- La fête est-elle terminée ? Après un premier semestre 2022 euphorique et une année 2021, post covid, qui l’était tout autant, le secteur de la publicité digitale renoue avec une croissance plus raisonnable. +6% au second semestre 2022 et + 10% sur l’ensemble de l’année.
- A l’aube d’une année 2023 qui s’annonce encore plus compliquée, Minted fait le bilan.
L’hiver a été plus rude que prévu pour le marché français de la publicité digitale. La croissance annuelle du secteur, qui était de 15% au cours du premier semestre 2022, est tombée à 6% lors du second semestre, nous révèle le baromètre de référence, l’Observatoire de l’epub, qui est réalisé tous les six mois par le SRI, l’Udecam et Oliver Wyman.
Un atterrissage compliqué (les experts de l’Observatoire avaient, à l’époque, tablé sur +9,7% de croissance au second semestre), qui a, sans surprise, un impact sur la performance globale du secteur. Le marché de la publicité digitale a capté 8,492 milliards d’euros d’investissements sur l’année 2022. Sa croissance annuelle, de l’ordre de 10%, est donc en recul. Ce n’est pas vraiment une surprise alors que 2021, année post-covid, était une année de rattrapage. Ce qui l’est plus, en revanche, c’est la violente inflexion des investissements observée en plein milieu d’année.
Une année, deux dynamiques
“Il y a une bascule sur l’ensemble des leviers publicitaires à partir de l’été 2022”, observe la présidente du SRI, Sylvia Tassan-Toffola. Sans doute les conséquences de la guerre en Ukraine, dont les annonceurs ont mis un peu de temps à prendre la mesure, à en croire le directeur général de l’Udecam, Damien de Foucault. “Ce n’est qu’à la fin du second trimestre qu’on a commencé à observer l’impact du conflit sur le coût de l’énergie et, avec elle, l’inflation.”
Le digital a certes été moins impacté que les médias historiques (qui devraient être en décroissance selon le prochain rapport Bump) mais il n’a pas été complètement épargné non plus. Comme toujours dans ce secteur hétérogène, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne (certains réussissent même à tirer leur épingle du jeu). Minted fait le point.
Ceux qui ont vraiment souffert au second semestre
- Le display classique
D’abord les chiffres. Le display a, dans son ensemble, connu un très net ralentissement de sa croissance en 2022. Celle-ci est tombée de +38% à +9%. La faute à un second semestre très besogneux, qui a vu le média ne croître que de 2%. Même la vidéo, habituelle tête de pont, s'essouffle. Sa croissance n’est “que” de 11% entre 2021 et 2022, contre +54%, un an plus tôt (année exceptionnelle certes). L’open Web a sans doute souffert de l’arrêt de leurs campagnes par nombre d’annonceurs FMCG, dont Procter&Gamble et Nestlé.
Le constat est encore plus difficile pour le display classique (la bannière) qui est carrément en décroissance au second semestre (-1%). Le format reste en croissance sur l’année (+ 6%) mais il continue de perdre des parts de marché au sein de l’ensemble du secteur du display. Il ne pèse plus que 39% des investissements (contre 46% en 2021).
- Le programmatique
Ici encore, il y a un avant - après été 2022. Ça allait plutôt pas mal au premier semestre (+13%) et puis l’accident ! Le mode d’achat préféré du marché est en chute au second semestre : - 5%. C’est, une fois de plus, le display classique qui est le plus touché. Le programmatique display classique est, sur un an, en décroissance : - 4%.
Sans surprise, la part du programmatique dans le total des recettes display et social baisse elle aussi. Elle était de 82% en 2021. Elle n’est plus que de 78% en 2022. Si la part de marché du programmatique décroît, c’est évidemment que le gré à gré progresse, lui, beaucoup plus vite. Et ce, quel que soit le format (+18% pour la vidéo et +17% pour le display classique sur un an). Difficile, dans ce cas précis, d’accuser la guerre en Ukraine. La tendance est présente dès le premier semestre 2022, avec une hausse du gré à gré de 33% sur la période. Les raisons sont autres et je vous les donnais en détail, il y a trois mois de cela, à l’occasion d’un article qui revenait sur le retour en force du gré à gré du côté des agences médias.
En cause : les difficultés éprouvées par les agences médias du Big 6 pour recruter des talents. “Quand on est sous-staffé et en plein rush, c’est beaucoup plus simple de sous-traiter à un Azerion ou un Teads”, reconnaissait le patron du digital de l’une d’entre elles. On assigne une feuille de route à ce partenaire - début et fin de campagne, budget à dépenser et KPI cible - qui a toute latitude pour y arriver au sein de son réseau de publishers. On récupère les éléments en fin de campagne et on n’a plus qu’à consolider le tout, avant de présenter au client.
