape critique pour des médias qui ne veulent pas ternir leur image pour quelques milliers d’euros.

Faire du social publishing, c’est, au fond, faire appel aux mêmes ressorts psychologiques que quand on a recours à des assets UGC (c’est à dire générés par des personnes lambda) pour faire plus authentique. On essaie de casser la “banner blindness” que nous sommes nombreux à avoir développée, après des années à naviguer sur Internet (et à être exposés à d’innombrables publicités). Simplement, on ne change, ici, pas le contenu publicitaire… mais l’émetteur de ce contenu. 

“Ce changement d’émetteur laisse, sans conteste, beaucoup plus de chances au message publicitaire d’être vu”, observe Thomas Mesnier, directeur innovation social media chez Publicis Media. Tout simplement parce qu’il atténue la dimension promotionnelle du message. Et qu’il permet à la marque de s’appuyer sur l’aura d’un média. 

“Ce dernier va jouer le rôle de tiers de confiance référent entre, d’un côté, la marque, et, de l’autre, son audience”, ajoute Antoine Constantin. Et de donner l’exemple des marques de luxe, plutôt friandes de ce genre de dispositifs, pour toucher la Gen Z. “Elles ont besoin de la crédibilité des médias que nous activons pour y arriver”, estime Antoine Constantin.

“Une même annonce publiée depuis le compte du média aura systématiquement plus d’impact que celle postée depuis le compte de la marque”

“Une même annonce publiée depuis le compte du média aura systématiquement plus d’impact que celle postée depuis le compte de la marque”, poursuit Thomas Mesnier. Selon les statistiques de l’agence, on parle d’un taux de vue à 3 secondes qui est boosté de 24%. “Une performance qui justifie le surcoût que représente la commission du média émetteur”, assure Thomas Mesnier.

Le modèle économique est plutôt simple. La marque paie 100% du budget de la campagne et s’acquitte d’une commission au média dont elle utilise les comptes sociaux. Le bénéfice pour ce dernier est double : il est rémunéré et on lui finance une visibilité additionnelle sur les réseaux sociaux. “Cela permet même à certains de gagner des followers supplémentaires”, note Thomas Mesnier. 

L’échantillon est, bien évidemment, encore trop limité pour en tirer des grandes vérités (Reworld et Publicis Media ont mené une vingtaine de campagnes de ce type). D’autant que l’on peut se demander si, à mesure que se démocratise la pratique, les effets du changement d’émetteur ne vont pas s’atténuer. 

C’est la raison pour laquelle Thomas Mesnier recommande aux marques de vraiment “s’appuyer sur l’expertise des médias pour co-construire le message publicitaire.” L’expert est partisan d’une approche raisonnée, lui qui déconseille de travailler avec plus d’un média à la fois. 

D’abord parce que faire appel à plein d’éditeurs qui relaient votre publicité avec le même “look and feel” est contraire à l’esprit même de la pratique, selon Thomas Mesnier. Et puis parce que travailler avec un seul média permet de limiter les allers-retours avec les interlocuteurs, tout en évitant de splitter votre budget publicitaire entre de nombreux médias… Au risque de diluer le message.

Jérémy Parola encourage, lui, les marques à capitaliser sur la data de son groupe pour arriver à des ciblages pertinents. “Nous sommes capables de proposer plus de 1 200 segments sur étagère dont une bonne partie n’est pas disponible chez Meta”, précise le dirigeant. Reworld est également capable d’en proposer sur mesure, pour les plus pointus.

“Le recours à cette data 1st party, c’est le sens de l’histoire”, reconnaît Thomas Mesnier. Même si l’expert alerte sur les dangers d’altérer les volumes en segmentant un peu trop ses audiences. Or, c’est bien connu, le social a besoin de volume pour fonctionner. 

Jérémy Parola reconnaît que cela prend parfois un peu de temps et d’énergie que d’expliquer le concept aux marques. “Il faut parfois démystifier certaines choses.” Reste que ceux qui se laissent tenter, reviennent inexorablement. “On a un taux de renouvellement qui avoisine les 100%, c’est franchement du jamais vu”, s’enthousiasme Jérémy Parola. 

