- C'est le nouveau terme à la mode chez la plupart des régies pub digitales : le bid throttling. Une pratique qui consiste à filtrer les ad requests envoyés aux partenaires programmatique et qui est portée par des solutions comme Greenbids, Hubvisor ou Mediasquare.
- On fait le point sur les expérimentations lancées par Media.Figaro, Prisma Media et Les Echos Le Parisien Media.
C’est, dans ce secteur très friand d’anglicisme qu’est le marché du programmatique, le nouveau terme à la mode : bid throttling. Du filtrage d’enchères, en bon français. Partant du constat qu’une requête publicitaire (ad request) envoyée en open auction à l’ensemble de ses partenaires programmatiques génère rarement plus de 25% de taux de réponse (bid response), certaines régies ont décidé d’arrêter de les solliciter à tout va.
C’est le cas du groupe Le Figaro, qui s’adonne au bid throttling depuis cet été, grâce à la solution de Hubvisor, CleanR. Mais aussi de Prisma Media, qui a déployé la solution de Greenbids sur neonmag.fr et des Echos - Le Parisien qui veut faire de même sur boursier.com. Citons aussi le Point qui a, lui, choisi Optimizer for valuable auction (OVA), une solution lancée par Mediasquare en décembre dernier. “OVA est actuellement testé chez une petite dizaine d’éditeurs”, précise Arnaud Beaussier, senior business development manager chez Mediasquare. Autre prestataire positinné sur le créneau : Nexx360, qui le fait pour le compte de certains de ses clients.
Le bid throttling, c’est la suite logique de cette vague de rationalisation qui a vu des médias comme Le Figaro, Les Echos - Le Parisienou encore Prisma Media faire le ménage dans leurs ads.txt. “Maintenant qu’on a coupé les chemins qui n’étaient jamais utilisés, on adopte une approche plus granulaire, en coupant ceux qui ne sont pas utilisés dans certains contextes”, justifie Olivier Coissac, directeur des opérations digitales et du programmatique Le Parisien - Les Echos Medias.
Pas un luxe alors que “les SSP ont tous des préférences bien spécifiques selon les typologies d’inventaires”, à en croire Arnaud Beaussier. Et de quoi permettre à toute une industrie très énergivore de réduire son empreinte carbone. “Les régies montrent patte blanche et leurs partenaires font, eux, de sacrées économies puisqu’ils réduisent leurs frais servers en même temps qu’on leur envoie moins de requêtes”, résume un connaisseur.
Si la finalité est la même, à savoir réduire le nombre de requêtes publicitaires envoyées, les moyens mis en place diffèrent un peu selon les prestataires. Chez Greenbids, Mediasquare et Nexx360, le critère discriminant, c’est la probabilité que le partenaire soumette ou non une enchère. Si le modèle estime que cette probabilité est inférieure à un certain seuil, la requête publicitaire ne sera pas envoyée. “Nous avons installé le module d’analytics de Greenbids pour lui permettre d’historiser les ventes de notre inventaire et, un mois plus tard, nous avons déployé sa solution de filtrage”, résume Paul Ripart, directeur commercial et programmatique de Prisma Media.
“C’est de la micro-chirurgie. Plutôt que d’amputer un partenaire qui peut apporter du business de manière épisodique, on coupe en suivant une matrice de demande.”
“C’est vraiment de la micro-chirurgie, métaphorise Jean-Baptiste Pettit, CTO de Greenbids. Plutôt que d’amputer un partenaire qui peut apporter du business de manière épisodique, on coupe en suivant une matrice de demande.” OVA, l’algorithme de Mediasquare, passe au crible 8 critères (pays, device, ad unit, consentement donné, nom de domaine…) pour ne laisser passer que les requêtes qui généreront des enchères. Ceux de Greenbids et Nexx360 ont des fonctionnements similaires.
Côté Hubvisor, on regarde évidemment l’historique pour déterminer si ledit partenaire est susceptible de répondre mais aussi… comment il va répondre : avec quel niveau de CPM et quel pourcentage de gain (win rate). “Cela nous permet également de filtrer des participants dont on sait qu’ils n’ont aucune chance de gagner l’enchère”, explique Sylvain Travers, CEO de Hubvisor.