Ils s’appellent Seedtag, Invibes, BeOps ou Bliink et sont collés aux agences, auxquelles ils vendent en gré à gré des formats qui sont très spécifiques. Des acteurs qui ont en commun de s’être positionnés sur le secteur très porteur du “ciblage contextuel” et qui, à l’heure du cookieless, gagnent de plus en plus de parts de marché.
Ceux qui toussent pour la première fois
Le search et le social captent certes encore 80% de la croissance du marché mais, en y regardant de plus près, tout n’est pas si rose.
- Le social (et surtout Facebook)
Le secteur du social renoue avec la modération : + 10% de croissance en 2022, contre + 22% en 2021. Si l’on exclut la vidéo, le secteur est carrément en baisse puisque le social dit classique est à -2% par rapport à 2021. Derrière ces chiffres, il y a, ici encore des réalités différentes que quelques échanges avec les agences médias vous permettront de comprendre assez vite. En résumé, les choses vont plutôt pas mal pour TikTok alors que c’est vraiment beaucoup plus difficile pour Meta (en recul chez certaines agences médias françaises). Les récents licenciements opérés par le groupe, ainsi que des résultats trimestriels plutôt médiocres, font que ce n’est pas une complète surprise mais cela reste un premier coup d’arrêt business pour la plateforme en France..
Le social classique en baisse de 2% par rapport à 2021. Une première !
Plus qu’une remise en question des stratégies des annonceurs, suite aux polémiques successives en matière de brand safety et de fake news, c’est d’abord la conséquence du contexte économique compliqué. Notamment pour toutes les petites structures qui communiquent habituellement beaucoup chez Meta. “Meta, c’est plus de 75% de chiffre d’affaires avec les PME, rappelle le patron de la commission digitale de l’Udecam, Jean-Baptiste Rouet. Face à l’explosion de leurs coûts d’énergie et de matières premières, beaucoup de DNVB n’ont pas eu d’autre choix que de réduire la voilure côté acquisition.” On imagine aussi que la démocratisation du protocole ATT sur iOS, qui a limité les possibilités de tracking (et donc de mesure du succès d’une campagne), n’a pas aidé.
- Le search de Google
Le search se verticalise, on le sait. Les internautes passent de moins en moins par un moteur classique (Google pour ne pas le citer) au moment d’effectuer une recherche. Il y a TikTok, plébiscité par les jeunes pour découvrir un nouveau restaurant ou les incontournables d’une ville où ils viennent d’arriver. Et il y a Amazon, nouvelle gare de triage de l’e-commerce ou encore Booking, la star de la réservation d’hôtel. Les annonceurs semblent s’adapter à ces usages puisque la croissance des liens sponsorisés classiques ralentit fortement. Elle n’est plus que de 10% sur un an. Plus préoccupant, elle est tombée à +2% sur le second semestre alors qu’on aurait pu s’attendre à un regain de vigueur, les contextes économiques difficiles étant souvent plus favorables aux leviers ROIste comme le search.
La raison ? Une bonne partie de ces investissements s’est déportée du côté du retail search, les liens sponsorisés affichés au sein des résultats de recherche d’e-commerçants comme Amazon, Cdiscount ou encore Fnac-Darty, dont l’offre commerciale a gagné en maturité. 2023 devrait acter un peu plus cette bascule des budgets search.
Ceux pour qui on est vraiment inquiet
- Les médias traditionnels
Tous les acteurs du display ont vu leur croissance ralentir, quelle que soit la nature de leur activité (TV, radio, plateformes de streaming…). Mais les plus touchés restent, sans conteste, les sites de la catégorie “édition et infos” en croissance d’à peine 2% sur l’année et qui ont connu un second semestre catastrophique (chute de 5,6% des investissements display qui leur ont été alloués sur un an).
C’est préoccupant et cela vient illustrer le propos de Jérémy Parola, le patron du digital de Reworld Media, qui s’inquiétait dans nos colonnes de ce que les annonceurs n’en avaient que pour l’awareness et la performance, deux objectifs pour lesquels ils ne considèrent que rarement les médias traditionnels. “Je caricature à peine en disant que cette polarisation des objectifs marketing ne fera le bonheur que d’une minorité : la TV, la CTV et l’influence sur les plateformes sociales pour la notoriété, les GAFA… et encore les GAFA, pour le volet performance”, nous expliquait-il.
