- Sept ans après sa création, Gravity, l'alliance data fondée par Les Echos, M6 et Prisma Media, change de stratégie. Sous la direction de Capucine Jenoudet, la structure met fin à son projet d’identifiant propriétaire Gravity ID au profit d’une intégration avec des solutions existantes comme First ID.
- L'alliance data en profite pour renforcer son expertise technologique avec le lancement de sa propre DMP, Tamaris. Un repositionnement qui témoigne de l’évolution des besoins des éditeurs dans un écosystème publicitaire en pleine mutation.
Changement de cap pour Gravity, l’alliance data mise en orbite par plusieurs médias dont Les Echos, M6 et Prisma Media il y a déjà 7 ans de celà. La structure, désormais dirigée par Capucine Jenoudet, a décidé de mettre un terme à son projet d’identifiant déterministe cross-éditeurs, le Gravity ID.
Une décision tout sauf étonnante puisque l’ID n’avait pas réussi à s’imposer au milieu des ID5, First ID et autres Utiq. De fait, seul un des membres de l’alliance avait procédé au déploiement du Gravity ID depuis son lancement il y a deux ans de cela.
Consciente qu’il lui serait difficile de se faire une place dans les roadmaps bien bouchées de ses membres, l’équipe dirigeante a donc tranché. “Nous allons nous concentrer sur le déploiement des identifiants qui sont déjà présents chez nos membres”, annonce Capucine Jenoudet.
“On démarre avec First ID, qui est le plus implémenté chez nos membres, mais on veut faire la même chose avec les autres solutions.”
Un premier partenariat avec First ID va être annoncé d’ici la fin de l’année. D’autres devraient suivre puisque, comme le rappelle Capucine Jenoudet, Gravity restera agnostique. “On démarre avec First ID, qui est le plus implémenté chez nos membres, mais on veut faire la même chose avec les autres solutions.”
L’alliance data pourrait profiter de sa force de frappe pour négocier des deals plus avantageux que ceux que ses membres pourraient obtenir en one-to-one. Elle pourrait ensuite proposer à ses clients, les agences et annonceurs, des deals basés sur l’ID de leur choix, au sein de l’inventaire des 250 sites membres de l’Alliance.
Un reach qui bénéficierait aussi aux solutions d'identification, lesquelles n’ont, comme le rappelle David Folgueira, cofondateur de First ID, pas vocation à gérer cet aspect. “Nous sommes une techno, pas une régie.” Et de donner l’exemple d’une agence média qui l’avait sollicité dans le cadre d’un appel d’offres.
“Je l’ai mise en contact avec Gravity, qui est plus légitime dans ce rôle d’intermédiaire.” Un intermédiaire qui peut, en plus, activer First ID en dehors de son réseau d’éditeurs, puisque la structure a lancé une offre d’extension d’audience qui lui permet d’élargir la diffusion de ses campagnes à un total de 400 sites.
Ce Gravity “élargi”, qui permet à l’équipe de proposer des CPM plus compétitifs en allant sur des sites un peu moins premiums (mais qui répondent toujours à ses exigences en matière de brand safety) connaît une forte traction, à en croire Capucine Jenoudet. “L’offre nous permet de récupérer des budgets qui nous étaient, jusque-là, inaccessibles.”
L’expérience Gravity ID ? Aucun regret, à en croire Capucine Jenoudet. “Cela nous a permis de nous faire la main, de mieux comprendre le fonctionnement des ID partagés et cela sera précieux pour la suite.” Les équipes allouées au projet ont vite trouvé de quoi s’occuper puisque Gravity a décidé de lancer un autre chantier : le déploiement d’une DMP propriétaire.
“Nous avons profité de la fin de notre contrat avec notre prestataire, Mediarithmics, pour avancer là-dessus”, explique Capucine Jenoudet. Un moyen de créer un réel actif technologique et de ne plus dépendre de la feuille de route d’un prestataire auquel Capucine Jenoudet tient à préciser qu’elle n’avait rien à reprocher. Tout en réalisant des économies significatives puisque le contrat noué avec Mediarithmics coûtait, selon informations, près de 250 000 euros par an à la structure.
Baptisée Tamaris, la nouvelle DMP est live depuis mars dernier. Elle pourrait être un jour proposée en stand alone aux éditeurs membres de l’Alliance. Interrogée sur la pertinence de lancer une technologie adossée à un identifiant, le cookie tiers, qui semble condamné, Capucine Jenoudet plaide l’importance de créer une courbe d’expérience parce que “même si les cookies tiers sont de plus en plus rares, ils sont encore là.”
La DMP va par ailleurs permettre à l’alliance data de structurer et pousser d’autres produits “cookieless”, qu’il s’agisse de ses segments contextuels sémantiques ou de son offre de contextuel panel, basée sur un panel de cookies tiers et bientôt sur celui de Médiamétrie.
Gravity a par ailleurs lancé une offre de ciblage contextuel IA, nommée Magellan. “Nous ciblons des URL dites affinitaires car elles ont une proximité sémantique avec le contexte ciblé par l’annonceur.” précise Capucine Jenoudet.
