Le plan de Nestlé pour gagner en transparence financière sur ses investissements programmatiques


  • 18 mois après avoir découvert que 13 % de son budget publicitaire programmatique disparaissait dans des circuits opaques, Nestlé, passe à l’action avec le lancement de MoneytR, une plateforme de suivi des flux financiers qu'il a mise sur pied avec ses deux partenaires, Hubvisor et OpenMind.
  • Julien Lamb, media lead de Nestlé France, et Sylvain Travers, fondateur de Hubvisor, nous expliquent à quoi ressemblera cette initiative sans précédent. 
 

“On n’en est plus au stade de trouver qui est coupable et qui ne l’est pas. La priorité, désormais, c’est de limiter la part de nos investissements en open auction qui s’évanouit dans la nature.” Julien Lamb, media lead de Nestlé France, donne le ton au moment de nous présenter MoneytR, une plateforme de suivi des flux financiers co-construite avec Hubvisor et son agence média OpenMind.

“Cette plateforme, c’est l’aboutissement de 2 années passées à plancher sur l’optimisation de la chaîne de valeur programmatique”, résume Julien Lamb. Un chantier qui avait commencé de manière fracassante, avec la mise en place d’un test démontrant en mars 2023 que 13% du budget alloué par Nestlé à l’open auction s'évaporait dans la nature. “C’est à dire qu’il n’était ni rétribué ou facturé par les SSP à l’éditeur partenaire du test…  mais en revanche bien imputé dans le budget Nestlé”, précise Julien Lamb.

Evidemment explosif pour un secteur du programmatique dont l’opacité est souvent décriée. Notamment depuis la publication en décembre 2020 d’une étude de l’ISBA qui révélait qu’à peine 49% du montant dépensé par un annonceur allait dans les poches d’un éditeur et, surtout, que 15% de cette enveloppe disparaissait sans que l’on sache qui, des nombreux intermédiaires qui jalonnent la chaîne de valeur programmatique, mettait la main dessus.

“On a voulu s’assurer que ce n’était pas un problème ponctuel, en réalisant des tests à plus grande échelle”, révèle Julien Lamb. C’est le sens d’un nouveau test lancé fin 2023, avec la plupart des SSP leaders du marché et sur l’inventaire de trois éditeurs aux profils variés. “Les SSP partenaires exportaient quotidiennement leurs données auprès d’Hubvisor qui faisait office de tiers de confiance”, précise le fondateur de la société, Sylvain Travers..

Un test d’une toute autre ampleur et qui a abouti… au même résultat. “On avait encore une moyenne de 13% du budget média que l’on ne retrouvait pas”, commente Julien Lamb. Avec toutefois une petite différence : ce pourcentage ne montait “que” jusqu’à 18% dans le pire des cas, là où il pouvait atteindre les 27,5% sur le premier test.

Une maigre satisfaction. D’autant que ce nouveau test n’a pas permis de faire la lumière sur l’origine de ce delta. “On n’a toujours pas d’explication ni même d’hypothèse particulière”, reconnaît Julien Lamb. Bien qu’il n’ait toujours pas identifié la source exacte du problème, l’expert estime que l’implication de l’ensemble des acteurs de la chaîne programmatique dans le projet est, à elle seule, un signal positif.

Ca n’en reste pas moins un problème que Nestlé se devait d’adresser. D’abord en mettant en place une stratégie de SPO (supply path optimization) qui lui permet d’éviter les routes où la déperdition est la plus forte. 

“La fonctionnalité ‘volume control’ de The Trade Desk nous a d’abord permis de prioriser les routes directes vers l’inventaire des plus gros éditeurs français”, détaille Julien Lamb. Étaient concernés : les éditeurs clients de la solution Direct Path de Hubvisor et ceux qui sont branchés à Open Path de The Trade Desk. Mais aussi Prisma Media, qui interroge The Trade Desk via une route server.

Ces routes concernant uniquement 10 à 15% des investissements que Nestlé allouent à l’open auction, il a évidemment fallu aller voir les plus gros éditeurs français pour identifier, pour chacun d’entre eux, les SSP et les chemins associés les plus pertinents afin de prioriser d’autres chemins garantissant une bon niveau de transparence. Puis pour compléter le tout “Nestlé a établi des blocklists sur les sites MFA les plus connus, exclu les resellers identifiés via ads.txt ainsi que les formats in-banner vidéo”, ajoute Julien Lamb.