Une statistique illustre les dangers de se retrouver dans l’angle mort des annonceurs, comme c’est le cas des médias traditionnels. Il s’agit de l’évolution de leur part de marché sur les quatre dernières années (le plus loin que j’ai pu remonter car avant cette date, le SRI ne donnait pas de chiffres assez granulaires). La part de marché des sites d'infos dans le display hors social est tombée de 48,2 à 35,14% entre 2018 et 2022. Si l’on inclut le social au périmètre, cette part de marché a chuté de 21,59 à 15,01% sur la même période. Vous l’aurez compris, les sites d’infos se sont, avec le temps, dilués dans le marché du display… Et cela ne risque malheureusement pas de s’arranger.
“Les sites qui ne font pas du retail media ou qui n’ont pas une offre de vidéo forte, comme celle des acteurs de la catch up, vont vivre une année 2023 compliquée”, assure un connaisseur du secteur. Elle le sera d’autant plus que le mantra de pas mal d’annonceurs sera de faire mieux avec moins, restrictions budgétaires obligent. C’est, en l’absence de proposition de proposition de valeur différenciée et de scale, une bonne partie de l’Open Web qui risque d’en souffrir…
Evidemment, le secteur ne reste pas les bras ballants. Il y a les géants qui, comme Le Figaro - CCM Benchmark, Les Echos - Le Parisien, Prisma Media ou encore Reworld Media, ont pris soin de s'affranchir des soubresauts du marché display, en se diversifiant ces dernières années (évènements, marketing services, e-commerce...). Sylvia Tassan-Toffola énumère, elle, “les nombreuses initiatives en matière de ciblage contextuel et d’ID publicitaires, qui témoignent de la combativité des médias français.” Les alliances, comme celle initiée par Prisma Media, 366 et Media Figaro, Video Impact for Brands, sont un autre exemple de cette volonté de rebattre les cartes. Mais le changement passe d’abord par les acheteurs, annonceurs et agences, qui doivent joindre les actes à la parole (qui se rappellent encore de cette époque où ils nous assuraient qu’ils privilégieraient les sites membres du label Digital Ad Trust ?). Il en va de la santé d’un secteur - la presse gratuite - qui est indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie.
Celui qui tire son épingle du jeu
- Le retail media
Avec une croissance de +30%, le retail media a été l’un des rares leviers sur lesquels les annonceurs ont misé avec constance l’année dernière. C’est, à en croire Sylvia Tassan-Toffola, “le grand gagnant de l’année 2022.” Le display retail est à +18,1% sur un an. Le retail search gagne, lui, trois points de part de marché dans le search, pour atteindre les 15¨%.Ce n’est pas près de s’arrêter.
Il faut dire que tous les voyants sont au vert, entre la disparition des cookies tiers de Chrome en 2024, qui rendra la donnée transactionnelle des retailers encore plus précieuse, et le contexte économique hyper tendue, qui contraint les marketeurs à être encore plus vigilants sur le ROI de leurs campagnes branding. Quitte à faire de l’awareness, autant le faire sur le point de vente. Je vous encourage, à ce titre, à lire mes prédictions pour le secteur du retail media en 2023.
Et l’avenir ? Encore flou !
Oliver Wyman estime que la croissance du secteur de la publicité digitale avoisinera les 6% en France en 2023. C’est très en deçà des autres prédictions marché (OMG, Publicis, GroupM, Warc…) qui s'établissent plutôt autour des 11%. Mais ce n’est pas une surprise, tant le contexte économique a changé depuis la publication de ces dernières, à l’automne dernier. “Le PIB français a, depuis, été fortement revu à la baisse. Il est logique que la publicité digitale, qui est corrélée à ce dernier, soit impactée”, analyse Damien de Foucault. Sylvia Tassan-Toffola veut rester optimiste : “le marché est devenu tellement imprévisible qu’une belle reprise cet été n’est pas à exclure.”
Reste que le mois de janvier est très très calme, dans la lignée de la fin de l’année, et qu’il devrait en être ainsi de tout le premier semestre. “On est sur une année glissante, prévient Damien de Foucault, avec une baisse qui s’étire du début du second semestre 2022 jusqu’à la fin du premier semestre 2023.” En espérant que de grands évènements sportifs tels que la Coupe du monde de rugby et les Jeux Olympiques, tous deux organisés en France, ne permettent d’inverser la tendance en milieu d’année. Ou que des annonceurs qui ont déserté la publicité, tels qu’une bonne partie des FMCG, se décident à revenir.
“Trois des vaches à lait de notre secteur, les FMCG, parce que leurs coûts explosent, le retail, parce qu’ils ont des négociations compliquées avec leurs clients industriels, et l’automobile, parce qu’il a problèmes de stock, sont dans le dur. Pas étonnant que le marché continue de dévisser un petit moment”, résume un patron de régie. Rendez-vous cet été pour le bilan.