Les solutions de Mediasquare, Hubvisor et Nexx360 sont offertes aux clients qui utilisent leurs autres services. Mediasquare propose néanmoins OVA en stand-alone à des éditeurs non clients, moyennant un coût CPM. Côté Greenbids, la solution de filtrage est facturée selon le volume d’ad requests analysées, à un tarif très abordable, selon Guillaume Grimbert. “Nous cherchons activement à recruter des éditeurs dans le cadre d’une beta qui durera trois mois donc nous faisons des efforts sur le pricing”, précise le dirigeant. Sont ciblés en priorité les éditeurs “tiers 1”, pour lesquels les perspectives d’économie carbone sont les plus évidentes.
Une dernière nuance dans les modèles, c’est le périmètre d’action. Greenbids, Hubvisor et Mediasquare opèrent sur le trafic qui transite via la version client-side du wrapper prebid. Nexx360 le fait uniquement sur la version server-side. A noter qu’aucun de ces acteurs n’est capable d’intérger la demande de Google, qui transite par Google Ad Manager, et celle d’Amazon, qui transite par le wrapper TAM, à son périmètre d’action.
Mais ce n’est pas vraiment un problème à en croire Thomas Masereel, yield and programmatic manager chez Media.Figaro. Car si ces deux acteurs (surtout Google) contribuent à l’essentiel des revenus programmatiques des régies françaises, ils ont un poids carbone beaucoup plus faible que l’open auction. “Google n’a besoin que d’une bid response pour se positionner sur une requête publicitaire là où prebid sollicitera des dizaines de partenaires”, résume Thomas Masereel. De sorte que ce dernier représente 80 à 90% des émissions carbone des régies programmatiques.
Une poche d’exploration, généralement entre 10 et 15% de trafic non filtré, pour repérer des changements de stratégie d’enchères
Conscients que le comportement d’un SSP peut changer en même temps qu’il rentre une nouvelle campagne, Greenbids, Hubvisor, Mediasquare et Nexx360 se gardent une poche d’exploration (généralement entre 10 et 15% de trafic non filtré) pour repérer des changements de stratégie d’enchères. De quoi permettre aux modèles de s’actualiser : toutes les 10 minutes chez Greenbids, 30 minutes chez Mediasquare et heure chez Hubvisor.
L’obsession, c’est évidemment que ce ménage n’ait aucun impact sur le revenu généré en programmatique. Tout ce petit monde ayant conscience que les velléités d’économies carbone des régies s’arrêtent là où leur modèle économique est en danger. Raison pour laquelle les éditeurs ne prennent pas trop de risques. Si le taux de non-réponse avoisine les 75% chez la plupart des régies, comme évoqué plus haut, le taux de filtrage est lui beaucoup moins élevé. Entre 15 et 40% chez Mediasquare, 15 et 25% chez les clients de Greenbids et 10 et 20% chez Media.figaro qui a déployé la solution de Hubvisor sur trois de ses sites. Sans impact sur son niveau de RPM (revenu pour mille impressions).
Entre 15 et 40% de bid requests filtrées chez Mediasquare, 15 et 25% chez les clients de Greenbids et 10 et 20% chez Media.figaro qui a déployé la solution de Hubvisor sur trois de ses sites.
“C’est compliqué pour une régie comme la nôtre de prendre des mesures qui vont à l’encontre du business”, reconnaît Nicolas Pegoraro, directeur revenu et yield management du Point. L’expert, qui s’apprête à déployer avec la solution de Mediasquare, fera le point à l’issue du test, tout en admettant ne pas être capable, à date, de définir le “coût acceptable” de cette décarbonation.
“Le bid throttling implique de faire confiance à une technologie externe, raison pour laquelle on prend le temps de faire ça bien”, abonde Allan Jocalaz, directeur des opérations et du traffic de Prisma Media. Le média a commencé par filtrer 11% des bid requests puis 16%, au bout d’un mois, et 20% au bout de deux. Il espère atteindre un ratio de 30 à 40% très prochainement. “Plus on de data, plus le modèle s’améliore.”
Côté Greenbids, on revendique déjà un taux de réussite de 99,5% (c’est à dire que seules 0,5% des requêtes filtrées auraient occasionné une réponse). La solution, qui est déjà “on”, chez deux éditeurs, assure n’avoir aucun impact sur leurs revenus. Pas d’impact négatif du moins. Car l’impact pourrait même être positif, à en croire Guillaume Grimbert, qui espère pouvoir le démontrer prochainement, “chiffres à l’appui.”
