Florence Bréban et Nicolas Trannoy (Alliance Digitale) : “La prochaine étape de notre groupe de travail, c’est le sujet de l’incrémentalité de l’e-retail media.”


  • Florence Bréban, cofondatrice de Datagram, et Nicolas Trannoy, directeur marketing et innovation de Lucky Cart, nous dévoilent les contours du référentiel de la mesure e-retail media mis sur pied par l'Alliance Digitale.
  • Ils nous expliquent pourquoi ce référentiel est important, quels ont été les défis à relever au moment de s’y atteler et, surtout, pourquoi ce n’est qu’un début. 

Minted. Vous lancez, un peu plus de 6 mois après votre guide de la mesure, un référentiel de la mesure e-retail media. Pouvez-vous nous expliquer la démarche ?

Florence Bréban (Datagram). Nous avons lancé ce référentiel car nous avons voulu aller plus loin sur ce sujet de la mesure, tout en étant conscients qu’uniformiser, voire même harmoniser, les indicateurs de référence relevait du voeu pieux.

Il était donc plus raisonnable de s’accorder, avant tout chose, sur les bonnes définitions de chaque indicateur. Notre groupe de travail a œuvré plus de 6 mois pour identifier ceux qui faisaient référence dans cinq catégories (identification, browsing, search, add to basket, ventes incrémentales) et qui ont un point commun : le shopper.

Pourquoi le shopper ?

Le shopper, c’est la pierre angulaire de l’écosystème, qu’il s’agisse de l’annonceur, de l’agence, du retailer ou de ses partenaires de monétisation. 

Nous avons d’ailleurs décidé de mettre à contribution un groupe de travail composé uniquement de retailers pour que ces derniers aient, eux aussi, leur mot à dire sur le sujet. Les échanges ont été beaucoup plus fluides que ce que l’on pouvait craindre !

Vraiment ?

Ça n’a bien sûr pas été évident de mettre tout le monde autour de la table et de trouver un territoire commun à tous : sur ce qu’il faut regarder, sur les manières qu’il y a de calculer chacun de ces indicateurs et sur les biais dont il faut se méfier car il n’y a évidemment pas de mesure parfaite. Mais c’est un vrai motif de fierté que d’avoir mis en place un référentiel qui est validé par toutes les parties prenantes et qui, c’est important de le préciser, à vocation à évoluer. 

C’est une base de départ qui doit permettre aux acteurs de l’écosystème, et notamment les annonceurs, de se poser les bonnes questions. L’ambition reste de creuser certains aspects, dont le volet mesure de l’incrémentalité, sur lequel nous avons conscience qu’il est nécessaire d’aller plus loin.

Y-a-t-il eu d’autres points d’achoppement. Je pense notamment à la “share of voice”, une information très demandée par les annonceurs mais que les retailers semblent avoir du mal à lâcher…

Nicolas Trannoy (Lucky Cart). Ça n’a pas été toujours évident de savoir pourquoi certains indicateurs n’étaient pas disponibles. Est-ce que c’était parce que c’était trop compliqué techniquement ou simplement parce que le retailer ne pouvait pas le faire ? 

Certains s’abritaient aussi derrière le fait que tel ou tel indicateur ne pourrait pas être proposé par tout le monde, notamment ceux qui n’ont pas accès aux données de vente. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas réussi à intégrer des indicateurs post-achat, comme le taux d’annulation, qui a une incidence sur la rentabilité de la campagne.

Florence Bréban. Nous n’avons pas voulu faire de cas par cas, en disant quels indicateurs étaient disponibles chez chaque retailer et lesquels ne l’étaient pas. Mais ça peut être une possibilité pour la suite. 

Vous avez décidé de bien séparer les indicateurs on-site de ceux de l’extension d’audience. Pour quelle raison ?

Nicolas Trannoy. Parce que ce ne sont pas du tout les mêmes contextes et enjeux, selon que vous cibliez un internaute alors qu’il fait ses courses, sur le site d’un retailer, ou que vous le cibliez quand il consulte un site média, dans une logique d’extension d’audience. Pas les mêmes enjeux et donc pas les mêmes discussions avec le prestataire. 

Sur le on-site, le délai entre la communication et l’achat est très faible. C’est logique de se focaliser sur des KPI business. Ça l’est moins sur l’extension d’audience où l’enjeu c’est d’abord de faire venir l’internaute sur votre site et donc de regarder des KPI très spécifiques, comme le taux de visibilité, le coût par visite ou le taux de rebond.