Un travail d’assainissement qui a vite porté ses fruits : +8% de visibilité et +40% de win rate par rapport à une campagne non optimisée. Pour une économie carbone de 20% et un CPM qui pouvait baisser jusqu’à 50%. Louable mais pas suffisant pour éradiquer la déperdition évoquée plus haut.

“Plutôt que de se contenter de contrôles ponctuels, on a donc réfléchi aux moyens de procéder à ce travail d’audit de manière continue”

“Plutôt que de se contenter de contrôles ponctuels, on a donc réfléchi aux moyens de procéder à ce travail d’audit de manière continue”, ajoute Sylvain Travers. C’est là que la plateforme de suivi des flux financiers MoneytR entre en piste. “On propose aux SSP qui veulent bien jouer le jeu de nous envoyer, de manière quotidienne, certaines données relatives aux impressions qui transitent par leur plateforme”, détaille Sylvain Travers. 

Cela permet à Hubvisor d’opérer un travail de réconciliation avec les outils d’achat de Nestlé qui se prêtent, eux aussi, à l’exercice. Chaque partie prenante (annonceur, agence et  éditeurs) peut accéder à la plateforme (sans toutefois voir la même chose pour des raisons évidentes de confidentialité). 

Le monitoring est en place pour cinq “chemins” programmatiques : celui de Hubvisor et celui de quatre SSP. Deux autres routes doivent être finalisées d’ici la fin de l’année. “C’est encore un chantier en cours”, commente Sylvain Travers. Le travail est fastidieux car, comme l’a rappelé un travail d’Alliance Digitale sur le sujet, les adtech utilisent souvent des terminologies qui leur sont propres.

Il faut donc trouver des clés universelles pour pouvoir réconcilier certaines métriques. Et, in fine, “permettre à chaque extrémité de la chaîne d’avoir une lecture très claire de la circulation financière, avec un taux de déperdition pour chaque maillon de la chaîne”, précise Sylvain Travers.

Qu’attendre de cette plateforme ? “Ça ne va pas révolutionner le marché, pas plus que cela ne nous permettra vraisemblablement d’identifier des tricheurs”, reconnaît Sylvain Travers. Mais cela garantit aux annonceurs de dépenser leurs budgets médias dans des environnements qui sont surveillés. Et c’est une première !

Cela permet aussi de valoriser les SSP qui montrent patte blanche et ceux qui, à l’inverse, refusent d’être parties prenantes. “On a quelques rares cas de SSP qui ont refusé”, témoigne Sylvain Travers, tout en refusant de donner des noms, “le but n’étant pas de stigmatiser untel ou untel.”

Cela nourrira à terme nos algorithmes de custom bidding, annonce Julien Lamb, pour que la ventilation du budget média se fasse en priorité sur les SSP qui jouent le jeu. “Et ce serait, sans doute, plus efficace que les quelques labels de qualité publicitaire que les éditeurs ont essayé, par le passé, de valoriser auprès des acheteurs”, estime l’expert.

"Le projet MoneytR représente une avancée significative pour l'industrie, car il réunit pour la première fois l'ensemble des acteurs de la chaîne (agence, annonceur, SSP et DSP) autour d’une solution concrète au problème d'opacité dans l’écosystème programmatique, estime Christophe Dos Santos, transformation partner chez OpenMind. Avec ce projet, nous souhaitons aider nos annonceurs à faire évoluer leur stratégie d'achat vers encore plus de responsabilité et d'efficacité."

“Nous participons à ce projet car il est aussi innovant que vertueux pour l’écosystème”, explique Sylvain Travers pour justifier l’absence, à date, de modèle économique. Le dirigeant enjoint néanmoins les agences médias et annonceurs que la démarche pourrait inspirer à le contacter. C’est un peu le souhait de Julien Lamb qui, s’il reconnaît que tout n’est pas parfait, veut “envoyer un signal au marché et, peut-être, donner des idées à d’autres annonceurs.”

Pour aller plus loin :

Cette illustration est extraite du livre blanc de "l'Exercice de Réconciliation Financière : un guide pour voir y voir plus clair sur la chaîne programmatique" réalisé par le groupe SPO d'Alliance Digitale. Lien vers le livre blanc que je vous enjoins à télécharger (si ce n'est pas déjà fait) ici.