“Tamaris, c’est un bon moyen de nous faire la main avant, pourquoi pas, de faire évoluer la plateforme vers d’autres horizons”, révèle Capucine Jenoudet. Il est, ici, forcément question de CDP, cette technologie qui permet de stocker des identifiants CRM, comme les emails ou les ID, voire de clean room, cette technologie qui permet, elle, de rendre accessible à un tiers, dans un contexte archi-sécurisé, des identifiants CRM. “On y réfléchit forcément”, révèle Capucine Jenoudet.
Il faudrait, pour cela, que cet éternel serpent de mer qu’est la mise à disposition de la donnée loguée des membres de Gravity refasse surface. Pour l’instant, ces derniers semblent vouloir la garder précieusement pour eux. “On en discute mais on reste dépendants de leurs choix sur le sujet”, reconnaît Capucine Jenoudet.
"Tout ce qui touche à l’ID est un sujet très sensible et rares sont les médias qui sont enclins à déléguer ça à un tiers, même s’ils en sont actionnaire”
“C’est tout le problème de Gravity, reconnaît l’un de ses membres. Tout ce qui touche à l’ID est un sujet très sensible et rares sont les médias qui sont enclins à déléguer ça à un tiers, même s’ils en sont actionnaire.” D’autant que, comme vous le diront tous les experts adtech, c’est compliqué (pour ne pas dire impossible) de vendre la data seule. Il faut la bundler avec des médias.
Ce qui, dans le cas de Gravity, pose inévitablement la question de la répartition de la valeur entre celui qui fournit la data et celui qui fournit le média. “L’arbitrage est rarement en faveur du premier, ce qui n’incite pas à jouer le jeu”, observe un éditeur.
Entre la crainte de perdre le contrôle et celle de nourrir le business des concurrents, les crispations sont donc nombreuses. “Ce sont les mêmes que l’on observait sur la partie média, lorsque les alliances programmatiques comme La Place Media et Audience Square ont vu le jour”, observe notre anonyme.
Conscient de ces écueils, Gravity réfléchit à d’autres pistes de croissance, comme la possibilité d’accompagner ses membres dans le développement de nouveaux formats publicitaires à horizon 2025 - 2026, tout en continuant de creuser le sillon de son expertise technologique.
“C’est maintenant, plus que jamais, que les éditeurs ont besoin d’un Gravity”, pose David Folgueira. La course à l’armement étant ce qu’elle est dans l’adtech, les éditeurs seront de plus en plus nombreux à avoir besoin d’un tel accompagnement. Le lancement d’offres de régies externes par deux des plus gros d’entre eux, Reworld Media et Prisma Media, en atteste. Il y a un vrai besoin… qui pourrait être comblé par Gravity.
Gravity peut-il devenir le 366 de la PQN ?
“Un version PQN de 366”, s’amuse un connaisseur qui n’hésite pas à tancer les éditeurs. “Ils feraient mieux de se prendre en main plutôt que de confier leur inventaire à des régies externes qui vendent ça 30 centimes en open auction avec 80% de marge.”
Le constat est quelque peu caricatural mais il a le mérite d’amener une autre question : celle d’un éventuel rapprochement entre Gravity et une autre structure détenue par des médias français, Mediasquare. Né de la fusion de La Place Media et Audience Square, Mediasquare permettait historiquement à ses clients de réunir leurs invendus au sein d’une place de marché programmatique en semi-blind (l’acheteur ne voyait les URL de diffusion qu’après coup).
La structure a dû, à mesure que ses membres montaient en compétence sur le sujet, un peu faire évoluer son offre. Qu’il s’agisse de leur faire profiter de deals avec des partenaires étrangers (la data de Samba TV ou le format vertical de Seen This) ou de gérer une partie de leur commercialisation en managed (l’acheteur envoie un OI à Mediasquare, qui achète l’inventaire des éditeurs en programmatique). Oui, c’est aussi ce que fait Gravity pour le compte de ses membres via de la data propriétaire…
Gravity et MediaSquare n’auraient-ils pas intérêt à se rapprocher alors que leurs offres semblent converger ? Cette question, les actionnaires des deux structures se la sont déjà posée, il y a quelques années, allant jusqu’à mandater des consultants externes. Les bisbilles entre médias français étant ce qu’elles sont, les discussions ont fait long feu. “Les actionnaires de MediaSquare qui n’étaient pas également actionnaires de Gravity ont un peu fait planter le projet de rapprochement”, se souvient un concerné.
Les discussions pourraient-elles un jour reprendre ? “Même si ce n’est pas évident de faire cohabiter tout le monde, il ne faut pas oublier que la concurrence se trouve plutôt du côté des walled gardens, rappelle une partie prenante. Ce serait bien que certains médias français mettent de côté leurs inimitiés pour nourrir un pôle d’expertise commun sur la data et le média.”
“Ca aurait évidemment beaucoup de sens”, reconnaît un autre, qui reste néanmoins plus que sceptique sur les probabilités que l’opération se fasse, dans la mesure où les deux structures sont rentables et que les actionnaires ont, dans ces conditions, pas de pression à faire bouger les choses. “S’ils devaient remettre au pot chaque année, le débat aurait vite été tranché.”