Vous dites d’ailleurs que les mesures d’impact sur l’image (Brand Lift Survey ou BLS) doivent être privilégiées quand on active de la data shopper en extension d’audience. Pourquoi ?

Parce que c’est beaucoup plus compliqué de lier avec certitude une exposition publicitaire à une conversion dans ce cas de figure. Quand on fait de l’extension d’audience, on achète aussi de la visibilité pour sa marque. Il faut le prendre en compte.

J’ai aussi appris que le ROAS en extension d’audience n’était pas comparable avec le ROAS des autres leviers comme l’e-commerce. Pourquoi ?

Florence Bréban. Parce qu’on prend comme base de calcul, le chiffre d’affaires incrémental généré par la campagne publicitaire alors que, pour le on-site, on regarde les ventes attribuées. Exactement pour la raison que Nicolas vient d’évoquer. 

On prendrait en compte beaucoup trop de ventes par rapport à la réalité, si l’on se contentait de lier une exposition publicitaire et une conversion en extension d’audience. On est beaucoup trop loin de l’achat contrairement au on-site, où ça a du sens de faire du last clic. 

On parle de ROAS mais vous rappelez d’ailleurs, qu’il faut aussi raisonner en ROI.

Le ROAS se contente de mettre en perspective le budget média dépensé avec les ventes (incrémentales ou non) générées alors que le ROI prend, lui, d’autres éléments comme le coût de la data et des reportings, qui sont parfois facturés. Autant d’éléments supplémentaires qui ont un coût et donc un impact sur la rentabilité de la campagne.

Mais qui ne sont pas toujours simples à isoler car, comme vous le rappelez, certaines technologies du marché ne permettent pas de distinguer le budget media pur, c'est-à dire hors coût data et études...

C’est vrai. C’est parfois un peu compliqué de redresser tout ça. Et c’est d’ailleurs l’un de nos gros enjeux. Plutôt que de faire en sorte que tout le monde se mette d’accord sur la méthode de calcul de chaque indicateur, l’important c’est que chacun ouvre suffisamment le capot pour permettre aux agences et annonceurs de recalculer certains indicateures selon leur propre méthode.

Comme la fenêtre d’attribution.

Exactement.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Mettre à jour les indicateurs qui sont devenus disponibles au fil du temps ! Nous espérons que la sortie de ce référentiel va donner envie au marché de s’y coller.

Nous ambitionnons de lancer un groupe de travail sur le sujet et d’y associer des scientifiques. Ici encore, l’enjeu c’est, faute d’avoir la même méthodologie chez chacun, que l’on soit capable d’expliquer qui calcule quoi et comment.

Nicolas Trannoy. J’ajoute que nous voulons que les méthodologies soient auditables. 

Edouard Brunet, head of product chez Unlimitail, nous expliquait qu’il est aujourd'hui compliqué de dupliquer ce protocole exposés vs non exposés sur le onsite .Il faut s’assurer de pouvoir construire des groupes jumeaux avec des échantillons suffisamment robustes pour garantir la fiabilité de la mesure…

Florence Bréban. C’est sûr que si vous mesurez l’impact d’une campagne sur les ventes d’un produit de niche, qui a une faible rotation, ça peut être compliqué de constituer votre échantillon test. L’important, c’est de trouver les cas d’usages les plus courants et d’y affecter la mesure la plus pertinente pour l’annonceur. 

C’est important car, comme le rappelait Guillaume Mounier de Danone, lors de votre évènement Future of retail media, sa hiérarchie demande souvent beaucoup plus de comptes à un annonceur qui dépense 10 000 euros en retail media que lorsqu’il dépense 1 million en télévision. Il faut donc trouver juste milieu. Faire en sorte que ce soit accessible financièrement et technologiquement pour les annonceurs. De façon à ce qu’ils puissent évangéliser en interne. 

Nicolas Trannoy. Florence a tout dit. Nous essayons d’avoir un référentiel qui soit utilisé par un maximum de gens car, pour pouvoir avancer, il faut créer les conditions d’un échange entre tous. C’est comme cela qu’on arrive à un consensus et c’est important dans un secteur aussi fragmenté que ne l’est l’e-retail media. Arrêtons d’être dans le vœu pieux, participons !