En réduisant le volume de requêtes qu’il envoie au SSP A, un éditeur réduit les charges de ce dernier (les frais d’écoutes sont un gros poste dépense). En diminuant ses charges, il permet donc au dit SSP de bidder plus, tout en respectant son niveau plancher de marge. “La rareté paye en programmatique”, résume Arnaud Beaussier. “On espère que cette stratégie nous permettra de récupérer de la valeur auprès de certains SSP”, confirme Nicolas Perogaro. Des SSP qui, pour les raisons que je viens d’évoquer, pratiquent eux aussi le bid throttling et récompensent naturellement les régies qui leur facilitent la tâche en leur assignant un meilleur quality score.
“Le gain réalisé en un jour est cinq fois supérieur à l’impact carbone de la solution de filtrage sur un mois”
Reste une question. Quelle est la portée de ces économies carbone ? Greenbids, qui s’appuie sur des outils de mesure comme Scope 3, explique être capable de filtrer une bonne cinquantaine de millions d’ad requests par mois pour un petit site. “Le gain réalisé en un jour était cinq fois supérieur à l’impact de notre solution sur un mois”, explique Guillaume Grimbert, fondateur de Greenbids. Alors combien ? “Entre 10 et 20% d’économie carbone selon le ratio de bid requests non envoyées”, estime un patron de régie qui suit le sujet de près. Chez Prisma Media, qui consomme 336 tonnes de C02 par mois pour monétiser son inventaire programmatique, cela donne près de 38 tonnes de CO2 économisés chaque mois si tous les sites étaient branchés. “L’équivalent de 172 000 kms en voiture”, illustre Allan Jocalaz.
Sans doute plus, en réalité, puisque les mesureurs n’intègrent dans leur périmètre de calcul que le poids carbone de l’appel réalisé vers chaque SSP. Alors qu’il faudrait, en réalité, également intégrer le poids de ceux que ce SSP effectuera ensuite vers ses partenaires DSP et resellers. Et donc multiplier cela par trois ou quatre. Le référentiel carbone du SRI et d’Alliance Digitale, dont la première version se concentrait sur la consommation de premier niveau (éditeurs vers SSP), devrait s’atteler prochainement à ce nouveau périmètre (éditeur vers SSP, puis SSP vers DSP). Et permettre donc d’y voir plus clair.
Une certitude, en tout cas. “La France est vraiment en avance sur ces sujets”, se réjouit Guillaume Grimbert. Côté Mediasquare, on a profité de Dmexco pour présenter la solution à des éditeurs de tous pays. “On espère avoir autant de succès que dans l’Hexagone”, déclare Arnaud Beaussier. On ne doute pas que ce sera le cas alors que, côté buyside, les acheteurs commencent à regarder la consommation carbone pour décider de qui intégrer ou non dans leurs plans médias. A l’image des clients de… Greenbids qui, rappelons-le, est d’abord une solution qui aide les marques à optimiser les émissions carbone associées à leurs campagnes programmatiques, sans pour autant affecter leur efficacité. Ou de ceux qui activent la fonctionnalité “Climate Shield” dans des DSP comme Adform ou Xandr. Cette feature, proposée par Scope 3, permet d’écart tout site ou dispositif jugé trop gourmand en carbone.
Il est encore trop tôt pour dire si le coût carbone d’une impression va devenir un critère aussi discriminant que la visibilité ou l’attention. Sans doute que cela le deviendra si les entreprises non vertueuses sur ce KPI sont pénalisées fiscalement par l’administration et commercialement par le grand public. Mais on n’en est pas encore là. Il n’empêche, mieux vaut pour les régies prendre les devants. Et préparer la suite… Parce que couper les requêtes qui partent vers des partenaires qui ne répondent pas, c’est bien. Mais couper celles qui partent vers le même partenaire, par divers chemins, c’est mieux. Un même SSP peut recevoir jusqu’à 10 fois la même requête publicitaire. Ce même SSP interrogera un DSP qui est déjà interrogé par d’autres SSP pour la même requête publicitaire. Autant de doublons auquel le bid throttling ne permet pas de remédier.
Il faudra que les régies mettent les doigts dans le SPO (supply path optimization) pur et dur. Il faut, pour ce faire, réussir à identifier le meilleur chemin… selon les contextes. Ici encore, tout variera selon ad unit et cie. Et c’est autrement plus difficile à faire que du simple filtrage d’enchères non répondues. Du moins, sans heurter le business. “Mais c’est l’étape d’après”, confirme Nicolas Pegoraro.