Reworld Media passe par les agences médias pour toucher le top 200 des annonceurs et par des sous-régies, comme Brands to Medias, pour attirer la moyenne - longue traîne. “Hocine et ses équipes ont une vraie expertise sur cette typologie d’annonceurs qui représente tout de même plus de 40 000 clients cibles”, justifie Jérémy Parola. Un passage obligé pour surfer sur la croissance du social, alors que cette dernière est, effectivement, alimentée aux deux-tiers par la longue traîne. 

“On fait le go-between entre l’annonceur et notre réseau d’éditeurs, explique Hocine Sadki. On définit, avec le client, ses besoins en termes de cible et de budget. On va lui proposer une grille de médias partenaires en conséquence et, s’il le souhaite, on pourra opérer nous même la campagne.” 

Une approche hybride qui s’adapte au niveau de maturité de l’annonceur sur le sujet de l’acquisition en ligne. “On a déjà mené des campagnes pour des applications mobiles, des spécialistes de la formation ou des acteurs du secteur énergie ou hardware”, énumère Hocine Sadki. Tout comme Reworld Media, Brand to Medias revendique un taux de satisfaction proche de 100%. “Tous les clients signés en mars ont augmenté leur budget d'investissemen mensuel.” 

“Tous les clients signés en mars ont augmenté leur budget d'investissement mensuel.” 

La plateforme, qui se rémunère via une commission qui est dégressive (plus le budget dépensé est élevé, plus le pourcentage prélevé diminue), discute actuellement avec une petite dizaine d’éditeurs. “On sent que les éditeurs sont hyper réceptifs”, s’enthousiasme Hocine Sadki. Même constat du côté de Thomas Mesnier, qui échange, lui aussi, pas mal avec les éditeurs. “On discute avec toutes les régies”, confie l’expert. 

Du groupe Marie Claire à CMI Media, en passant par Prisma Media ou le groupe Figaro, ils sont, selon nos informations, tous intéressés. “Bien évidemment, ça concerne plutôt les titres de presse infotainment, ou très verticalisés dans la mode, la beauté, l’automobile, la tech, le bricolage”, précise un connaisseur du sujet. Dit autrement, ce sera, côté Figaro, plutôt Gala ou Figaro Madame, que le titre de presse quotidienne. “Les cloisons entre édito et pub sont bien plus épaisses chez les titres d’actualité”, s’amuse notre connaisseur.

“C’est vital pour ces éditeurs de créer de nouvelles lignes de revenus alors que le modèle économique de l’Open Web vacille”, estime Hocine Sadki. L’enjeu est de taille : récupérer une partie des 3 milliards d’euros qui sont alloués chaque années aux plateformes sociales, selon l’Observatoire de l’ePub. “C’est un bon moyen, pour les médias, de ne pas être exclus du gros de l’investissement en social. Les OPS, qui étaient jusque-là le seul moyen d’y arriver, restant une part microscopique de ces investissements”, justifie Jérémy Parola.

“Pour des magazines niches, comme ceux que nous accompagnons, il est plus facile d’atteindre des audiences significatives sur ces plateformes”, estime Antoine Constantin, donnant l’exemple d’un magazine qui tire à 10 000 exemplaires en print et compte 500 000 abonnés sur Instagram. Et d’ajouter : “la réalité, c’est qu’au vu du temps passé sur ces plateformes sociales, c’est près de 80% du funnel de conversion qui s’y niche.”

 “Je pense que ces budgets social publishing peuvent à terme représenter entre 10 et 20% des investissements en paid social”, chiffre Thomas Mesnier.Tout en précisant que l’ensemble de cette somme n’atterrira de toute façon pas dans les poches des éditeurs (qui récupèrent juste un fee). “Si 3 à 4% des 3 milliards que j’évoquais plus haut reviennent au média, ce sera déjà pas mal”, conclut Jérémy Parola.